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Quelle leçon à retenir du Brexit?

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Guillaume Rousseau

2016-07-04 11:15:00

En dehors du cadre national il ne peut y avoir de démocratie et encore moins de démocratie sociale. Voilà la leçon à retenir du Brexit, selon ce professeur de droit…

Me Guillaume Rousseau est professeur de droit à l’Université de Sherbrooke
Me Guillaume Rousseau est professeur de droit à l’Université de Sherbrooke
À la surprise des classes supérieures du monde entier, le peuple britannique a tranché : il préfère sa démocratie et ses services publics à l’ordolibéralisme européen. En réaction, des europhiles du continent souhaitent pousser la construction européenne encore plus loin et, prétendent-ils, la rendre plus démocratique et plus sociale.

Or, s’il y a bien une leçon à retenir du référendum sur le Brexit, c’est que les Britanniques ont senti le besoin de reprendre le contrôle de leur pays, parce qu’en dehors du cadre national il ne peut y avoir de démocratie et encore moins de démocratie sociale.

Pas de démocratie en dehors du cadre national

Les constructeurs de l’Union européenne ont cru qu’il suffisait de créer des institutions démocratiques en apparence, comme le Parlement européen, pour créer une démocratie européenne. C’était un peu court, car la démocratie ne se résume pas à l’élection de représentants.

Une véritable démocratie suppose qu’il existe un débat citoyen et une opinion publique dont le Parlement est la caisse de résonnance. Pour qu’il y ait un tel débat et une telle opinion, il doit y avoir des journaux, des revues, des lignes ouvertes, bref des médias de masse communs les accueillant.

À l’échelle du Royaume-Uni, comme à celle de tous les États-nations, il existe de semblables médias. Ils sont possibles parce qu’à cette échelle il y a une langue et une culture communes permettant aux citoyens de s’exprimer, de se comprendre et de dégager leur intérêt commun. L’État-nation étant basé sur la coïncidence entre espace politique et espace de convergence culturelle, avec ses composantes il est la seule entité pouvant être véritablement démocratique.

À l’inverse, l’Union européenne étant supranationale, elle n’est pas et ne pourra jamais être une vraie démocratie. Parce qu’il n’y a pas une langue et une culture européennes communes, il n’y a pas de médias de masse communs permettant l’émergence d’un débat citoyen et d’une opinion publique européenne.

Ce qu’il y a à Bruxelles, ce sont des lobbys qui défendent leurs intérêts particuliers et des membres des classes supérieures qui débattent entre eux dans leurs intérêts. Dans ce contexte, la solution aux problèmes des peuples européens n’est pas plus d’Europe, mais moins d’Europe, puisqu’elle éloigne d’eux le pouvoir et le met entre les mains d’une élite déconnectée. Et cela est vrai autant du point de vue de la démocratie tout court que de la démocratie sociale.

Pas de modèle social en dehors du cadre national

Dans sa volonté de dépasser le cadre politique ayant permis l’émergence de la démocratie sociale, basée sur un compromis entre le capital et le travail, l’Union européenne a mis de l’avant le principe de la libre circulation des biens, des services et des personnes.

En permettant ainsi aux multinationales de délocaliser leurs productions vers des pays où la main d’œuvre est meilleur marché, sans perdre l’accès au marché national, ou de faire venir de la main-d’œuvre bon marché au pays, l’Union européenne a rendu superflu ce compromis du point de vue du capital, affaiblissant du coup la démocratie sociale.

Devant cet état de fait, les europhiles de gauche prétendent pouvoir rebâtir la démocratie sociale à l’échelle européenne. Cela est impossible. Cette forme de démocratie suppose que face aux forces du grand capital il y ait des contrepoids, dont une opinion publique et un peuple.

Souvent, lorsqu’un gouvernement national tente d’imposer une réforme néo-libérale, il se bute à une opinion publique réfractaire et parfois même à un peuple qui peut descendre dans la rue pour ainsi bloquer cette réforme. Une telle mobilisation est impossible à l’échelle de l’Union européenne en raison de l’immensité de son territoire et de l’absence d’une opinion publique… et d’un peuple européen.

Sans parler que chaque gauche est nationale et a son propre modèle social issu de son histoire : participation des travailleurs à la direction des entreprises en Allemagne, services publics et Code du travail universels en France, nationalisations et syndicalisme politique en Grande-Bretagne, etc. Autant de modèles fragilisés par l’intégration européenne qui ne sont pas solubles dans quelques normes sociales européennes.

Les travaillistes britanniques ont tenté de convaincre leurs électeurs de voter pour le maintien dans l’union sous prétexte de préserver ces normes, mais comme celles-ci ne font pas le poids face au principe de la libre circulation, leur électorat populaire n’a pas suivi.

Cela ne devrait plus faire de doute : l’État-nation est le seul type d’organisation assez petit pour englober des citoyens partageant une langue et une culture communes, et donc assez petit pour être vraiment démocratique, mais en même temps assez grand pour mettre en œuvre de puissantes mesures sociales protégeant les travailleurs et les citoyens vulnérables contre les effets délétères de la mondialisation.

Ce n’est sans doute pas un hasard si cette réalité nous est rappelée par une des plus vieilles nations démocratiques du monde, et plus précisément par les classes ouvrières et populaires en son sein.

Me Guillaume Rousseau est professeur de droit à l’Université de Sherbrooke. Ses domaines de spécialité sont le droit municipal, le droit de l’aménagement et de l’urbanisme, la procédure civile, le droit constitutionnel et le droit de la langue française.

Il est titulaire d’un LL.B.(Sherbrooke), d’un LL.M. (McGill) et d’un Doctorat en droit de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Université de Sherbrooke (Université Laval). Le sujet de sa thèse de doctorat est L'État unitaire et la décentralisation en France et au Québec : identité nationale et identités régionales.
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8 commentaires

  1. Make droit-inc great again
    Make droit-inc great again
    il y a 7 ans
    title
    Je crois que le nombre de CQFD est négatif dans toute cette "démonstration".

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    FAUX
    Je pense que le prof généralise les motifs qui l'auraient animé s'il avait voté mais que dans les faits il n'a pas du tout suivi la campagne référendaire. De belles théories qui ne résistent pas à l'analyse.

    Le Brexit, ce n'est pas la victoire du petit peuple contre les élites, c'est la victoire de ceux qui propagent le racisme, le "eux-contre-nous" (le nous étant supérieur bien entendu) et qui rêvent encore à une version idéalisée et pourtant bien révolue de l'Empire Britanique où les British étaient les supérieurs. C'est la victoire du repli sur nous et des insulaires.

    Le UKIP est un parti de droite, raciste et anti-immigration. Ils sont les frères idéologiques de Trump aux USA.

    N'en déplaise à ceux qui supportent le mouvement brexit en raison de leur sympathie pour les mouvements séparatistes (et plus particulièrement celui du Québec), UKIP n'a rien à voir avec le PQ et encore moins avec QS et ce référendum n'a rien à voir avec ceux de 80 et 95 au Québec. Et le seul segment de la classe populaire qui a gagné est celui qui a peur de "l'étranger", ce n'est pas le noble travailleur exploité.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      re : faux
      'UKIP n'a rien à voir avec le PQ'

      Save for Drainville's attempt at a charter of course...

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      Et si vous répondiez aux vraies questions soulevées par l'article ?
      Même en présumant que vous aviez raison et que la principale explication du succès du Brexit aux urnes était la xénophobie de l'Angleterre profonde (ce qui serait difficile à confirmer par une personne ayant normalement été absente du R-U pendant la campagne et dont l'hypothèse ne serait donc que le fruit d'une consommation médiatique depuis l'extérieur), cela ne constitue pas pour autant une réponse aux arguments du professeur.

      La thèse du professeur n'est évidemment pas tout à fait libre de militantisme, mais votre réponse ne commente pas du tout le fond de l'article, soit l'idée que la démocratie serait mise à mal quand on essaie de la sortir du cadre national et de l'expatrier vers des entités supranationales dont les décideurs ne sont guère redevables à quiconque, faute d'un public défini et immédiat qui puisse y réagir en temps utile.

      Vous avez peut-être des commentaires à faire sur cette hypothèse-là, qui est le vrai sujet de l'article, mais à présent vous n'en avez pas fait.

      Vvous n'avez fait que répéter la thèse officielle des europhiles pour expliquer leur échec dans la reconquête des coeurs et esprits du public britannique. Or, cette xénophobie qui serait si endémique chez les eurosceptiques ne saurait être l'unique raison que puisse avoir un citoyen d'un État européen pour ne pas adorer la méga-puissance auto-agrandissante que devient l'Union.

      Il faut donc que les intellectuels puissent saisir l'occasion pour rappeler aux divers publics qu'effectivement, l'UE n'est pas à l'abri de critiques sur l'opportunité ou la légitimité de sa croissance, voire de son existence.

      Ne pas pouvoir critiquer l'Europe sans être accusé de racisme, ce n'est pas loin de ne pas pouvoir critiquer l'Église sans être accusé d'hérésie. Inutile donc de cracher le « mot R » à chaque remise en cause du modèle européen actuel, car au final cela ne fera que réduire la crédibilité des europhiles, qui ne sont *pas* (pour l'instant) sans autres arguments convaincants.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      re quelles questions?
      "Or, s’il y a bien une leçon à retenir du référendum sur le Brexit, c’est que les Britanniques ont senti le besoin de reprendre le contrôle de leur pays, parce qu’en dehors du cadre national il ne peut y avoir de démocratie et encore moins de démocratie sociale.

      (...)

      Ce qu’il y a à Bruxelles, ce sont des lobbys qui défendent leurs intérêts particuliers et des membres des classes supérieures qui débattent entre eux dans leurs intérêts."

      Difficile de répondre aux "questions soulevées par l'article" puisque d'une part, l'auteur ne prétend pas qu'il y ait de questions, il présente son point de vue comme une conclusion objective, et d'autre part sa prémisse de base est erronée.

      Les britaniques n'ont pas voulu reprendre le contrôle de leur démocratie sociale, ils ont succombé aux mensonges des insulaires racistes. La démocratie sociale n'appelle pas à une distinction entre nous et les autres (les nouveaux arrivants), élément centrale de la campagne du leave. Les gens n'ont pas voté pour aider ceux dans le besoin, ils ont voté pour foutre dehors ceux qui sont dans le besoin (et qui ne sont pas des "vrais" britanniques").


      Si vous avez suivi le débat, vous savez que déjà une partie de leurs promesses et représentations on été désavouées (voir Farange mentir que le Leave campaign n'avait pas prétendu que le RU pourrait réinvestir 350 millions de livres sterling hebdomadairement dans leur système de santé- en dépit du fait que cet énoncé était sur son autobus de campagne- semble notamment avoir eu l'effet d'une douche froide à plusieurs supporters).

      Si vous suivez le UKIP (parti principal du Leave) depuis un bon moment, vous savez que leur programme est fondé en grande partie sur le refus de l'immigration.

      Mais de toute façon, c'est beau prendre le +/- 52% comme un ensemble, mais faudrait pas perdre de vue, notamment l'Écosse, que plusieurs régions ont voté massivement contre.

      En résumé, je voudrais bien répondre à l'article, mais faudrait faire abstraction de la réalité. Le prolétariat ne s'est pas levé contre les "classes dominantes" dans un élan de démocratie (ce qui serait difficile à confirmer par quelqu'un suivant ça de l'extérieur). Il a choisi de mettre "l'autre" et son ingérence dehors.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Leçons?
    Je pensais que la morale était que quand l'issue du vote est très serrée, il y aura un mouvement de contestation cherchant à annuler, il est posssible que les gens qui ont voté n'obtiennent pas ce qu'ils voulaient obtenir et les leaders du 'oui' n'ayant pas vraiment prévus les conséquences quitteront le navire à la première occasion (tout en demeurant au parlement européen!).

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Don't mess with Nigel!
    C'est la principale leçon.

  5. Poua
    Cerveau
    Suffit de lire ca:

    #À la surprise des classes supérieures du monde entier, le peuple britannique a tranché : il préfère sa démocratie et ses services publics à l’ordolibéralisme européen#

    Pour comprendre que ce type ne sait même pas de quoi il parle.

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