Karim Renno

Liberté de presse et intérêt public

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Karim Renno

2015-08-19 14:15:00

En matière de liberté d'expression - et particulièrement de liberté de presse - la question de l'intérêt public pèse lourd dans la balance entre cette liberté d'expression et la protection du droit à la réputation, analyse le Jeune Super Plaideur..

Le jeune super plaideur Karim Renno
Le jeune super plaideur Karim Renno
Une question peut être d'intérêt public en raison de son sujet général ou en raison de la personne visée. Il n'est pas nécessaire que l'on retrouve ces deux éléments comme le souligne la Cour d'appel dans Gill c. Chélin (2015 QCCA 1280).

Dans cette affaire, les Appelants se pourvoient à l'encontre d'un jugement de première instance qui a accueilli le recours de l'Intimée en diffamation, a ordonné le retrait des articles en litige et a condamné les Appelants à verser des dommages de l'ordre de 35 000$.

Dans son recours, l'Intimée faisait valoir que les trois articles de l’Appelant en litige - lesquels ont été publiés dans un bulletin d’information syndical - sont diffamatoires et lui causent un tort énorme. Ceux-ci font la revue d’un litige amorcé en 1991 impliquant, entre autres, l’Intimée et le Syndicat des professeurs et des professeures de l’Université du Québec à Montréal.

Les Appelants contestent une telle qualification et plaident qu’ils traitent d’une question d’intérêt public, soit l’utilisation de l’appareil judiciaire avec pour toile de fond un différend émanant des rapports collectifs de travail. Ils constituent au surplus des commentaires loyaux et raisonnables.

La juge de première instance en est venu à la conclusion que les articles ne touchaient pas à un sujet d'intérêt public puisqu'ils étaient centrés sur l'Intimée - elle-même pas une personnalité publique.

Selon une formation unanime de la Cour d'appel, la juge de première instance a eu tort à cet égard. En effet, l'Honorable juge Manon Savard souligne que le sujet abordé - l'utilisation du système de justice - est en soi un sujet d'intérêt public. Elle ajoute que l'intérêt public en la matière s'attache soit au sujet ou à la personne visée, pas nécessairement aux deux:

''(50) Toutefois, elle se trompe en écrivant que la question soulevée perd ce caractère d’intérêt public du seul fait que M. Gill personnalise le débat ou que ce dernier concerne une personne qui n’est pas « un personnage public ». Dans Société TVA inc. c. Marcotte (Société TVA), prononcé après le jugement entrepris, le juge de première instance avait conclu que le télédiffuseur et la journaliste avaient commis une faute dans le cadre d’une émission de télévision en abordant un sujet d’intérêt public (questions reliées à la vente de chevaux entre un commerçant dans le domaine équestre et un consommateur) en se servant d’une affaire privée. La juge Thibault, au nom de la Cour, rejette cet énoncé et écrit :''

(…)

''(51) Tout comme dans cette affaire, l’intimée pose de tels « gestes en société » en ayant recours aux tribunaux pour faire valoir ses droits. Ses attentes en matière de vie privée diminuent pour autant. ''

''(52) Je reconnais que les articles de l’appelant ne s’inscrivent pas dans « une démarche journalistique du reportage d’enquête » comme c’était le cas dans l’affaire Société TVA. Toutefois, j’estime que la même conclusion s’impose en l’espèce compte tenu du cadre et du contexte dans lesquels ces articles s’inscrivent. Ceux-ci sont rédigés aux fins de publication dans le bulletin du Syndicat destiné à ses membres. Ils portent sur un litige avec lequel celui-ci est aux prises depuis de nombreuses années et dans lequel il a, sans contredit, investi son temps et l’argent de ses membres. On y voit là un exemple des conséquences du non-respect des dispositions de la convention collective relatives au processus d’évaluation des professeurs. Le fait que, selon la juge, peu de lecteurs pourraient s’intéresser à ces propos n’a pas pour conséquence de les exclure pour autant de l’intérêt public, pourvu qu’un groupe donné ait un intérêt véritable à recevoir la communication. ''

''(53) En l’occurrence, les gestes posés par l’intimée et révélés par M. Gill sont pertinents à la question d’intérêt public discutée dans les articles et ne répondent pas à « un simple objectif de voyeurisme médiatique » comme l’écrivait le juge LeBel, alors à la Cour, dans Société Radio-Canada c. Radio Sept-Iles.''

Voilà une décision intéressante en la matière, laquelle démontre également la place importante que prend la protection de la vie privée en matière de diffamation au Québec. Comme le souligne la Cour ici, moins l’expectative de vie privée est grande, plus les chances sont grandes qu’une question se retrouve dans la sphère de l’intérêt public.

Karim Renno est associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis Inc. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.
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