Portrait

Troquer sa toge pour des pinceaux

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Martine Turenne

2016-02-12 15:00:00

Artiste peintre et procureure au ministère fédéral de la Justice, cette juriste passionnée cultive une belle dualité. Droit-inc l’a rencontrée dans son atelier…

Me Ilinca Ghibu, avocate et peintre, ou peintre et avocate, selon les jours.
Me Ilinca Ghibu, avocate et peintre, ou peintre et avocate, selon les jours.
Peut-on aimer peindre des fleurs autant que de se plonger dans le code civil ? Oui, répond à Droit-inc Me Ilinca Ghibu, avocate et peintre, ou peintre et avocate, selon les jours.

La juriste, âgée de 44 ans, nous ouvre les portes de son atelier alors qu’elle termine son exposition à la galerie Les démons de Notre-Dame, dans le quartier Griffintown.

Elle a pris deux congés sans soldes, ces trois dernières années, de son employeur, le ministère de la Justice du Canada, pour se consacrer à une passion dévorante : la peinture. Une centaine de toiles, trois expositions, plusieurs symposiums plus tard, Ilinca Ghibu peut dire que sa sabbatique artistique a été fructueuse ! Et très intense.

« Une peintre que j’aime beaucoup a dit : ‘Painting is a blessing and a curse’. Et c’est très juste. Les bas sont aussi terribles que les hauts sont magnifiques. Je n’ai jamais vécu pareilles émotions en droit !»

Ses dernières toiles témoignent de ses ultimes explorations: les fleurs et les roues. Son inspiration demeure l’impressionnisme américain, et des peintres comme Cy Twombly.Depuis qu’elle se consacre intensément à son art, sa technique évolue, son travail s’affine. « Une de mes forces, c’est la couleur, dit-elle. Je les maîtrise, je les harmonise. Je m’arrête peu aux détails. »

Le grand saut

Ilinca Ghibu a toujours aimé dessiner et colorier
Ilinca Ghibu a toujours aimé dessiner et colorier
Même si elle a toujours aimé dessiner et colorier, et accompagner ses parents dans les musées, Ilinca Ghibu a suivi un parcours en droit « des plus traditionnels », comme elle le dit: diplôme dans les temps réglementaires, stage dans un gros cabinet, Barreau (1998), emploi chez Desjardins, Ducharme.« Mais l’art était toujours en moi. »

En 2000, cette Roumaine d’origine, arrivée au Canada à l’âge de quatre ans, décide de consacrer un soir par semaine à un hobby bien à elle, à l’extérieur du foyer. Les cours de peinture s’imposent. À chaque session, automne, hiver comme printemps, elle prend un cours, d’abord au Centre des arts Saydie Bronfman, puis au Centre des arts visuels de Montréal, qu’elle fréquente toujours.

« C’était mon espace à moi, à travers ma vie familiale, professionnelle et sociale. Je ne le faisais pas en vue d’une carrière. J’ai énormément appris. J’ai côtoyé des professeurs formidables. »


En septembre 2012, elle décide de s’offrir une pause. Son fils a neuf ans, elle souhaite lui consacrer plus de temps. Et aussi, de s’investir dans sa passion.

Elle est à l’emploi du ministère de la justice du Canada, dans le litige fiscal, où elle défend les avis de cotisation. Tous les jours, pendant que son fils est en classe, elle peint dans son atelier de la rue Meilleur, derrière le Marché central.

Un moment magique

Ilinca Ghibu rencontre l’artiste et encadreur Jorge Ramos
Ilinca Ghibu rencontre l’artiste et encadreur Jorge Ramos
L’année passe, et Ilinca Ghibu voit arriver sa date de retour au travail avec appréhension. « Je me suis dit, c’est pas vrai, je ne vais pas juste peindre pour peindre. Je veux exposer. » Elle rencontre l’artiste et encadreur Jorge Ramos, qui loue son espace, rue Notre-Dame, aux artistes. Elle organise un vernissage, en juin 2013.

Un franc succès. « C’était la fête » dit-elle. Toutes ses œuvres sont exposées. Et elle les a toutes vendues. Ilinca Ghibu reconnaît que son réseau, composé d’avocats en moyen, férus d’art, a contribué au succès de sa première exposition. « Je ne suis pas naïve, dit-elle. Mais ça été magique.»

Tout comme ça le fût de voir son nom sur une affiche géante. Tout à coup, Ilinca Ghibu, la peintre, devenait une réalité.

Se dévoiler… dans la pudeur

En avril 2014, Ilinca décide de s’offrir un autre congé, d’une durée de deux ans celui-là.
En avril 2014, Ilinca décide de s’offrir un autre congé, d’une durée de deux ans celui-là.
Deux mois plus tard, en août, elle retourne travailler au ministère. « Ça n’a pas été évident. » Elle continue de peindre le soir, le week-end, et elle participe à quelques expositions de groupe. « C’était trop. »

En avril 2014, Ilinca décide de s’offrir un autre congé, d’une durée de deux ans celui-là. Elle sait qu’elle est privilégiée. « En travaillant pour le gouvernement, j’ai cette opportunité de pouvoir m’arrêter, ce qui serait peu réaliste dans un cabinet. »

Son mari, Sylvain Lussier, est avocat chez Osler, Hoskin et Harcourt. Les deux collectionnent les œuvres d’art depuis longtemps. Les murs de la résidence familiale sont remplis de toiles d’artistes… mais pas encore d’Ilinca Ghabu. L’avocate se garde une petite gêne. Tout comme elle le fait dans son art.

« Je ne me dévoile pas complètement. C’est paradoxal, car un artiste veut aussi se montrer au monde entier. J’ai des choses à dire… on peut le voir, mais pas trop. Je garde une certaine pudeur. »

Il y a toujours du lettrage, dans ses toiles, parfois caché, parfois pas. « C’est mon journal, en quelque sorte. Il y a des choses qu’on veut montrer, d’autres qu’on veut cacher, d’autres, embellir. »

À suivre

Avril 2016 arrive à grands pas. Ilinca Ghibu ne sait pas ce que l’avenir lui réserve. « Je sais seulement que l’art doit rester dans ma vie, dit-elle. Je veux poursuivre ma démarche artistique. »

Durant sa deuxième sabbatique, elle s’est employée à mettre en valeur son travail. Elle organise des événements, des portes ouvertes, va cogner aux portes des galeries, à Québec, en Floride... Elle s’est entourée d’un photographe, d’un graphiste, et d’un concepteur de sites web. « Je gère mon entreprise. »

Sa grande satisfaction est de vendre désormais des toiles à l’extérieur de son réseau, « à des gens qui ne me connaissent pas, et qui aiment mes tableaux».

Durant ces deux dernières années, Ilinca Ghibu a vécu sa passion. Mais aussi la solitude, liée à l’art. Son environnement est plus déstructuré. Ses collègues lui manquent. Tout comme les balises que lui donne son milieu de travail, au ministère.

« J’aime le droit, dit-elle. C’est rigoureux, rationnel. Il me ramène les deux pieds sur terre, et j’en ai besoin. Mais me dire que je ne peindrai plus… Impossible! L’art doit garder une place importante dans ma vie. Ah ! Si je pouvais marier les deux ! »

« C’est à suivre », répète-t-elle à plusieurs reprises durant notre rencontre. À suivre, en effet.

...
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12 commentaires

  1. DSG
    En travaillant pour le gouvernement, j’ai cette opportunité de pouvoir m’arrêter
    That kind of attitude is the reason why our governmental agencies are in such a pathetic condition and that nothing ever gets done. It's probably not her file but nevertheless; how many convictions have come from all the UPAC investigations? They talk about their leisure work conditions as if it's normal. Let's adopt the American system in which prosecutors are elected and maybe we'll get some ambitious career oriented people working for the minister of justice.

    • JD
      députés élus
      Our representatives are elected, see the results...

    • DSG
      The lawyers
      I meant the prosecutors, not the minister.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 8 ans
      Détournement du bien public
      C'est vrai, les cabinets et les entreprises ne permettent pas de tels congés sabbatiques.

      Imaginez, l'avocat de compagnie ou en pratique privée qui se pousse pour un an à intervalle régulier. Penser trouver un remplaçant pour un an, c'est illusoire. Les dossiers vont seulement s'empiler sur le bureau, et rien de ce qui doit être fait ne sera fait.

      Apparemment, il y a un niveau de service que le bien public ne mérite pas.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 8 ans
      Pas vrai
      Je travaille au service juridique d'une grande entreprise privée. Je pense que toutes les grandes entreprises ont a peu près la même politique à ce sujet. Il est possible de demander un congé sans solde, mais votre position est alors remplacée de façon permanente. Lorsque vous terminez votre congé, vous pouvez réintégrer l'entreprise seulement si un poste est disponible pour vous. Si vous êtes un bon employé, on vous trouvera quelque chose. Mais l'employeur n'est pas obligé de vous reprendre.

      Ça semble différent dans le public...

    • DSG
      Where are these companies
      Which companies allow you to take two years off to go paint shower curtains and then go back to work? Even if such companies existed I wouldn't care, since those companies don't work for me. But the government; we pay the highest tax rate in North America yet our government agencies are bloated, ineffective and sometimes corrupted. Then we have to listen to people brag as to how slack and secure their government jobs are. I'm tired of it.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 8 ans
      re Pas vrai
      Je pense que vous ne comprenez pas ce qu'est une sabbatique ... Ce que vous décrivez, c'est simplement le fait pour un employeur de ne pas mettre l'employé qui quitte sur une 'liste noire" et refuser de l’engager dans l'avenir, SI un poste est disponible. Big deal. Quand on quitte un emploi en bons termes, c'est généralement ce qui se passe de toutes façons.

      La sabbatique dans le secteur public (et/ou syndiqué), c'est ceci: vous quittez votre poste pour une année, et vous ne perdez aucun de vos droits. (J'ai même vu des cas où l'ancienneté continue à être cumulée ...) Votre place est tenue au chaud. Parfois l'employeur peut vous remplacer, mais comme on le sait, remplacer un professionnel pour un an, c'est illusoire.

      Et donc l'employé quitte et laisse ses tâches et responsabilités en plan, pour qu'elles marinent dans la poussière ou qu'elles aillent surcharger les collègues restés au travail, en attendant que vous reveniez de votre tour du monde en voilier ou autre projet personnel.

      Moi je crois que la sabbatique ne devrait jamais être permise à moins qu'un remplaçant ait été embauché. (Sauf pour du perfectionnement / études ou recherche en lien direct avec le poste, ou à la rigueur, des congés accordés à des fins humanitaires, exceptionnellement, par ex: accompagner son conjoint en fin de vie, etc.)

      Je veux dire, si on créé un poste et qu'on verse un salaire à une personne, c'est qu'il y a un BESOIN, right? Alors, comment justifier qu'on puisse se passer de cette personne pendant des années? Le besoin est disparu? Qu'on coupe le poste !

      Mais je rêve, cette pratique ne changera pas.

      Alors tant que ces privilèges existent, j'aimerais ça en profiter aussi.

      LA question qui m'intéresse: comment peut-on se faire embaucher à de tels postes? Comment savoir quand les "concours" vont se dérouler dans la fonction publique, quand on n'a pas de contact privilégié?

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 8 ans
      pas une critique de la consoeur ...
      En passant, ça n'est pas du tout une critique de Me Ghibu, qui selon l'article, réalise qu'elle est privilégiée.

      De pareilles conditions de travail, comme les retraites à 50 ans ou les congés de "maladie" qu'on peut accumuler au fil des ans, etc. ne peuvent se justifier de nos jours.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 8 ans
      Anonyme
      Ce n'est pas différent

    • Anonymous
      Anonymous
      il y a 8 ans
      Another View
      DSG,

      Your commentary is ill-informed and frankly disrespectful to Me Ghibu's talent as both a lawyer and artist.

      Both public and private sector enterprises offer leaves of absence. Perhaps not in private legal firms, but it is the norm, not the exception to be scoffed. They give the employer a way to reduce costs in a weak economy without losing talent in the longer run. They allow mature employees the opportunity to refresh their energy and broaden their perspective, both of which have a direct positive impact upon return. They also create opportunities for other lawyers to contribute on a term-basis while the incumbent is on leave. All of these factors mean that these types of leaves are nothing but very productive and valuable which is why they are the norm.

      As to your disrespectful reference to 'paint shower curtains' you show how little you know about art. Me Ghibu's art shows a natural talent, passion and vision. She has already created a number of significant works, and has quickly become recognized as an artist with significant potential.

      Me Ghibu is a bright, sophisticated, successful lawyer, and as I have shared above, an artist we should all take more time to follow. Quebec will be fortunate either way Me Ghibu chooses to continue and balance her career in law and art. The world needs more, not fewer people doing what Me Ghibu is doing.

  2. Lg
    Bravo chère consœur!
    "L'art sauvera le monde" mais vous êtes trop ignares pour comprendre cette vérité apparement... Dommage!

  3. me
    Sol et Gobelet
    J'ai toujours admiré le goût de la scène que Sol possède et je me disais que cela allait avec le port de la toge. Maintenant je me dis que sa conjointe l'inspire!

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