Avant tout une question éthique

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Jean-bernard Marchand

2015-09-02 11:15:00

Pour l’auteur, l’appréciation de considérations éthiques auraient du conduire la bâtonnière à révéler la non-judiciarisation dont elle a fait l’objet, même en l’absence d’obligation légale...

Pour Jean-Bernard Marchand, l’appréciation de considérations éthiques auraient du conduire la bâtonnière à révéler la non-judiciarisation dont elle a fait l’objet
Pour Jean-Bernard Marchand, l’appréciation de considérations éthiques auraient du conduire la bâtonnière à révéler la non-judiciarisation dont elle a fait l’objet
Un nouveau chapitre du feuilleton pour le moins médiatisé entourant la suspension de la bâtonnière Lu Chan Khuong par le conseil d’administration du Barreau du Québec s’est écrit la semaine dernière, d’une part alors que les membres étaient convoqués lundi à une assemblée générale extraordinaire et, d’autre part, parce que la Cour supérieure du Québec rejetait vendredi la demande de réintégration immédiate de Me Khuong à son poste de bâtonnière, en l’absence d’urgence et jugeant le dossier toujours en évolution.

On le sait, l’ordre professionnel qui regroupe plus de 25 000 avocats du Québec et qui doit normalement être gardien de la confiance du public envers le système de justice connaît une crise interne inusitée et sans précédent. Alors que l’une et l’autre des parties s’accusent d’actions illégales et diffamatoires, la cause est maintenant portée contre toute attente devant les tribunaux. Une chose est certaine, pour la population en général, ces « avocasseries » n’aident en rien l’image d’une profession qui souffre déjà d’un faible degré de confiance dans l’opinion québécoise.

Le rôle de l’éthique

Et si la solution au litige se trouvait ailleurs que dans les tribunaux et dans son mode de régulation rigide de contrôle et de surveillance ? Devant la noblesse théorique du droit et de sa pratique, la judiciarisation éhontée de l’affaire Khuong auquel assiste le public, motivée principalement par la défense d’intérêts individuels en réaction aux attaques mutuelles des parties prenantes, est un autre exemple qui vient fragiliser davantage le monopole du système judiciaire et les limites de son raisonnement.

Dans ces circonstances, peut-on affirmer, par exemple, que la bâtonnière a fait preuve d’éthique en omettant d’informer ses commettants avant l’élection de cette histoire présumée de vol à l’étalage ?

Car derrière cette histoire bien singulière se cache avant tout un important conflit de valeurs qui échappe à la dynamique régulatrice du droit. Alors que le droit prescrit la conformité d’un comportement en relation à une norme en provenance d’une source externe, l’éthique vise à renforcer l’autonomie du jugement individuel en la mettant en relation avec un corpus de valeurs partagées par la société. L’objectif est d’arriver à la fois à une décision acceptable, raisonnable et juste.

L’éthique vise également une logique préventive dont la réflexion initiale est motivée par les possibles conséquences négatives d’une action sur le plan individuel, mais également sur le plan collectif. Cette démarche sert autant les contextes très normés, permettant même de remettre en cause le bien-fondé de certaines règles parfois jugées désuètes, comme celles entourant la criminalisation de la possession simple de marijuana, ou une certaine agilité opérationnelle dans les espaces non régulés comme l’économie de partage ou la recherche expérimentale.

Ainsi, à la lumière des bases du raisonnement éthique, est-ce que le poste le plus prestigieux au Barreau du Québec convoité par Me Khuong, alors aspirante grande répondante des avocats du Québec et de la protection du public, était accompagné d’un devoir éthique général de divulgation aux membres et au conseil d’administration ?

Dans les circonstances actuelles, et malgré mes sympathies avérées envers la bâtonnière, il faut admettre que Me Khuong aurait dû agir autrement et faire preuve d’une plus grande transparence auprès des membres, et ce, malgré le fait qu’aucune règle juridique ne l’obligeait à le faire. C’est en fait ici le noeud du dilemme, car la bâtonnière devait bien se douter des conséquences d’une possible fuite d’informations à son sujet et aurait pu renforcer sa légitimité en jouant cartes sur table dès le début. Aujourd’hui, peu importe l’issue de cette guérilla, c’est tout son plan de réforme qui risque d’y passer, pour une histoire jugée banale par une majorité de membres.

Certes, les questions soulevées entourant notamment la défense de la vie privée des parties impliquées, la fuite suspicieuse des informations confidentielles au sujet du vol présumé de Me Khuong et le contexte des luttes politiques féroces qui animent les protagonistes depuis le début de la campagne électorale, dont l’enjeu touche des réformes audacieuses et impopulaires auprès d’une certaine frange de la communauté juridique, sont des éléments qui définissent les contours de la trame narrative. Toutefois, le cadre conceptuel de l’éthique demeure le plus approprié afin de circonscrire la problématique, de proposer une voie de sortie honorable pour les deux parties au litige et, le plus important de tout, d’éviter une situation similaire à l’avenir.

Changement de culture

Évidemment, nous avons la chance de vivre à l’intérieur de sociétés qui construisent leur cohérence et leur prévisibilité par la présence de règles juridiques bien établies. Personne ne contestera les assises contemporaines permettant aujourd’hui au Québec d’organiser le plus harmonieusement possible ce vivre ensemble de plus en plus complexe à bâtir.

Parce que l’avocat jouit d’un statut de privilégié à l’intérieur de notre pyramide sociale, ces professionnels ont une responsabilité supplémentaire. Étant devenus pratiquement indispensables pour déchiffrer les codes de plus en plus sophistiqués régissant nos vies quotidiennes, ils doivent militer activement pour une plus grande complémentarité des autres familles normatives dont sont issues les règles éthiques et déontologiques. Ce combat est à mon sens fondamental pour la réforme de nos institutions, et ce, même s’ils doivent en apparence combattre leurs propres préjugés fonctionnels défavorables envers la gestion alternative de la régulation des comportements externes au droit pur.

Pourtant, les résolutions discutées par les membres lundi lors de l’assemblée extraordinaire se trouvaient malheureusement en périphérie de ces questions de fond. Une enquête de la ministre de la Justice ou la réintégration sans condition de la bâtonnière suspendue n’aident en rien la réflexion que commandent les actes de Me Khuong et des membres du conseil d’administration.

Sans l’implémentation plus rapide de ces enseignements, cette affaire ainsi que le comportement des parties impliquées ne seront qu’une histoire parmi tant d’autres, qui ternit la réputation de la profession d’avocat, qui confirme l’enlisement d’un ordre professionnel trop lent à se réformer et qui cultive malgré lui les dérives d’un système judiciaire déjà marqué par les profondes iniquités de traitement.

Jean-Bernard Marchand est maitrisard de l’École nationale d’administration publique (ENAP) et diplômé en droit de l’Université de Montréal et en gestion publique de l’Université du Québec à Montréal. Il a développé au fil du temps une expertise entourant les questions d'éthique et de gouvernance, de gestion de la performance et de mobilisations des ressources humaines.

M. Marchand occupe actuellement un poste en gestion de projet dans l’appareil public québécois en plus de cumuler des expériences de gestion dans le secteur privé à la Banque nationale du Canada ainsi que pour le Cirque du Soleil.

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