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Les tribunaux ont les mains liées

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Mélanie Dugré

2016-09-30 11:15:00

Il appartient au gouvernement de clarifier les règles et de moderniser les paramètres juridiques entourant le tourisme procréatif, selon cette avocate…

Me Mélanie Dugré est avocate titulaire de baccalauréats en droit civil et common law de l’Université McGill
Me Mélanie Dugré est avocate titulaire de baccalauréats en droit civil et common law de l’Université McGill
Deux jugements, rendus cet été à quelques jours d’intervalle par les tribunaux québécois, devraient sonner l’alarme dans les rangs du gouvernement et provoquer une intervention législative en matière de tourisme procréatif, qui met en scène de véritables usines à bébés où des femmes sont impunément exploitées.

En juillet dernier, la Cour du Québec a autorisé un Québécois à devenir le père de jumelles nées d’une mère porteuse liée à une clinique de Bombay. Seul son conjoint, dont le sperme avait fécondé la mère porteuse indienne, était reconnu comme le parent des enfants, d’où la procédure d’adoption.

Québec s’opposait à cette requête, estimant que la stratégie employée par le couple portait atteinte à la dignité humaine par l’instrumentalisation du corps de la femme et la marchandisation de l’enfant. La Cour a toutefois statué que le débat entourant la question des mères porteuses ne devait pas se faire aux dépens des enfants concernés, faisant ainsi primer leurs intérêts en reconnaissant leur filiation.

Au passage, la juge Primeau a rappelé au gouvernement ses responsabilités en souhaitant que des règles claires soient édictées.

Ce premier affrontement devant la justice québécoise relativement à l’industrie de la procréation à l’étranger a rapidement été suivi d’un deuxième, impliquant cette fois un couple ayant retenu les services d’une mère porteuse thaïlandaise, qui a donné naissance à des jumeaux issus des ovules et des spermatozoïdes du couple québécois. La mère, dont le nom n’apparaissait pas sur l’acte de naissance, a elle aussi présenté une demande d’adoption à la Cour.

Des mères porteuses laissées à elles-mêmes

Dans les deux cas, des sommes importantes avaient été versées à des intermédiaires, 30 000 $ à la clinique indienne et 27 000 $ à la clinique thaïlandaise, sans que les couples québécois soient informés de la somme qui serait remise à la mère porteuse, laquelle avait renoncé à tous ses droits sur les enfants à naître.

Le juge Pierre Hamel, chargé de rendre jugement dans le deuxième dossier, a abondé dans le même sens que sa collègue en concluant « qu’il ne fallait pas faire payer le prix de ce débat à des bambins en fabriquant des demi-orphelins ».

La troublante réalité est que les tribunaux ont présentement les mains liées devant ce genre de dossiers alors que la loi leur dicte, à juste titre, d’évaluer la situation actuelle des enfants en priorisant leur intérêt supérieur. Mais les magistrats ne sont pas pour autant insensibles aux conditions catastrophiques dans lesquelles les mères étrangères doivent mener leur grossesse et leur état d’extrême vulnérabilité, qui les incite à offrir leurs services de mère porteuse.

Les effets pervers de la loi québécoise

Par ailleurs, s’il est vrai que les ententes intervenues avec les cliniques étrangères seraient, en droit québécois, abusives et contraires à l’ordre public, en plus de violer les protections relatives à la dignité humaine, à la vie, à la liberté et au droit à la sécurité de la personne, l’état actuel du droit encourage les couples québécois à se tourner vers ces pratiques.

Le Code civil prévoit en effet qu’aucune entente conclue au Québec dans ce domaine n’est valide. Conséquemment, toute compensation financière est interdite, et la loi permet aux mères de garder les enfants à l’issue de la grossesse ou encore aux futurs parents de renoncer aux bambins qu’ils ont voulus.

Tant les sommités en droit de la famille que les tribunaux le confirment ; il appartient au gouvernement de clarifier les règles et de moderniser les paramètres juridiques entourant le tourisme procréatif. L’inaction actuelle entraîne la multiplication des procédures judiciaires à l’issue desquelles des jugements mi-figue, mi-raisin sont rendus à la pièce.

Certes, le dossier est délicat et émotif alors que des parents touchés par l’infertilité et désireux d’enfants sont au cœur du débat. Mais l’intérêt des enfants, qui seront un jour en droit de s’interroger sur les circonstances de leur conception, et celui de celles qui les portent, parfois au péril de leur propre vie, ne sauraient non plus être ignorés.

Me Mélanie Dugré est avocate. Titulaire de baccalauréats en droit civil et common law de l’Université McGill, elle a toujours exercé en litige, d’abord au sein du cabinet McCarthy Tétrault jusqu’en 2007 et depuis, en contentieux d’entreprise à la Great-West/London Life/Canada Vie.


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