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La liberté de religion comme prétexte

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Andréanne Malacket

2016-04-04 11:15:00

Dans le débat des mariages religieux, le véritable enjeu est celui des conséquences civiles qui devraient être rattachées au mariage, qu’il soit religieux ou civil, selon cette avocate…

Me Andréanne Malacket est avocate, doctorante et chargée de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Me Andréanne Malacket est avocate, doctorante et chargée de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Il y a grand débat, depuis quelques semaines, autour des conséquences juridiques qui sont rattachées au mariage célébré religieusement par un ministre du culte.

Alors que la Cour supérieure, dans un jugement du 2 février dernier, semble avoir avalisé l’interprétation de Québec voulant qu’un mariage religieux n’entraîne pas nécessairement de conséquences au plan civil, les partis d’opposition ont multiplié les attaques auprès de la ministre de la Justice afin qu’elle clarifie une fois pour toutes sa position en réaffirmant – comme le premier ministre Couillard l’a fait — que tout mariage religieux comporte des effets civils.

Or, plutôt que de répondre à l’invitation de ses collègues, la ministre de la Justice a finalement préféré invoquer son devoir de réserve au motif que le litige est pendant devant les tribunaux. Il lui aurait pourtant été loisible de ramener le débat à l’essentiel — soit la nécessité de s’interroger sur les effets du mariage, voire de mener une réforme globale du droit de la famille — plutôt que de se claustrer dans un mutisme qui paraît gênant.

Le véritable débat s’en trouve d’ailleurs d’autant plus éludé qu’on assiste maintenant à un glissement vers des questions centrées sur l’unique argument de liberté de religion, telles l’utilisation de la clause dérogatoire et la séparation entre Église et État en matière de mariage.

Croyants, non-croyants

Pourtant, quand on s’y attarde, l’essence de la controverse ne trouve pas source dans de telles questions. Le problème ne découle pas vraiment d’une atteinte à la liberté de religion. C’est certes l’argument de commodité qu’on a fait valoir devant le tribunal. C’est un prétexte magnifique ; une poigne certaine sur le plan juridique. Une thèse de nature à faire réfléchir et capable de convaincre la Cour d’appel, celle-ci étant à présent saisie du litige.

Or, politiquement et socialement, la polémique suscitée par le jugement de la Cour supérieure concerne plutôt les conséquences civiles impératives — patrimoine familial, prestation compensatoire, mesures de protection des meubles du ménage et de la résidence familiale et obligation alimentaire — qui se rattachent au mariage, qu’il soit célébré religieusement ou civilement.

En effet, à l’opposé du croyant, le non-croyant ne pourrait pas invoquer la liberté de religion pour tenter de se soustraire aux conséquences civiles du mariage. Or, il n’en demeure pas moins que le non-croyant pourrait aussi se sentir « obligé » au mariage — cette fois pour des raisons culturelles, familiales ou sociales —, mais ne pas vouloir de ses effets impératifs. Dans un tel scénario, peut-on sérieusement avancer que la séparation entre Église et État — plus spécialement entre mariage religieux et civil — réglerait le débat ?

En d’autres termes, devrait-on distinguer entre croyants et non-croyants quant aux effets que devrait revêtir le mariage ? Plus encore, si tant est qu’on accepte l’argument que les dispositions du Code civil portant sur les effets du mariage sont attentatoires à la liberté de religion, faudrait-il refuser à certains ce qu’on permettrait à d’autres au motif qu’ils se refusent d’être des enfants de Dieu ? Poser la question, c’est y répondre.

Discussion à la pièce

L’instauration d’un système à deux vitesses est séduisante. D’abord, parce qu’il a déjà fait ses preuves dans d’autres parties du globe, notamment en France. Ensuite, parce que, pour certains, il permettrait de nous mettre définitivement à l’abri du « joug » de cette Église qui n’a pas bonne presse et qu’il convient presque de détester.

Pourtant, la mise en place d’un système à deux vitesses ne règle en rien le véritable enjeu. Pas plus, d’ailleurs, que l’utilisation de la clause dérogatoire advenant qu’atteinte à la liberté de religion soit démontrée. Parce que le véritable enjeu, c’est celui des conséquences civiles qui devraient être rattachées au mariage, qu’il soit religieux ou civil.

Aussi, c’est à cette question qu’il convient de réfléchir. L’État doit-il encore imposer à tous les couples mariés un certain nombre de mesures impératives destinées à les « protéger » ? Ne convient-il pas plutôt d’aménager un espace d’autonomie qui permette aux couples mariés de se soustraire à l’application de telles mesures par contrat notarié ?

En d’autres termes, serait-il judicieux d’instaurer un système d’opting out, qui redonnerait pleine liberté aux couples mariés d’aménager leurs rapports patrimoniaux à leur guise, après consultation d’un officier de justice indépendant ? Et qu’en est-il de l’union de fait ? Puisqu’on a tant voulu « protéger » la femme mariée, pourquoi ne pas protéger la femme unie de fait ? À la lumière de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Éric c. Lola, convient-il de revisiter le régime actuel ? Serait-il profitable de prévoir des garanties minimales, notamment lorsque, en présence d’enfants communs, les conjoints se retrouvent en situation d’interdépendance économique ?

La création d’une nouvelle prestation compensatoire dite « parentale », qui viserait à compenser les désavantages économiques subis durant la vie commune en raison du partage des rôles parentaux, se défend-elle ? Ce sont autant de points abordés par le Comité consultatif sur le droit de la famille, présidé par le professeur Alain Roy, qui a été mandaté par Québec pour réfléchir à une éventuelle réforme du droit de la famille et qui a déposé son rapport en juin 2015.

En ce sens, l’urgence de donner suite à cette réflexion paraît éclatante, d’autant qu’on se trouve à présent contraint de discuter à la pièce des obligations liées au mariage. De véritables consultations publiques, où tous les acteurs seront conviés au débat, doivent être menées au plus vite. La ministre de la Justice aurait d’ailleurs avantage à s’y engager dès maintenant. Une telle solution, en plus d’être responsable, aurait le mérite de recentrer le débat sur des enjeux sociaux qui vont bien au-delà de la liberté de religion.

Ce texte est initialement paru dans Le Devoir.

Me Andréanne Malacket est avocate, doctorante et chargée de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
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