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Les relations Québec-Cuba: un excellent départ

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Gérard Latulippe

2016-10-04 11:15:00

La mission de Philippe Couillard - première mission officielle d’un chef de gouvernement québécois à Cuba - est un franc succès, mais le défi à venir est grand, estime cet avocat…

Me Gérard Latulippe est un avocat à la retraite et ancien homme politique et diplomate
Me Gérard Latulippe est un avocat à la retraite et ancien homme politique et diplomate
Cuba n’est pas la France. Pourtant, le premier ministre Couillard y a été récemment reçu avec les honneurs et le niveau protocolaire d’une visite officielle à l’Élysée. C’était la première mission officielle d’un chef de gouvernement québécois à Cuba.

On aurait pu difficilement imaginer que le premier ministre d’un État fédéré aurait été invité à participer à une cérémonie en hommage au héros national cubain, José Marti. Les rencontres avec le vice-président du Conseil des ministres, le ministre du Commerce extérieur et de l’Investissement étranger de même que le ministre des Relations extérieures démontrent non seulement l’intérêt, mais aussi la symbolique que le gouvernement cubain a voulu conférer à l’événement.

On a beaucoup souligné la rencontre bilatérale entre Philippe Couillard et Raúl Castro. Le président cubain a pris sa décision au dernier moment. Nul hasard.

L’histoire revêt une importance considérable dans la culture cubaine et latino-américaine. Les leaders vieillissants de la révolution ne sont pas sans savoir que l’histoire du Québec témoigne d’une longue lutte pour conserver langue et culture et développer un modèle économique solidement ancré dans des valeurs sociales. Il allait de soi que le mouvement coopératif et l’économie sociale suscitent un intérêt en convergence avec les orientations du gouvernement cubain. La mission québécoise en a fait à juste titre une carte de visite.

Mon expérience de la vie diplomatique m’a démontré l’importance des relations et liens directs entre les populations. Je reviens de Trinidad et Tobago, où j’occupais le poste de haut-commissaire du Canada. La majorité des Trinidadiens que j’ai rencontrés connaissaient le Canada : soit ils y avaient étudié, soit ils y avaient des liens familiaux ou avaient visité notre pays. Il en est résulté un renforcement important des relations diplomatiques. Or, un million de Canadiens, dont 50 % de Québécois, visitent Cuba chaque année.

Malgré les obstacles, on connaît tous des Québécois qui ont réussi à tisser des liens personnels avec des Cubains. C’est un facteur qui a aidé à créer un climat de confiance. Voilà pourquoi l’accent mis par la ministre des Relations internationales en matière culturelle et éducative prend toute son importance.

Impressionnante délégation

La délégation commerciale qui a accompagné le premier ministre était composée de 44 entreprises provenant de 12 régions du Québec. Il y avait de quoi impressionner les autorités cubaines. J’ai occupé le poste de délégué général du Québec durant huit ans et je n’ai jamais eu la chance d’organiser une mission de cette envergure. Le gouvernement cubain a compris que c’est le Québec tout entier qui appuie le développement des relations avec Cuba. La ministre des Relations internationales a fait ses devoirs, car les secteurs couverts par les entreprises et institutions faisant partie de la mission constituent des priorités pour le développement économique de Cuba.

Par exemple, les énergies fossiles représentent actuellement 96 % de l’approvisionnement en énergie du pays. C’est un problème gigantesque. Actuellement, seulement 4 % de la totalité de l’électricité produite provient d’énergie renouvelable. Le gouvernement s’est d’ailleurs donné un objectif d’atteindre 25 % en énergie renouvelable en 2030. Avant l’arrivée de Castro, Cuba devait importer plus de 50 % de sa consommation domestique de produits alimentaires. Malgré la remise de 3,7 millions d’acres de terres cultivables à de petits fermiers, le pays a besoin d’une augmentation massive de sa production agricole. Il manque d’équipement et doit inventer le financement agricole.

Le pays doit aussi se préparer à l’arrivée massive de nouveaux touristes au moment où l’embargo sera levé. Il n’est pas prêt. La construction d’infrastructures appropriées s’avère incontournable. La mission québécoise comptait des entreprises et institutions dans chacun de ces secteurs d’activités.

Raisons politiques

Il ne faut cependant pas négliger les raisons politiques derrière l’importance accordée à la visite du premier ministre. Les réformes apportées par le gouvernement Castro résultant de l’ouverture de relations diplomatiques avec les États-Unis restent frileuses et insuffisantes. Suivant l’organisme Freedom House, Cuba demeure un des pays les moins libres de la planète. L’ONG internationale Human Rights Watch dénonce toujours les violations des droits de la personne.

Les Québécois devraient avoir de l’empathie à l’égard du peuple cubain, qui vit toujours une situation difficile. Par ailleurs, ce n’est pas au gouvernement du Québec à soulever la sensible question des droits fondamentaux avec les autorités cubaines. La politique extérieure est une compétence exclusive du gouvernement fédéral. C’est son devoir de le soulever au moment opportun.

On a tous noté que le premier ministre québécois aura fait une visite officielle avant le premier ministre fédéral. N’est-ce pas surprenant compte tenu de l’amitié entre le père de ce dernier et Fidel Castro ? Étant donné, aussi, que le Canada a toujours maintenu ses relations diplomatiques malgré l’embargo américain. Raúl Castro a probablement voulu passer un message à Justin Trudeau. C’est un appel du pied au gouvernement fédéral pour qu’il organise une mission officielle sans délai.

La mission de Philippe Couillard est un franc succès, mais le défi à venir est grand. À Cuba, il n’existe pas d’entreprises privées avec lesquelles faire des affaires. Il existe des entreprises d’État groupées dans des conglomérats dirigés par les militaires. Il faudra apprendre à faire des affaires autrement et faire preuve de patience. Les risques sont importants.

Me Gérard Latulippe est un avocat à la retraite et ancien homme politique et diplomate. Il fut notamment Haut-commissaire du Canada ( Trinité et Tobago), et Délégué Général du Québec ( Mexico, Bruxelles).
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