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Mariage et «union spirituelle»: connaît-on les réalités de terrain?

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Noël Saint-pierre

2016-05-03 11:15:00

Cet avocat a été frappé par le manque apparent de connaissance au ministère de la Justice des réalités des mariages religieux qui ne sont pas déclarés au directeur de l’état civil...

Me Noël Saint-Pierre est l’ex-président du Comité sur la diversité ethno-culturelle du Barreau de Montréal.
Me Noël Saint-Pierre est l’ex-président du Comité sur la diversité ethno-culturelle du Barreau de Montréal.
Récemment, la Cour supérieure était saisie de la demande d’un homme qui prétendait que, du fait de sa religion (chrétienne évangélique), il ne devait pas être lié par les obligations civiles du mariage.

Il alléguait que sa liberté de religion était brimée par les dispositions du Code civil en matière de mariage : cet homme n’avait aucune intention d’être lié par ces dispositions, qui donnaient des droits à son épouse, mais avait besoin du mariage pour cohabiter (et avoir des rapports intimes) avec cette dernière.

La Procureure générale du Québec était une partie au procès et a fait la différence, dans ses arguments, entre un mariage reconnu par l’État et une célébration religieuse qui pourrait s’apparenter à une « union spirituelle ». Dans les médias, on parle du « jugement Alary » (le nom de la juge qui a rendu le jugement) parce que les noms des parties sont confidentiels.

En prenant connaissance des arguments présentés par la Procureure générale du Québec devant la Cour supérieure, j’ai été frappé par le manque apparent de connaissance au ministère de la Justice du Québec des réalités des mariages religieux qui ne sont pas déclarés au directeur de l’état civil.

Comme avocat, je travaille surtout en droit de l’immigration. Je côtoie des personnes de plusieurs communautés ethnoculturelles — surtout provenant d’une immigration récente — et de plusieurs religions. Mes clients ont généralement peu de connaissance des dispositions du Code civil ou d’autres lois qui peuvent concerner les couples (fiscalité, assurance automobile, accidents de travail, pensions, notamment).

Abus et mécompréhension

Plusieurs de mes clients m’arrivent avec une attestation de mariage délivrée par un célébrant religieux accrédité par les autorités du Québec. Je découvre parfois, par exemple, dans un dossier de parrainage, que le mariage n’a jamais été déclaré au directeur de l’état civil. Le parrainage, dans ces circonstances, n’est pas possible. Ces couples tombent des nues et ne veulent pas croire qu’ils ne sont pas mariés selon la loi. Ils ont souvent des enfants et ils sont connus dans la communauté comme époux.

D’autres couples me présentent des attestations de mariage religieux alors que l’un des époux est encore marié à une autre personne. Parfois, ces personnes — surtout des hommes — ne savent pas que le premier mariage célébré dans leur pays d’origine a une valeur juridique au Québec. Je ne parle pas uniquement de pays musulmans, mais de pays comme le Chili, l’Albanie ou Cuba. Ces personnes ne sont pas toujours contentes d’apprendre qu’on peut les qualifier de polygames.

Il y a encore des personnes « mariées » religieusement, qui m’arrivent après une séparation, parfois provoquée par des incidents de violence conjugale. Un ou une des partenaires, généralement la conjointe, apprendra qu’elle n’est pas l’épouse légale de son « mari », mais au mieux une conjointe de fait.

Il n’y a pas de patrimoine familial (devinez à qui appartient le domicile familial) et n’a aucun droit à une pension alimentaire. Il s’agit trop souvent d’une femme qui a peu d’instruction et peu ou pas de connaissance du français ou de l’anglais. Son seul recours pour survivre sera l’aide sociale. De plus, l’arbitrage des conséquences de la séparation est parfois géré par un ministre du culte sans tenir compte des principes du droit québécois.

Le contre-exemple ontarien

La position de la Procureure générale du Québec, si elle est reprise par la Cour d’appel et, éventuellement la Cour suprême, aura pour conséquence de conforter la polygamie, de permettre une discrimination à l’égard des femmes et de permettre un arbitrage religieux des « divorces » (ces séparations sont définies, en termes religieux, comme des divorces), en plus de créer un fardeau supplémentaire pour l’aide sociale.

En 2005, le gouvernement de l’Ontario était séduit par l’idée de reconnaître l’arbitrage religieux en droit familial. Le Barreau du Québec est intervenu de façon énergique dans ce débat. Il est utile de rappeler la position du Barreau :

''« Ainsi, permettre l’arbitrage religieux en matière familiale ferait perdre aux Québécois et aux Québécoises des acquis fondamentaux de notre société libre et démocratique à l’égard de la séparation absolue entre le droit civil et le droit religieux. Le Barreau du Québec estime que le principe de la diversité culturelle n’implique pas l’instauration de juridictions d’exception, telles que l’arbitrage religieux en matière familiale. »''

La position de la Procureure générale semble être que le « choix » entre une union spirituelle qui s’appelle mariage religieux et un « vrai » mariage selon les principes du droit civil du Québec est un choix fait par deux personnes égales et pleinement informées des dispositions juridiques.

Sans parler des communautés issues de l’immigration récente, la moitié de la population québécoise serait fonctionnellement analphabète.

Devant ces réalités, il est impératif que toute personne autorisée à célébrer un mariage soit contrainte de déclarer ce mariage au directeur de l’état civil du Québec. Il est tout aussi impératif que les représentants de la population québécoise tiennent compte, dans leurs prises de position, des réalités de la diversité ethnoculturelle et sociale du Québec.

Me Noël Saint-Pierre est l’ex-président du Comité sur la diversité ethno-culturelle du Barreau de Montréal.
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