Jurisprudence

Congédié ? Minimisez vos dommages !

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Jean R. Allard

2014-07-28 11:15:00

Dans quelles mesures un salarié congédié sans motif doit-il limiter ses dommages ? La réponse avec un avocat spécialisé en droit du travail et de l’emploi…

Me Jean R. Allard est associé au bureau montréalais de Norton Rose Fulbright
Me Jean R. Allard est associé au bureau montréalais de Norton Rose Fulbright
Un salarié réclame en Cour supérieure de son ancien employeur une indemnité substantielle en délai-congé par suite de son congédiement sans motif sérieux.

La Cour supérieure a rendu le 6 mai dernier un jugement et rappelé un principe important du Code civil du Québec :

1479. La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.
Les faits

Dans cette affaire, le demandeur, un cadre intermédiaire, avocat de formation, occupe un poste de directeur des travaux publics pour le Conseil des Montagnais du Lac-St-Jean.

Il gère une équipe de quelques personnes qui se plaignent au directeur général de son comportement trop tatillon. Ces plaintes culminent à l’occasion d’une réunion lors de laquelle une subalterne du demandeur explose littéralement de colère à l’encontre du demandeur qui lui avait fait une remarque négative sur son travail.

Le directeur général, confronté à une démobilisation importante au sein de l’équipe du demandeur, le relève de ses fonctions pour analyser la situation. Après quelque temps, il lui propose une relocalisation dans un poste de « greffier » à des conditions salariales bonifiées pour ce poste mais tout de même inférieures de 25 000 $ par an au poste de directeur qu’il occupait.
La décision

La Cour donne raison au demandeur qui alléguait que cette offre constituait un congédiement déguisé. Ceci signifie a priori que l’employeur, en l’absence d’un motif sérieux de congédiement, doit indemniser l’employé congédié.

Toutefois, l’employeur améliorera plus tard son offre pour offrir des conditions salariales similaires au poste occupé antérieurement par le demandeur.

L’intérêt de ce jugement réside alors dans l’analyse que fait la Cour de l’offre bonifiée de l’employeur pour le poste de greffier, eu égard à l’obligation de l’employé congédié de mitiger ses dommages en vertu de l’article 1479 cité ci-dessus :

(101) Cependant, l’offre subséquente de l’employeur de relocaliser le demandeur dans un poste de greffier bonifié pour une période de 14 mois et selon les mêmes conditions salariales que celles de son poste de DTPH, doit aussi être analysée sous l’angle de l’obligation de l’employé de minimiser ses dommages. (notre soulignement)

La Cour rappelle alors le principe établi par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Evans c Teamsters Local Union, (2008) 1 RCS 661 et en citant l’extrait suivant de ce dernier arrêt :

(105) Ainsi, le refus par l’employé congédié d’accepter un autre poste offert par l’employeur lui-même fut sanctionné et en 2008, la Cour suprême dans l’affaire Evans c Teamsters Local Union, circonscrit les éléments à considérer à ce chapitre :

7.4.8(1) … En l’espèce, la Cour suprême du Canada a clarifié l’obligation pour un employé de limiter le préjudice causé par un congédiement injustifié en énonçant que, dans certaines circonstances, l’employé congédié devra retourner travailler pour le même employeur si cela lui est offert. Elle insiste cependant sur le fait que cela ne sera possible seulement dans l’hypothèse où il n’existe pas d’obstacle à la reprise de l’emploi et qu’il faudra considérer au cas par cas le caractère raisonnable des efforts de l’employé pour limiter son préjudice.

La Cour estime que le refus de M. Evans d’accepter l’offre de son employeur constituait un défaut à son obligation de réduire ses dommages. En l’espèce, l’offre de revenir au travail jusqu’à la fin d’une période de 24 mois, identifiée comme la période de délai de congé, était survenue cinq mois après le congédiement de l’employé et dans un contexte où des négociations entre procureurs étaient entreprises pour identifier l’étendue de l’indemnité de fin d’emploi à laquelle M. Evans avait droit. Tout comme la Cour d’appel du Yukon, la Cour suprême estime que cette offre était raisonnable et qu’en l’absence de preuve d’animosité entre les parties ou d’incapacité de l’employé à remplir ses fonctions, il était requis que ce dernier accepte l’offre soumise.

… Si l’employeur offre à l’employé la possibilité de limiter son préjudice en revenant travailler pour lui, la question centrale à trancher est de savoir si une personne raisonnable accepterait une telle offre. Il faut s’attendre à ce qu’une personne raisonnable le fasse si le salaire offert est le même, si les conditions de travail ne sont pas sensiblement différentes ou le travail n’est pas dégradant, et si les relations personnelles ne sont pas acrimonieuses. Il existe d’autres facteurs pertinents, notamment l’historique et la nature de l’emploi, le fait que l’employé ait ou non intenté une action, et le fait que l’offre de reprise de l’emploi ait été faite pendant que l’employé travaillait encore pour l’employeur ou seulement après son départ. L’élément essentiel, c’est que l’employé ne doit pas être obligé, pour limiter son préjudice, de travailler dans un climat d’hostilité, de gêne ou d’humiliation. Même s’il y a lieu de recourir à un critère objectif pour déterminer si une personne raisonnable placée dans la même situation que l’employé aurait accepté l’offre de l’employeur, il est de la plus haute importance de prendre en compte, dans l’évaluation, les aspects non tangibles de la situation – y compris le climat de travail, la stigmatisation et la perte de dignité. (soulignements du Tribunal)

Or, pour la juge de la Cour supérieure, non seulement en l’espèce le salaire du demandeur était le même pour le poste de greffier que celui de directeur mais, au surplus, « …convenait à ses qualifications sans que celui-ci soit exactement similaire à son ancien emploi au niveau des fonctions ».

La Cour en vient à la conclusion, au détriment du demandeur :

(111) Par conséquent, en l’absence d’obstacle pour ce faire, le demandeur n’a pas limité son préjudice en refusant la proposition de l’employeur. Le demandeur avait droit à une indemnité tenant lieu de délai de congé suite à son congédiement déguisé. Or, en refusant le poste de greffier aux mêmes conditions salariales pour 14 mois, il n’a pas limité son préjudice et se prive donc de sa réclamation. (notre soulignement)

Il faut donc retenir de cette affaire que l’employeur confronté à des situations organisationnelles critiques peut envisager avec une relative sérénité des relocalisations stratégiques qui rencontrent les critères de l’arrêt Evans et s’en tirer à bon compte!

Pour lire le jugement cliquez ici.

Me Jean R. Allard est associé au bureau montréalais de Norton Rose Fulbright où il pratique le droit de l’emploi et du travail. En plus du litige, il conseille des clients dans le cadre de la préparation et de la négociation du renouvellement de conventions collectives, notamment dans des cas de restructuration ou de récupération.
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