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Ayez votre chien à l’oeil!

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Julie Pomerleau

2016-06-16 11:15:00

À l’heure où le Québec pourrait interdire les pitbulls, voici un bref survol en matière de responsabilité du propriétaire d’un animal. Gardez-le à l’œil, conseille cette juriste...

Julie Pomerleau est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2009.
Julie Pomerleau est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2009.
Lorsque j’étais jeune, nous avions à la maison un chien de race boxer nommé Tango. Il était affectueux et protecteur, surtout pour son maître, mon frère. Toutefois, Tango avait un défaut, et un gros. Parfois, sans crier gare, il se mettait à courir hors de notre propriété et, durant ces « courtes fugues », il n’était pas possible de l’attraper, car il devenait agressif, même envers nous.

Voici un bref survol en matière de responsabilité du propriétaire de l’animal afin de vous démontrer quelles auraient pu être les conséquences des petites escapades de mon chien!

Tout d’abord, l’étendue de cette responsabilité est énoncée à l’article 1466 du Code civil du Québec (C.C.Q.), qui se lit comme suit :

''Le propriétaire d’un animal est tenu de réparer le préjudice que l’animal a causé, soit qu’il fût sous sa garde ou sous celle d’un tiers, soit qu’il fût égaré ou échappé.''

''La personne qui se sert de l’animal en est aussi, pendant ce temps, responsable avec le propriétaire.''

Cette disposition, qui crée une véritable présomption de responsabilité, « ne permet pas au propriétaire ou à l’usager de l’animal de se dégager de sa responsabilité en prouvant absence de faute, c’est-à-dire en établissant avoir pris les moyens raisonnablement prudents et diligents pour prévenir la survenance du dommage causé par l’animal » (Gagné c. Nepton, paragr. 20 Tremblay c. Pelletier, paragr. 20).

Seule la preuve d’une force majeure, une faute de la victime ou une faute d’un tiers permettra au propriétaire et à l’usager de l’animal de se libérer de cette responsabilité,laquelle est cumulative entre eux et non alternative (Gagné, paragr. 22).

À titre d’exemple, en mars dernier, la Cour du Québec (Bolduc c. Ferland-Bouchard) a accordé 7 000 $ à un garçon de cinq ans qui a été mordu par un chien à la main et au poignet. Étant donné qu’au moment de l’incident ce dernier était sous la garde d’une amie du propriétaire, la juge a fixé sa part de responsabilité à 35 % et celle de l’usager de l’animal, à 65 %.

Quant à la faute de la victime, elle « peut servir soit à éliminer totalement la responsabilité du gardien, soit à la mitiger lorsqu’elle n’a fait que contribuer au préjudice subi. D’une manière générale, les tribunaux exigent une prudence élémentaire à l’égard des animauxdont les réactions sont souvent imprévisibles, et retiennent une faute chez la victime qui n’a pas observé cette prudence en provoquant l’animal, en l’effrayant, ou en ne prenant pas à son endroit les précautions que la situation imposait » (Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, paragr. 1-974, et Tremblay, paragr. 20 [caractères gras ajoutés]).

Voici deux jugements ayant appliqué ce principe. Tout d’abord, dans l’affaire Tokar c. Poliquin (paragr. 82 et 83), le recours de la demanderesse, qui a été défigurée par un chien de race pitbull, a été rejeté, car elle savait ou devait savoir qu’il est dangereux de s’approcher d’une chienne qui allaite ses chiots, et encore plus d’un animal considéré comme dangereux au point où la municipalité en interdit la possession. Le juge a aussi souligné que la propriétaire avait averti la demanderesse du danger de s’approcher du chien.

Ensuite, dans Bouchard c. Jean, le chien du défendeur était attaché avec une chaîne derrière sa propriété. Sa conjointe et lui ont averti le demandeur de ne pas s’approcher de l’animal parce qu’il pouvait être dangereux. Malgré ces avertissements, ce dernier s’est accroupi devant l’animal et a tendu les mains, que le chien a mordues. Jugeant que le demandeur avait été l’artisan de son propre malheur, aucune responsabilité n’a été retenue contre le propriétaire.

Je vous renvoie maintenant à quelques décisions où des victimes de morsure de chien ont été indemnisées. Dans S.M. c. Rousseau, la Cour supérieure a accordé 74 004 $ à un homme qui avait été mordu au visage au moment où il donnait un biscuit au chien du défendeur. Celui-ci savait que son animal pouvait mordre, car il l’avait déjà fait à deux reprises avant l’incident mettant en cause le demandeur.

Récemment, dans Demers c. Gravel, le demandeur, qui a été mordu au bas du poignet et à la main gauche, soit sa main dominante, par un chien de race montagne des Pyrénées, a eu droit à 9 500 $.

Enfin, dans la cause Lamontagne c. Chainey (Bazar du pneu), le chien de race bull-terrier du défendeur a mordu subitement et sans aucune raison le demandeur à la jambe droite. Le chien était alors sur la voie publique, sans surveillance. Dans ces circonstances, le défendeur a été tenu de réparer le préjudice causé au demandeur, évalué à 17 688 $.

Ce bref survol de la jurisprudence nous démontre que le fait d’être propriétaire ou usager d’un animal peut être lourd de conséquences lorsque celui-ci cause un dommage à un tiers. Ayez votre animal à l’œil puisque ces petites bêtes sont souvent imprévisibles!

Références
  • Gagné c. Nepton (C.Q., 2015-10-01), 2015 QCCQ 10017, SOQUIJ AZ-51223177, 2015EXP-3182.

  • Tremblay c. Pelletier (C.Q., 2014-06-18), 2014 QCCQ 6005, SOQUIJ AZ-51092306, 2014EXP-2810.

  • Bolduc c. Ferland-Bouchard (C.Q., 2016-03-23), 2016 QCCQ 2017, SOQUIJ AZ-51269229.

  • Tokar c. Poliquin (C.S., 2013-05-01), 2013 QCCS 1889, SOQUIJ AZ-50962710, 2013EXP-1770, J.E. 2013-957.

  • Bouchard c. Jean (C.Q., 2004-12-01), SOQUIJ AZ-50307399.

  • M. c. Rousseau (C.S., 2011-07-15), 2011 QCCS 3905, SOQUIJ AZ-50776128.

  • Demers c. Gravel (C.Q., 2016-02-24), 2016 QCCQ 1553, SOQUIJ AZ-51264451, 2016EXP-1515.

  • Lamontagne c. Chainey (Bazar du pneu), (C.Q., 2015-03-18), 2015 QCCQ 2313, SOQUIJ AZ-51162602.


Julie Pomerleau est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2009. Elle écrit pour L'Express en matière de droit municipal, des assurances, de la responsabilité et des dommages. Avant de passer dans l’équipe de rédaction, elle a agi à titre d'agente de formation au sein des Services à la clientèle. Enfin, elle a débuté sa carrière dans le milieu juridique au Service des affaires juridiques de la Ville de Sherbrooke, où elle exerçait la fonction de conseillère juridique-recherchiste.
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3 commentaires

  1. Avocat
    Avocat
    il y a 7 ans
    Avocat
    Lol. On va avoir tellement des beaux débats, avec des éleveurs-experts à la barre témoignant que le chien en question n'est pas un pitbull.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      Sans oublier le Doc Mailloux
      Il doit sûrement avoir un avis sur les traits comportementaux des chiens noirs, et des autres.

  2. jacqueline
    jacqueline
    il y a 7 ans
    libellé d'un règlement
    Tout chien dangereux constitue une nuisance. Aux fins du présent règlement, est réputé dangereux tout chien qui : a mordu ou attaqué une personne ou un autre animal lui causant une blessure ayant nécessité une intervention médicale, telle qu’une plaie profonde ou multiple, une fracture, une lésion interne ou autre;
    Se trouvant à l’extérieur du terrain où est situé le bâtiment occupé par son Article 2.23 La garde des chiens ci-après mentionnés constitue une nuisance et est prohibée :
    a) Tout chien méchant, dangereux ou ayant la rage.
    b) Tout chien qui attaque ou qui est entraîné à attaquer, sur commande ou par un signal, un être humain ou un animal;
    c) Tout chien de race Bull-terrier, Staffordshire bull-terrier, Américan bull-terrier ou Américan staffordshire terrier;
    d) Tout chien hybride issu d’un chien d’une des races mentionnées au paragraphe c) du présent article;
    e) Tout chien de race croisée qui possède des caractéristiques substantielles d’un chien d’une des races mentionnées au paragraphe c) du présent article.
    gardien ou à l’extérieur du véhicule de son gardien, mord ou attaque une personne ou manifeste autrement de l’agressivité à l’endroit d’une personne en grondant, en montrant les crocs, en aboyant férocement ou en agissant de toute autre manière qui indique que l’animal pourrait mordre ou attaquer une personne.

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