Analyse juridique

Vers la fin de la facturation horaire?

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Theodora Navarro

2016-04-25 15:00:00

Fonctionner avec des modes de tarification alternatifs est un pari que deux jeunes avocates ont décidé de relever. Est-ce l’avenir des juristes? Droit-inc a mené l’enquête…

Me Teodora Niculae
Me Teodora Niculae
C’est en novembre dernier que Me Teodora Niculae et Me Anne-Edma Louis ont décidé de lancer Audãx Avocats, un cabinet qui propose une approche différente, notamment en termes de facturation. Une initiative intéressante à l’heure où le Barreau s’interroge sur la durabilité de la tarification horaire.

« Nous travaillons dans l’espace de co-working Fabrik8, entourées de nombreux entrepreneurs, notamment dans le domaine des nouvelles technologies, explique Me Niculae. Nous nous sommes rendues compte qu’il n’existait pas réellement d’offres de services adaptées à cette clientèle. Nous avons souhaité leur offrir des tarifs plus abordables. »

Un système moins traditionnel et figé

Me Anne-Edma Louis
Me Anne-Edma Louis
Le cabinet a donc choisi de jouer le jeu, entre autres, de la tarification forfaitaire. « Nos clients savent exactement ce qu’ils vont dépenser », souligne Me Niculae. Un système qu’il a été difficile de mettre en place car il était important d’évaluer de la façon la plus juste possible le temps nécessaire pour mener à bien chaque mandat. Les deux avocates ont connu quelques ratés à leurs débuts. « Mais on apprend!», assure-t-elle un sourire dans la voix.

Un abonnement mensuel est également proposé, à un taux forfaitaire. Parmi sa clientèle, le cabinet constate notamment l’omniprésence des entreprises naissantes ou celle d’entrepreneurs exerçant depuis une ou deux années. « On a un prix de base qui se situe entre 1300 et 1500 dollars, explique Me Niculae. Mais si les entrepreneurs ont des revenus moindres, on s’adapte aussi à eux, à leurs possibilités. » Services à prix fixes, rencontres virtuelles et flexibilité horaire sont autant de choses que ce jeune cabinet propose.

Les deux avocates constatent un certain dédain des jeunes entreprises envers la facturation horaire. Comme si, aujourd’hui, la relève de l’entrepreneuriat souhaitait un système moins traditionnel, et moins figé. Une étude réalisée en 2009 par le ministère de la Justice révèle que seuls 11,7% des Canadiens sollicitent des avocats pour régler leurs différends. Une large part de marché reste donc encore à conquérir.

Les petits cabinets jouent le jeu

Les cabinets de taille moyenne semblent les plus à même de mettre en place des modes alternatifs de tarification (MAT). Systèmes ayant pour but d’offrir une tarification différente de la tarification horaire qui est appliquée par la plupart des cabinets, les MAT présentent souvent un avantage pour le client.

Parmi ceux-ci, on retrouve notamment la tarification forfaitaire, dans le cadre de laquelle un avocat exerce son service à un prix fixe, le prix plafond - le tarif horaire est appliqué mais avec un montant total maximum, la tarification conditionnelle au succès ou encore les frais fixes mensuels.

Pour autant, les avocats qui connaissent les MAT ne sont pas majoritaires. Selon le rapport du Barreau, 61% des avocats en contentieux affirment même ne pas connaître les différentes options qui s’offrent à eux en la matière.

Me Karim Renno
Me Karim Renno
Me Karim Renno, associé au sein du cabinet __Renno Vathilakis Inc__, dont il est le co-fondateur, propose fréquemment des arrangements alternatifs à ses clients. Sa préférence va au système mixte : un taux horaire réduit assorti d’un pourcentage. Il peut également y avoir un taux horaire avec un plafond par étape. « Ce qui fait toujours peur, c’est de facturer un montant précis, reconnaît Me Renno. Car alors l’avocat assume une part importante du risque. Il est plus facile de contrôler le coût avec un taux horaire. »

L’avocat ne peut assumer tous les risques

Pour cette raison, Me Renno pense que la facturation horaire ne devrait pas disparaître pour le moment. « Quand on prend un mandat, on ignore combien d’interrogatoires il va y avoir et combien de temps cela va prendre, estime-t-il. Même si l’expérience permet d’avoir une idée assez précise, il est difficile de demander à un avocat d’assumer tous les risques dans un dossier. »

Reste que, lorsqu’un client a de la difficulté à payer les honoraires, le cabinet lui propose un arrangement alternatif. Cette souplesse lui est conférée, selon Me Renno, par la taille du cabinet. « Une tarification alternative suppose un accord entre les associés, explique-t-il. Lorsque le cabinet est international, une telle mise en place peut être plus compliquée. »

De la simplicité de la facturation horaire

Me Don McCarty, associé du cabinet Lavery
Me Don McCarty, associé du cabinet Lavery
Pourtant Me Don McCarty, associé au sein du grand cabinet Lavery, assure que la mise en place des arrangements alternatifs est déjà effective. Il est formel : le Barreau rapporte une réalité que les cabinets constatent depuis déjà plusieurs années. « Il va y avoir une accélération dans l’utilisation de ce type de facturations, estime-t-il. Cela va de pair avec l’avènement des nouvelles technologies informatiques qui nous permettent de proposer des choses différentes à nos clients ».

Ce qui intéresse le plus le cabinet aujourd’hui est de répondre aux désirs des clients. « Nous avons déjà tenté toutes les formules possibles, pense Me McCarty. Il y a généralement un partage du risque. » Admettons, par exemple, qu’un tarif est prévu de façon forfaitaire. « La transaction peut ne pas se réaliser, ou alors, au contraire, le client va connaître un beau succès… Dans les deux cas, le prix ne change pas, c’est là qu’il y a partage du risque. »

Pour cet avocat d’expérience, les clients veulent surtout un équilibre. La facturation horaire reste un fonctionnement plus facile à gérer et à mesurer. Et il est peu complexe. « Certains MAT sont très compliqués à comprendre et à mettre en place, nous ne voulons pas quelque chose qui complique davantage un mandat. » Dans les années 60, au moment de sa mise en place, la tarification horaire répondait en effet à un souci de transparence demandée par la clientèle.

Vers un 50/50 ?

Le rapport du Barreau souligne par ailleurs les conséquences parfois néfastes de l’utilisation de la tarification horaire. Concurrence entre avocats, prise de raccourcis, duplication et excès de procédures, la liste est assez exhaustive. Me McCarty, qui a lu de près le rapport, estime que de tels cas existent, certainement, « mais cela présuppose que l’avocat qui agit ainsi viole le code de déontologie. Par ailleurs, dans les modes alternatifs de facturation, il peut exister aussi de mauvais pendants, comme dans le cadre de la tarification conditionnelle au succès par exemple où l’avocat peut être tenté d’oublier ses devoirs envers le client et les tribunaux. »

Me McCarty, qui a été longtemps vice-président d’un service contentieux, dit avoir vu naître les MAT il y a longtemps. Un 50/50 entre celles-ci et la facturation horaire classique pourrait bientôt apparaître. Reste que la tarification horaire n’est, selon lui, pas prête de disparaître. « Je suis sûr que ce n’est pas pour demain », sourit-il.
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