Ces avocats à mieux connaître

La dernière entrevue de Raynold Langlois

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Emeline Magnier

2014-10-29 10:25:00

En avril dernier, Me Raynold Langlois a accordé sa dernière entrevue...à Droit-inc. La revoici...

Plaideur reconnu, Me Raynold Langlois revient sur son parcours, ses défis, et donne de précieux conseils à ceux qui auraient la prétention de marcher dans ses pas...

Membre du Barreau depuis 1964, Raynold Langlois fêtera à la fin du mois de juin ses 50 années de Barreau. Celui qui porte le premier nom du cabinet Langlois Kronström Desjardins affiche un parcours extrêmement riche, couronné par les distinctions: Avocat Émérite, Best lawyers in Canada et Fellow du American College of Trial Lawyers, il vient de recevoir le Prix Justitia de la faculté de droit de l'Université Laval qui vise à souligner la carrière exceptionnelle de ses diplômés.

Sans détour, cette légende du litige au Canada a répondu aux questions de Droit-inc.

Droit-inc: En vous retournant sur les 50 dernières années, que pensez-vous de votre parcours?

Me Raynold Langlois fêtera à la fin du mois de juin ses 50 années de Barreau
Me Raynold Langlois fêtera à la fin du mois de juin ses 50 années de Barreau
Me Raynold Langlois: C'est passé très vite! La profession m'a procuré beaucoup de défis et une grande satisfaction, je n'ai aucun regret. Le métier d'avocat est le plus beau du monde. C'est le seul où on est payé pour apprendre. Quand j'ai commencé, je ne pensais pas que je me rendrais où je suis aujourd'hui, je n'avais pas de cible.

J'ai hésité avec une carrière dans la marine: par mes grand-pères, j'ai du sel dans les veines et mon père était aussi avocat et officier de marine. Après le bac, je devais partir en Angleterre faire une maîtrise en droit maritime mais mon père m'a dit que quand je reviendrai, le bureau ne serait plus là: j'ai donc pensé à court terme et je suis resté.

J'ai aimé la diversité des champs de pratique dans lesquels j'ai exercé. Comme un bateau, j'ai été porté par les vagues: quand un client rencontrait un problème, j'étais curieux de découvrir ce domaine. A l'époque de la syndicalisation du milieu maritime, un de mes clients était aux prises avec un conflit en relation de travail. Plutôt que de l'envoyer ailleurs, je l'ai conseillé et ça a marché!

J'ai ensuite été recruté par le gouvernement du Québec pour faire partie de la table centrale des négociations en 1972. J'avais 31 ans et j'ai travaillé avec Jean-Paul L'Allier, alors ministre des communications, et Roch Bolduc, sous-ministre de la fonction publique. Ça a été un point tournant dans ma carrière qui m'a permis d'obtenir une grande visibilité et m'a placé sur une autre ligne. J'ai ensuite pu accéder à des dossiers importants, notamment en matière constitutionnelle.

Comment vous décririez l'avocat Raynold Langlois?

Je suis pugnace, déterminé et orgueilleux. J'ai toujours l'air d'une personne très sûre d'elle, mais en réalité je suis plutôt « insécure », ce qui me conduit à être toujours très préparé. J'accorde une grande importance à la communication avec le client et à la relation d'aide: quand quelqu'un vient vous voir, il y a toujours une dimension psychologique même derrière un problème financier. Je n'ai jamais donné d'opinion complaisante. Je dis toujours à mes clients: « Au prix où vous me payez, j'ai le droit de me mêler de vos affaires! ». J'ai toujours été un grand consommateur de nouvelles et de ce qui se passe autour de moi, avec un grand intérêt pour la politique: c'est une ouverture importante; on intéresse les gens par notre curiosité et notre esprit ouvert, pas par notre connaissance du droit.

Quelles sont vos trois plus grandes réalisations?

Je suis très fier du cabinet Langlois Kronström Desjardins. Le vrai Langlois, c'est mon père, qui n'est pourtant pas le fondateur du bureau: il a repris un petit cabinet spécialisé en droit maritime. Il est parti de rien et aujourd'hui, nous sommes 200.

Il y a ensuite le dossier de la « MIUF » et la charge de travail que ça a représenté. Je suis intervenu comme procureur principal du gouvernement fédéral dans ce qu'on a appelé le dossier le plus complexe en matière de responsabilité des produits en Amérique du Nord. Le procès a duré 7 ans, de 1982 à 1990, et la cour siégeait 10 mois par année, 3 semaines sur 4, 4 jours sur 5. C'était très exigeant.

Enfin, je dirais les renvois sur le veto du Québec et le rapatriement de la constitution. C'était du droit constitutionnel pur et les enjeux étaient très importants.

Quelles sont les qualités d'un bon plaideur?

Il est important d'être respectueux des juridictions: si vous n'essayez pas de « rouler » le juge, vous gagnerez votre crédibilité. Il faut aussi être un bon stratège et savoir évaluer les risques pour le client compte tenu des coûts financier et psychologique. Une grande honnêteté intellectuelle est aussi de rigueur: ce n'est pas en criant fort qu'on gagne, c'est grâce à la qualité de nos arguments et il faut être convaincu pour être convainquant. Enfin, il faut préparer ses dossiers assidûment, c'est un vrai travail de moine.

Quelle a été votre plus grand défi?

Le stress de la préparation et l'inconnu sont parfois difficiles à gérer. Vous pouvez avoir un client qui paraît solide, très bien préparé pour témoigner et qui, une fois devant le juge, va suer à grosses goûtes. Alors on se ronge les ongles! Quand je rencontre un client, je lui demande de me dire ce qu'il ne veut pas que je sache: je veux les mauvaises nouvelles, les bonnes, je n'ai pas besoin de le savoir.

Le stress a toujours été un moteur pour moi, même si aujourd'hui je ne carbure plus à ça. La meilleure façon de le vaincre est d'avoir une vie personnelle bien rangée. J'en connais plus d’un qui ont arrêté la pratique à cause de ce stress ambiant.

Que pensez-vous du nouveau Code de procédure civile?

L'évolution est lente mais va dans le bon sens. C'est toujours difficile pour un avocat d'assurer la gestion d'un dossier alors que le temps joue souvent en faveur du défendeur et que la confusion sert souvent sa position. Je suis d'accord avec le fait de donner plus de pouvoirs au juge, même si ça comporte des risques… la justice est humaine.

Limiter les délais est également une priorité: attendre 18 mois pour passer devant un juge alors que le dossier est prêt n'est pas acceptable. Il est aussi important de limiter les « avocateries »: ce n'est pas que je n'ai pas confiance dans le Barreau, mais il faut voir la réalité en face.

Depuis le début de votre carrière, en quoi la profession d'avocat-a-t-elle changé?

La profession est beaucoup plus attentive au besoin de la clientèle et il y a aussi plus d'obligations déontologiques: nous ne sommes plus sous une cloche de verre et aucun écart n'est permis. Ce qui se passe à la cour est plus visible, il y a donc plus de sévérité sur le comportement des avocats. Les universités préparent mieux à l'exercice de la profession, il y a plus d'outils, même si les choses évoluent aussi beaucoup plus rapidement.

Le Barreau joue son rôle de protecteur du public, c'est imparfait mais il y aura toujours place à l'amélioration. L'ordre intervient de plus en plus dans les débats publiques, comme sur les soins de fin de vie, ce qui est une bonne chose

Comment envisagez-vous l'avenir des grands bureaux?

Les grands bureaux sont dépendants des dossiers d'affaires complexes, requérant une expertise de pointe, que les contentieux internes ne peuvent pas développer. Il est difficile de savoir où cette pratique va les mener, tandis que les structures de coûts et les honoraires sont trop importants pour que les entreprises deviennent dépendantes. LKD ne joue pas sur ce terrain: nous intervenons surtout dans des dossiers de litige complexes.

Il va falloir baisser les coûts et se pencher sur le rapport existant entre les revenus qu'on paie et le risque qu'on couvre. La compétition entre les bureaux incite aussi à surpayer pour ne pas perdre les bonnes ressources. J'ai hâte de voir l'analyse qui sera faite de la déconfiture d'Heenan Blaikie. J'ai été très étonné de la vitesse à laquelle tout ça s'est décousu.

Le litige dans 20 ans, ça ressemblera à quoi?

Je ne sais pas si on aura un logiciel à jugements mais ça existe déjà aux États-Unis et ils ont de bons résultats! Le droit est logique, et il y a toujours eu et il y aura toujours des erreurs judiciaires. On pourrait aussi penser à un logiciel qui évaluerait les risques pour le client selon un système de probabilités. Mais quelle sera alors la place de l’avocat?

Il y aura sans aucun doute de meilleurs outils pour travailler et des façons d'accélérer le recours au tribunal. Quand j'ai commencé, il n'y avait pas de divulgation de la preuve et de communication au préalable, le procès était conduit en embuscade, ce qui nous rendait forcément méfiants. C'est peut-être pour ça aussi que j'étais stressé (rires). Aujourd'hui, les dossiers sont plus complexes, on a tellement de moyens à notre disposition, on retourne plus de pierres et la cachette est beaucoup plus difficile.

Quels sont vos projets?

J'ai réduit mon volume de travail et je vais voyager. J'ai aussi un projet d'écriture qui recenserait toutes les causes que j'ai plaidées depuis 1964, notamment devant la Cour suprême. Pour moi, c'est le nirvana de la pratique, il n'y a rien de plus satisfaisant que ça!
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