Entrevues

Qu'est-ce qui fait la rentabilité d'un cabinet ?

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Céline Gobert

2015-06-16 15:00:00

Comment peut-on la contrôler ? Qu’est-ce qui la menace ? Quels sont les coûts cachés ? Quel est l’impact de la mondialisation ? Discussion avec deux associés directeurs de grands cabinets québécois ...

Me P Mario Charpentier, associé directeur chez BCF
Me P Mario Charpentier, associé directeur chez BCF
C’est le client qui est le garant de la rentabilité, annonce d’emblée Me P. Mario Charpentier, associé directeur et l’un des six fondateurs de BCF, qui compte aujourd’hui plus de 180 professionnels au Québec. « Le bien-être du client doit nous guider, dit-il, un client insatisfait est un client qui ne revient pas. »

Pour que le client soit heureux, il faut un avocat performant...et donc heureux. C’est ce que pense Me Jean-Jacques Rainville, avocat et président du conseil de direction du cabinet de 85 avocats Dunton Rainville, pour qui, « un cabinet n’est pas une entreprise complexe en termes financiers », puisque comme toute entreprise, il facture, perçoit et contrôle ses dépenses. « La gestion des ressources humaines détermine en grande partie la rentabilité du cabinet », explique-t-il.

Les coûts cachés d’un cabinet, ajoute Me Charpentier, ce sont les gens qui ne sont pas capables de donner leur pleine performance, qui jouent en silo, qui ne sont pas polyvalents. « Notre plus grande dépense c’est le salaire des professionnels ». Autant vous dire qu’il n’y a pas de place pour l’inefficacité quand un cabinet veut être rentable. « On fait le ménage de printemps chez nos gens, il faut être pertinent pour rester dans l’organisation. »

Le rôle à jouer du cabinet

Le cabinet qui ne maintiendrait pas un environnement de travail agréable et qui ne serait pas équipé correctement ne réaliserait que des économies trompeuses, explique Me Rainville. L’impact sur la rétention de personnel est considérable. L’ensemble des coûts « back office », dit-il, doivent servir à épauler les avocats : la bibliothèque, les photocopies, la comptabilité.

De son côté, si BCF fête sa vingtième année « sans dérailler » avec un chiffre d’affaires record en 2014, indique Me Charpentier, c’est grâce au respect de cette règle d’or, « la clé de tout », dit-il, avant de préciser que « les calculs, les statistiques, la littérature sur le sujet issue des réunions entre associés et directeurs mondiaux ne sont bons que sur le court terme ».

Ce n’est pas la rentabilité qui « drive » le projet, ajoute-t-il, mais bien le client, « on ne bâtit pas un bureau en partant des chiffres » mais des ressources humaines. Pour cela, BCF mise beaucoup sur la génération Y des 35 ans et moins. « On met au coeur du futur des avocats à “l’approche business”, branchés sur le client, capables de devenir des leaders, qui ont vécu, voyagé, travaillé dans d’autres entreprises. »

Lisser les coûts

Jean-Jacques Rainville, avocat et président du conseil de direction du cabinet Dunton Rainville
Jean-Jacques Rainville, avocat et président du conseil de direction du cabinet Dunton Rainville
Chez BCF, 80% du chiffre d’affaires vient de 20 % de clients parmi lesquels moins de 3% représentent le plus gros montant de leur facturation. Il va sans dire que le cabinet chouchoute ces clients là. « Nous appliquons un plan de match clair, dans la transparence, la communication, on produit des rapports annuels, on écoute les gens ».

Aussi, leur structure de coûts est plus basse que les compétiteurs avec qui ils font affaire, explique Me Charpentier, ce qui leur permet d’être bien implanté dans le mid-market au Québec. Ils sont ainsi très présents auprès des grands clients très nichés, spécialisés, en fusions et acquisitions par exemple, « c’est important de savoir comment parler aux gens d’ici, connaître le langage d’ici ».

L’erreur, selon Me Charpentier, serait de ne plus avoir de temps pour se soucier de l’autre, « de devenir tellement gros qu’on ne peut plus connaître l’équipe ». Il est évident que la taille du cabinet ne fait pas sa rentabilité. Chez BCF, on ne mise ainsi pas tout sur l’image ou le marketing. « Nous effectuons moins de dépenses dans l’apparat, l’immobilier, les réceptions, le luxe pas nécessaire. » L’investissement est fait dans les humains, les meilleurs logiciels, ou comme Dunton Rainville dans la technologie.

« On va ainsi “lisser” les coûts comme disent les financiers», indique quant à lui Me Rainville, et ce afin d’éviter de faire de grosses dépenses soudaines par la suite. « Chaque fois que l’on se dote d’un service, il doit être essentiel et bénéfique pour l’avocat que ce soit la technologie, la sécurité de nos systèmes informatiques ou l’environnement. »

L’entrepreneuriat, la seule mode à suivre

La principale menace qui pèse sur la rentabilité d’un cabinet c’est « le manque de discipline », affirme Me Rainville, tant en ce qui concerne la facturation que la gestion de « l’inventaire-temps », cette mesure éminemment juridique indiquant le temps invendu, celui que l’avocat n’a pas facturé. « Souvent les avocats très occupés sont en amour de leur profession, mais un peu moins avec l’administration ! », plaisante-t-il.

Il faut également « se benchmarker par rapport aux autres cabinets », indique l’avocat, chercher dans la comparaison avec les autres cabinets des indices sur plusieurs données telles par exemple : « est-ce qu’on perçoit dans des délais raisonnables ? »

Il ne faut pas non plus être trop dépendant d’un secteur d’activité, ajoute Me Charpentier. Par exemple : trop se concentrer sur le pétrole. « Tu peux perdre de l’aile solide en suivant une mode du jour cyclique comme le Plan Nord », dit-il, avant de préciser que la seule mode à suivre c’est celle de l’entrepreneuriat, avec une vision et une ambition dans des secteurs diversifiés.

Et l’arrivée de joueurs internationaux ?

Pour BCF, l’arrivée sur le marché de cabinets internationaux est « formidable ». Comme l’explique Me Charpentier, des clients qui rencontrent des conflits d’intérêts sont des clients qui considèrent alors BCF comme une option. « Nous sommes bons amis avec les grands cabinets. Les mouvements et les transactions sont à notre avantage. »

« Les cabinets internationaux ? C’est une vue de l’esprit », réplique Me Rainville, ajoutant que la difficulté « plus profonde », se situe dans le déplacement des marchés financiers et des sièges sociaux vers Toronto. « Une vraie problématique de société », en termes de redéveloppement économique, selon lui.

« Le droit est toujours national. Si on a un dossier en France, ce sont les avocats français qui vont s’en occuper. Le reste ce n’est que de l’arrangement commercial pour la mise en marché », conclut-il.
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