L’affaire Khuong sous la loupe

Main image

Céline Gobert Et Daphnée Hacker-b.

2015-07-03 15:00:00

Le C.A. a-t-il agi avec mesure? La bâtonnière a-t-elle failli à son devoir de transparence? Les avocats sont divisés sur les évènements des derniers jours...

Le Barreau a-t-il été trop rapide en demandant la démission de la bâtonnière Me Lu Chan Khuong ?

Me Daniel Rock
Me Daniel Rock
« Non », répondent Mes Daniel Rock et Louis Lapointe. Présomption d’innocence ou pas, elle avait l’obligation morale d’informer les membres du Barreau dans le cadre de son élection pour le poste de bâtonnière. « On ne peut pas dire que cela n’a pas eu lieu !, s’insurge Me Rock. Dire que c’est elle qui va nous représenter partout dans le monde ! ».

En ne prévenant personne au Barreau, Me Lu Chan Khuong a crée une mauvaise surprise et a brisé le lien de confiance. « Elle aurait dû le dire, car elle sait que tout finit par se savoir », dit quant à lui Me Lapointe, qui a été directeur de l’École du Barreau de 1995 à 2001. L’avocat à la retraite rappelle que Lu Chan Khuong est devenue vice-présidente du Barreau du Québec au cours du même mois où elle a obtenu la déjudiciarisation de son dossier (juin 2014). «Ce n’est pas une affaire qui remonte à plusieurs années, c’est tout récent. Elle aurait dû le déclarer avant les élections, quitte à perdre», lance-t-il.

Me René Verret, porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me René Verret, porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me René Verret, le porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales, en entrevue avec Le Soleil, rappelle que le fait d'accepter la non-judiciarisation ne constitue pas un aveu de culpabilité. Toutefois, le procureur pourra non judiciariser seulement s'il est moralement convaincu de pouvoir faire la preuve de la culpabilité du contrevenant.

De plus, le procureur est le seul à disposer des détails du dossier, en plus bien sûr de Me Khuong. « Les procureurs ont accès au registre dans le cadre de leur travail, mais les seules informations qu'ils y trouvent sont le nom du contrevenant et la date et le type d'infraction », a-t-il indiqué.

Qu’en est-il de la présomption d’innocence ?

Me Claude Provencher, ex-directeur général
Me Claude Provencher, ex-directeur général
Pour Me Richard Philippe Guay, avocat criminaliste à Québec, la rapidité d’action du C.A. vient contredire tous les grands principes enseignés dans les facultés de droit, selon lui. « Bénéficie-t-on encore de la présomption d’innocence dans notre beau pays ? Il me semble que c’est un principe d’extrême importance. »

Il rejoint ainsi l’opinion émise par l’ex-directeur général Claude Provencher. En entrevue avec Droit-inc, il rappelle qu’il n’y a ni accusation, ni condamnation, et une explication crédible non contredite. «Le rôle premier des avocats est de défendre la présomption d’innocence. En agissant de la sorte, le C.A. se discrédite lui-même», a-t-il déclaré.

Avait-elle une obligation légale et/ou morale d’en informer le Barreau ?

Me Richard Philippe Guay
Me Richard Philippe Guay
« Peut-on considérer une non-accusation comme un antécédent judiciaire qui devrait être mentionné au Barreau ? », demande Me Richard Philippe Guay. Pour le criminaliste, il est clair que la bâtonnière n’avait pas d’obligation légale, ni éthique, d’informer le Barreau puisqu’elle n’a jamais été accusée.

Car, poursuit Me Guay, la déjudiciarisation du dossier de Me Khuong signifie qu’il n’y a pas eu d’accusation. L’avocat de la Couronne qui a rencontré Me Khuong pour statuer sur son cas a jugé bon de ne pas donner suite à la plainte. Cela veut dire que le dossier n’a pas été ouvert, et qu’il ne s’est jamais rendu au procès. « Il s’agit donc d’une information qui relève du domaine privé », précise Me Guay.

Me Louis Lapointe
Me Louis Lapointe
En voulant devenir bâtonnière, Me Khuong avait l’obligation morale d’informer les membres, rétorque Me Louis Lapointe. «Quand on veut être l’image d’une justice pure, c’est difficile d’inspirer la confiance avec une tache au dossier…. elle aurait dû faire face à la situation et être transparente», répète-t-il. En agissant de la sorte, «elle mine la crédibilité du public envers les politiciens, trop souvent accusés de manquer de transparence», ajoute Me Lapointe.

Que va-t-il se passer maintenant ?

Me Marie-Pier Boulet, vice-présidente de l’AADM
Me Marie-Pier Boulet, vice-présidente de l’AADM
« Quelles sont les raisons réelles qui soutiennent la décision du Barreau de suspendre la bâtonnière ? ». C’est l’interrogation majeure qui ressort de la réunion de l’Association des Avocats de la défense de Montréal (AADM) qui s’est tenue jeudi au sujet de l’affaire Khuong, indique à Droit-inc Me Marie-Pier Boulet, vice-présidente de l’AADM. Il faut que le Barreau clarifie les reproches adressés à la bâtonnière, trop « flous » selon la VP.

« Quand on reproche quelque chose à quelqu’un, il faut cibler avec précision ce qu’on lui reproche. » D’autant plus, ajoute Me Boulet, quand des mesures aussi drastiques qu’une suspension sont prises. « Le Barreau lui reproche son manque de transparence… mais en vertu de quelle obligation ?».

Pour Me Richard Philippe Guay, la bâtonnière Khuong pourrait très bien porter plainte pour diffamation.

En attendant le dénouement…

Selon le Règlement sur les élections du Barreau, en cas d’absence ou d’empêchement du Bâtonnier d’exercer ses fonctions, « le vice-président désigné à cet effet par le Conseil d'administration le remplace».

Le Barreau compte présentement deux vice-présidents: Antoine Aylwin, de Montréal et Louis-François Asselin, du Barreau de Laurentides-Lanaudière. Les deux juristes ont appuyé le candidat défait Luc Deshaies aux élections du Barreau du Québec le 22 mai dernier.

En cas de changement de bâtonnier, l’article 81 du Code des professions prévoit qu’un vote ait lieu au sein du C.A., afin qu’un administrateur élu puisse assurer le rôle jusqu’à la fin du mandat. Le Code stipule aussi qu’un autre mode peut être utilisé, ouvrant la possibilité de tenir de nouvelles élections.

À suivre…

!
Sondage Express

15456

Publier un nouveau commentaire

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires