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« Uber » et « taxi » seront synonymes

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Loïc Philibert-ayotte

2016-09-21 11:15:00

La stratégie du gouvernement en ce qui concerne la réforme de l’industrie du taxi devrait avoir des retombées bénéfiques pour le citoyen québécois, selon cet étudiant en droit de l’UdeM…

Loïc Philibert-Ayotte est étudiant de 2e année à la Faculté de droit de l'Université de Montréal
Loïc Philibert-Ayotte est étudiant de 2e année à la Faculté de droit de l'Université de Montréal
Le 10 juin dernier, le gouvernement de Philippe Couillard a adopté le projet de loi 100 et celle-ci est entrée en vigueur au début septembre. La Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant principalement les services de transport par taxi a fait réagir tout au long de l’été et a mené à une entente entre Québec et la compagnie de transport Uber.

Le gouvernement a ainsi manifesté son intention claire d’arriver à un compromis pour protéger d’une part l’industrie du taxi déjà établie et d’autre part pour intégrer Uber et son modèle d’affaires innovateur dans le cadre législatif québécois.

Le projet-pilote annoncé officiellement le 9 septembre 2016, entrera en vigueur 20 jours plus tard et prendra fin un an plus tard. La multinationale Uber a jusqu’ici opéré dans l’illégalité au Québec en employant des chauffeurs ne détenant pas un permis de taxi en bonne et due forme dans plusieurs cas et en ne percevant ni la TPS ni la TVQ sur le montant des courses.

Dans le cadre de l’entente, Uber devra se conformer aux dispositions encadrant l’industrie de taxi s’ils souhaitent pouvoir un jour opérer de manière légitime au Québec. Il s’agit notamment d’un « principe d’équité fiscale, et nécessairement ils devaient devenir un agent préleveur et commettre à l’État » a affirmé Laurent Lessard, ministre des Transports du Québec.

Une mainmise de l’État sur l’industrie

Quelle est donc la nature de ces nouvelles dispositions auxquelles Uber devra se conformer ? Ce qu’il faut retenir de la loi 100, c’est qu’elle vient abroger et modifier plusieurs dispositions de la Loi concernant les services de transport par taxi.

Le gouvernement québécois et son ministère des transports avaient déjà déterminé que les services offerts par Uber étaient bel et bien des services de taxi, mais dans le contexte de la nouvelle législation, le doute n’est plus possible.

En entrevue au réseau LCN, monsieur Lessard a expliqué qu’une des grandes difficultés dans le processus de négociation de l’entente avec Uber résidait dans le fait que, contrairement aux chauffeurs de taxi traditionnels qui utilisent leur permis pendant les 24 heures de la journée, les chauffeurs de Uber n’opèrent que pendant quelques heures à la fois.

Le modèle d’affaire de Uber attire des chauffeurs à « temps partiel » puisqu’ils n’ont pas à assumer des frais pour le permis de taxi, les inspections mécaniques, les examens médicaux, etc. qui sont requis pour être chauffeur de taxi au sens de la loi. Selon les propos du ministre, pour effectivement intégrer Uber dans l’industrie du taxi au Québec et pour empêcher un exil généralisé des chauffeurs « à temps partiel », le gouvernement a décidé de moduler le prix du permis 4C requis pour être chauffeur de taxi en fonction de la durée cumulative des courses effectuées, tout en maintenant les frais d’inspection, les frais médicaux, et autres.

Quelques dispositions ressortent d’emblée du lot dans le texte du projet de loi 100. L’article 60 de la Loi concernant les services de transport par taxi prévoit désormais que la Commission sur le transport peut fixer un tarif minimal universel pour les services de taxi au Québec et même les modifier selon la région.

Ceci a pour effet de restreindre toute compétition déloyale de la part d’Uber qui avait naguère des tarifs beaucoup plus bas que ceux des taxis conventionnels. Les modifications apportées à l’article 88 sont également parmi les plus cruciales. Dans cet article, le législateur s’octroie le droit de réglementer entre autres le montant maximal qui peut être demandé à l’utilisateur d’un taxi. Rappelons que Uber a une notoriété en ce qui concerne la modulation parfois excessive de leurs tarifs. En théorie, on tente à la fois de protéger le consommateur et l’industrie du taxi d’une entreprise avant-gardiste, mais féroce.

Des mécontents

C’est en pratique que la situation pose problème. Le service de transport Uber demeure illégal au Québec jusqu’au 29 septembre 2016, soit la date d’entrée en vigueur du projet pilote. Néanmoins, depuis la conclusion de l’entente, plus de 15 voitures Uber ont été saisies au Québec, ce qui ne fait rien pour rassurer les chauffeurs de taxi.

Benoît Jugand, porte-parole du front commun des chauffeurs de taxi, affirme savoir « qu’Uber a déjà violé l'entente avant même son entrée en vigueur » et une demande d’injonction avait d’ailleurs été formulée (ndlr : depuis rejetée par la Cour). Ce qui inquiète également est la limite de 50 000 heures de travail hebdomadaire applicable à l’ensemble des chauffeurs de la multinationale jusqu’à la fin du projet pilote en septembre 2017. Plusieurs se demandent si cette limite va être respectée vu l’envergure phénoménale d’Uber et leur tendance à agir en marge de la loi.

Cette fameuse limite de 50 000 heures de travail inquiète également les consommateurs qui se demandent si l’offre de services Uber diminuera et si les tarifs augmenteront conséquemment.

Assez difficile de répondre à ces interrogations pour l’instant, mais une chose est claire : le gouvernement du Québec, avec l’entrée en vigueur de la loi 100, possède tous les outils en main pour limiter les excès en ce qui concerne la tarification dans l’industrie du taxi. D’autre part, la limite de 50 000 heures de travail hebdomadaire pour les chauffeurs d’Uber a été calculée en fonction de cette philosophie du chauffeur « à temps partiel » qui est propre au géant californien.

La restriction ne devrait donc pas avoir de répercussions majeures sur l’offre de service durant l’entente. En ce qui concerne le mécontentement des chauffeurs de taxi, on attend toujours la réponse des tribunaux, sinon l’entrée en vigueur éventuelle du projet pilote.

Tout compte fait, les grands gagnants dans cette affaire sont sans doute les consommateurs qui jouiront d’une industrie du transport par taxi rajeunie par la nouvelle législation et par l’entente entre Québec et Uber. Certes, les tarifs des courses en voiture Uber augmenteront au Québec, mais l’entrée en matière officielle de la multinationale basée à San Francisco forcera l’industrie du taxi à se moderniser.

C’est d’ailleurs un des objectifs explicités dans la préface de la loi 100 : « [les droits pour l’obtention des permis de propriétaire de taxi] sont versés au Fonds des réseaux de transport terrestre et [ils] sont affectés au financement de la modernisation des services de transport par taxi. » Dans le même ordre d’idée, plusieurs nouvelles dispositions de la Loi concernant les services de transport par taxi avantagent directement les propriétaires de véhicules électriques.

La stratégie du gouvernement en ce qui concerne la réforme de l’industrie du taxi devrait avoir des retombées bénéfiques pour le citoyen québécois. Le géant Uber sera contributeur fiscal dans la province, la qualité de l’offre de service devrait augmenter et le portrait d’une industrie québécoise du transport réellement écoresponsable se dresse à l’horizon.

Il ne reste qu’à attendre l’entrée en vigueur de l’entente pour savoir si Uber est réellement prêt à coopérer avec le gouvernement québécois et avec l’industrie du taxi dans la province.

Loïc Philibert-Ayotte est étudiant de 2e année à la Faculté de droit de l'Université de Montréal. Il est également pigiste pour l'Observatoire national en matière de droits linguistiques et collaborateur au Pigeon dissident, le journal étudiant de sa Faculté de droit.
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