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Justice: un changement de culture, vraiment?

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Jean-claude Bernheim

2016-12-14 10:15:00

L’analyse de la ministre Vallée n’est que fonctionnaliste et ne prend pas en compte la triste réalité de ce système éminemment injuste, selon ce chargé de cours en droit…

Me Jean Claude Bernheim est chargé de cours à l'Université de Saint-Boniface
Me Jean Claude Bernheim est chargé de cours à l'Université de Saint-Boniface
L’engorgement des tribunaux, additionné au jugement Jordan, donne lieu à de multiples interventions de la part des acteurs qui gravitent autour du système de justice criminelle et pénale. Tous s’entendent pour réclamer plus de millions de dollars pour en assurer le bon fonctionnement. Que ce soit les juges en chef, les acteurs politiques au pouvoir ou dans l’opposition, les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense, les analystes universitaires, tous sont sur la même longueur d’onde.

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a osé réclamer un changement de culture. Bravo ! Elle a tout à fait raison. Malheureusement, son analyse n’est que fonctionnaliste et ne prend pas en compte la triste réalité de ce système éminemment injuste. En effet, parmi ces éminents défenseurs de la veuve et de l’orphelin, aucun n’a pris la peine d’exposer la réalité de ce système de justice.

Qui osera souligner que, parmi les 360 640 causes réglées par les tribunaux au Canada en 2013-2014, 228 328 se sont soldées par un verdict de culpabilité, 82 764 ont été sanctionnées par une peine d’emprisonnement, les 145 564 autres par une peine de sursis, de probation, d’amendes, de travaux communautaires, etc. Il est vrai qu’il manque certaines données, mais ces chiffres sont représentatifs du fonctionnement du système.

Qui sait que, parmi les 82 764 personnes condamnées à une peine de prison, 54,4 % des hommes et 67,5 % des femmes purgent une peine d’un mois ou moins ; 87 % des hommes et 92,2 % des femmes purgent une peine de six mois ou moins ; seulement 3,6 % des hommes et 2,1 % des femmes sont assujettis à une peine d’emprisonnement de 2 ans ou plus ?

Qui sait que les causes d’infraction contre l’administration de la justice représentent 23 % des causes réglées, soit 82 116 ? Elle concerne le défaut de se conformer à une ordonnance ou à une condition comme le refus de participer à des programmes imposés par les tribunaux (tel le counselling en matière de toxicomanie) (57 %) ; le manquement à une ordonnance de probation (22 %) ; les infractions contre l’administration de la justice en vertu du Code criminel comme le parjure, l’entrave à la justice ou l’évasion d’une garde légale (19 %) ; le défaut de comparaître devant le tribunal, et plus rarement le fait de se trouver illégalement en liberté, autrement dit ne pas s’être présenté au tribunal tel que requis (2 %).

Remise en question

En ce qui concerne les crimes contre les personnes les plus graves, les tribunaux ont statué sur 258 homicides, 186 tentatives de meurtre, 3388 vols qualifiés, 6464 crimes à caractère sexuel 19 232 voies de fait majeures. Sans vouloir minimiser les conséquences pour les 370 050 victimes de crimes violents déclarés par la police en 2014, le fait que 80 % des condamnés aient reçu une peine d’emprisonnement de trois mois ou moins laisse entrevoir qu’il y a peut-être d’autres manières de faire, moins coûteuses et tout aussi efficaces.

N’est-il pas vrai que le vol à l’étalage est un crime éventuellement punissable d’une peine d’emprisonnement et à tout le moins affecte le condamné d’un casier judiciaire, et que la publicité trompeuse de la part de commerçants est considérée comme une pratique commerciale « douteuse », sanctionnée à terme par une amende que les prochains clients verront à acquitter ?

Vraisemblablement, ces chiffres ne représentent pas la complexité du fonctionnement du système de justice, mais ils nous permettent au moins de penser qu’il est temps qu’un réel débat sur le système de justice s’amorce, dont les principes de fonctionnement remontent au début du XIXe siècle. Les grandes institutions sociales comme le mariage et la religion, les systèmes de santé et d’éducation, la sexualité et le droit de mourir dans la dignité, ont été et sont toujours l’objet de débats constants qui en assurent l’arrimage aux valeurs de la société.

Pourquoi le système de justice criminel et pénal est-il le seul à ne jamais être remis en question sur la base de ses principes et objectifs ? Les intérêts des pouvoirs politique, économique et commercial sont-ils si puissants qu’ils réussissent à garder la mainmise sur le système qui gère les droits de tout un chacun, individus, groupes sociaux et personnes morales ?

Jean Claude Bernheim est chargé de cours à l'Université de Saint-Boniface. Ses cours portent sur la prison et les droits de la personne. Il est notamment titulaire d’une maîtrise en criminologie de l’UdeM (1986).
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