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Justice : un système en mutation

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Mélanie Dugré

2016-05-30 11:15:00

Les avocats se résignent-ils à leur statut de moutons noirs? Les jeunes avocats sont-ils davantage sensibilisés au devoir de civilité et de courtoisie? Une avocate se positionne…

Me Mélanie Dugré est avocate. Titulaire de baccalauréats en droit civil et common law de l’Université McGill
Me Mélanie Dugré est avocate. Titulaire de baccalauréats en droit civil et common law de l’Université McGill
Il y a 20 ans, j'ai annoncé à mon père ...que mon choix d'études universitaires s'arrêtait sur le droit. S'il ne fut guère surpris, il n'en a pas moins levé les yeux au ciel à l'idée que sa progéniture allait éventuellement se livrer à des « sparages d'avocats ».

Entrepreneur autodidacte, homme d'action et de décisions, mon père a toujours perçu les avocats comme des empêcheurs de tourner en rond ayant le don de tout compliquer. Encore aujourd'hui, il lui arrive, avec humour et affection, de commenter mon travail en parlant de mes « avocasseries ».

Les commentaires de mon père font écho aux résultats d'un sondage mené auprès de 1000 Québécois par la firme INFRAS sur leur sentiment d'accès et leur perception de la justice au Québec.

Quarante-cinq pour cent des répondants disent avoir une opinion globalement négative du système de justice, 52 % ne croient pas que les jugements rendus soient justes et à peine 51 % font confiance aux avocats.

Devant de tels résultats, on ne saurait se borner à hausser les épaules en plaidant que l'opinion publique n'a pas bougé sur ces questions depuis 10 ans. Au contraire, il est impératif d'examiner la situation avec réalisme et lucidité.

Le fait que 52 % des gens sondés ne croient pas que les jugements rendus soient justes n'est guère surprenant. En matière civile par exemple, il est entendu que si un dossier se rend à l'étape du procès, une des parties échouera dans ses procédures et sera assurément insatisfaite de l'issue du litige.

Or, une décision décevante n'est pas pour autant injuste, pas plus que le magistrat qui a rendu le jugement n'est partial ou incompétent. Il s'agit plutôt d'une question de perception, inhérente à notre système contradictoire, qui rend d'autant plus pertinents les modes alternatifs de résolution des litiges mis de l'avant dans le nouveau Code de procédure civile.

Le verdict rendu sur la confiance envers le système judiciaire est, quant à lui, beaucoup plus troublant puisqu'il met en lumière les failles d'une des pierres angulaires de notre démocratie. Pourtant, ce système est en perpétuelle remise en question, transformation et mutation. Les changements, qui s'opèrent de l'intérieur, sont malheureusement peu perceptibles de l'extérieur et tardent à produire des effets concrets sur les justiciables.

La réforme du Code de procédure civile, destinée à améliorer l'efficacité et l'accessibilité du système, ainsi que le virage vers la justice participative, nous permettent toutefois d'espérer un regain de confiance envers notre justice.

Les moutons noirs

Les avocats, intervenants de première ligne de ce système bien imparfait, semblent par ailleurs résignés à leur statut de moutons noirs, qui se traduit par une désolante cote d'appréciation de 51 %. Chaque membre du Barreau doit porter un morceau de ce disgracieux chapeau et une part de responsabilité devant cette décevante statistique.

La réforme du système et de ses lois-cadres passe aussi par une évolution des moeurs, comme une obligation accrue de collaborer entre confrères, qui dépasse désormais les frontières de notre Code de déontologie en étant codifiée au Code de procédure civile.

Si certains membres de la vieille garde, réfractaires au changement, demeurent des adeptes des débordements et engueulades de corridor, les temps changent et les jeunes avocats sont de loin plus sensibilisés au devoir de civilité et de courtoisie. Encore faut-il que la profession les accueille dans un contexte attrayant, ce qui est loin d'être le cas selon un autre sondage, mené auprès des membres du Jeune Barreau, qui révèle que les conditions de stage et d'embauche se sont sérieusement détériorées.

À l'issue de notre réflexion, si nous, intervenants de première ligne, ne sommes pas enclins à examiner notre petit nombril pour modifier nos pratiques et comportements, les tentatives pour transformer et améliorer le système resteront vaines et nous continuerons de porter ombrage à une justice qui reste fondamentalement droite et équitable.

Pour ma part, 20 ans, quelques déceptions et désillusions plus tard, je choisirais encore le droit, avec sans doute moins de naïveté et de candeur, mais sans contredit avec autant de passion et la même ferveur. N'en déplaise à mon père !

Ce texte est initialement paru dans La Presse.

Me Mélanie Dugré est avocate. Titulaire de baccalauréats en droit civil et common law de l’Université McGill, elle a toujours exercé en litige, d’abord au sein du cabinet McCarthy Tétrault jusqu’en 2007 et depuis, en contentieux d’entreprise à la Great-West/London Life/Canada Vie.
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