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Quand la haine mène à de fausses accusations en cour

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Sylvie Lefrançois

2017-02-09 10:15:00

L’acharnement et la haine lors d’un divorce peuvent mener à des accusations non fondées. Que peuvent faire les tribunaux?

Me Sylvie Lefrançois est avocate qui compte plus de 14 ans de pratique
Me Sylvie Lefrançois est avocate qui compte plus de 14 ans de pratique
Il arrive assez souvent que des ex-conjoints, lors d’une rupture, portent plainte à la police pour des voies de fait ou autres accusations criminelles dans des dossiers en droit familial très judiciarisés ou dans des dossiers de droit civil.

Parfois, l’autre conjoint(e) dépose également une plainte à la police, ce que l’on connait comme étant des plaintes croisées en matière familiale. On peut penser, par exemple, au dossier de Vincent Damphousse. Dans cette affaire, Damphousse et son ex-conjointe ont tous deux portés plainte l’un contre l’autre.

Souvent les plaintes déposées contre l’un ou l’autre des conjoints n’est qu’une réaction de frustration. Parfois, les ex-conjoints, après mûre réflexion, décident de retirer leurs plaintes, pour ne pas entraîner les enfants dans cette dynamique néfaste.

Cependant, dans certains cas, l’acharnement et la haine de l’autre font en sorte que des plaintes s’ajoutent au fil du temps et que la couronne en vienne à la conclusion que les accusations sont mal fondées. La couronne retire alors les accusations, et le conjoint que l’on prétendait violent est acquitté des chefs d’accusation qui pesaient contre lui/elle.

C’est une situation que les avocats œuvrant en droit de la famille voient de façon relativement régulière. Mais quelles sont les conséquences lorsqu’une personne, que ce soit dans des dossiers de droit civil ou des dossiers familiaux, porte des accusations non fondées?

D’abord, il importe de noter que l’article 453 C.p.c. permet au juge du procès de statuer, en même temps, si les circonstances le justifient, sur les questions relatives au patrimoine familiale et aux autres droits patrimoniaux des parties résultant du mariage.

Au surplus, les tribunaux peuvent sanctionner, à tout moment, les abus de procédure: que l’abus résulte d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, d’un comportement vexatoire ou quérulent, ou lorsque l’abus résulte de l’utilisation de la procédure de manière déraisonnable, excessive ou de manière à nuire à autrui (art. 51 C.p.c.). Un juge peut ordonner le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, pour compenser, notamment, les honoraires et les débours que cette personne a dû engager et attribuer des dommages punitifs si les circonstances le justifient (article 54 C.p.c.).

On peut assimiler les fausses accusations faites à la police à un abus dans un but de nuire à autrui justifiant l’octroi de dommages.
Plusieurs poursuites en droit civil ont été intentées par des personnes ayant été faussement accusées, par exemple dans Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170, J.H. c. K.I., 2016 QCCS 5267 (1er novembre 2016), Bitar c. Bohbot, 2016 QCCS 216 (7 janvier 2016), Mallette c. Strauss, 2015 QCCS 3726 (28 août 2015), pour ne citer que ces décisions.

Dans ces diverses décisions, les personnes ayant porté de fausses accusations se sont vues condamnées à payer des dommages afin de compenser le préjudice subi par la personne faussement accusée.

Un demande de divorce qui vire au cauchemar

En matière de divorce, le corpus de jurisprudence est mince, voire même inexistant. Il importe donc de s’attarder à un jugement rendu par l’honorable juge Michel Déziel, J.C.S., le 2 février 2017 dans le dossier Droit de la famille - 17195, 2017 QCCS387.

Dans cette affaire de divorce, les parties avaient entrepris des discussions relativement à la question de leur divorce pendant plusieurs mois malgré que les parties vivaient encore à la même adresse, mais faisaient chambre à part depuis le 1er janvier 2014.

Ce sera finalement le demandeur qui signifiera une procédure de divorce à la défenderesse le 6 août 2014, alors que les parties vivaient toujours sous le même toit.

La procédure est signifiée à la défenderesse à 18h. Le demandeur arrive à la maison à 18h02.
A 18h03, la défenderesse qui est dans la chambre des maîtres à l’étage appelle la police alors que le demandeur est au sous-sol,. À 18h09, le demandeur est mis en état d’arrestation.

Il fera alors l’objet des accusations suivantes : agression armée (267A C.cr.), port d’arme dans un dessein dangereux (88 C.cr.) et proférer des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles (264.1 (1) a) C.cr.). Il sera incarcéré deux jours.

En décembre 2014, de nouvelles accusations sont portées suite à une nouvelle plainte de la défenderesse : 264.1(01)A C.cr. – proférer des menaces de mort, 139(3)A C.cr. – entrave à la justice, et deux chefs d’accusation sous 145(3)B. C.cr. – omission de se conformer à une condition d’une promesse ou d’un engagement.

En avril 2015, la défenderesse porte à nouveau plainte contre le demandeur et un mandat d’arrestation sera émis contre le demandeur. Or, compte tenu des démarches entreprises par ce dernier tout au long du dossier criminel, les policiers découvrent que la plainte du mois d’avril 2015 ne pouvait être fondée puisqu’une vidéo démontre que le demandeur n’a jamais quitté le logement qu’il habite. Il ne pouvait donc pas être allé chez la défenderesse, tel que celle‑ci l’alléguait.

Fait important à noter, chacune des plaintes déposées par la défenderesse coïncidera avec des dates de présences à la Cour, que ce soit en matière criminelle ou civile.

Suite à la première arrestation, le demandeur sera contraint de demander des droits de visites supervisés auprès des cinq enfants du couple; ces accès n’auront cependant jamais été facilités par la défenderesse et celle-ci fera obstruction au demandeur tout au long des procédures en Cour supérieure.

Après que la plainte du mois d’avril 2015 ait été logée, le procureur de la couronne évaluera la preuve et décidera de retirer toutes les plaintes qui pesaient contre le demandeur. La défenderesse fera face à des accusations de méfait public suite aux trois plaintes non fondées.

Le demandeur amendera sa procédure en divorce pour ajouter divers chefs de dommages, dont, entre autres, perte de jouissance de la vie, perte d’affection des enfants.

Le juge du procès accorde des dommages-intérêts totalisant 18 500 $ pour les préjudices liés directement aux fausses accusations, incluant les frais de justice découlant directement des fausses accusations, en plus de 7 500 $ pour diffamation et 1 000 $ pour atteinte à la réputation.

Il appert que les tribunaux commencent à rendre des jugements relativement sévères lorsque des personnes formulent des plaintes criminelles non fondées. On peut s’attendre, dans le futur, que les fausses accusations soient punies par les tribunaux de droit civil,, ainsi qu’en matière familiale, pour les dommages découlant de telles accusations.

Me Lefrançois est avocate qui compte plus de 14 ans de pratique, œuvrant en droit civil, en droit commercial, en litige, en droit de la famille et en droit des affaires. Elle est également médiatrice accréditée en médiation civile, commerciale et droit du travail tant par le Barreau du Québec que par l'Institut de médiation et d'arbitrage du Québec (IMAQ).
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2 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Merci
    Article très intéressant. Merci

  2. Isabelle Bel
    Isabelle Bel
    il y a 3 ans
    Grands-parents
    Qu'en est-il des grands-parents qui font la même chose parce qu'ils sont contrôlants à leurs enfants (droits d'accès)? Beaucoup font de fausses plaintes DPJ ou police afin de nuire aux parents et avoir plus d'accès. Qu'en est-il des grands-parents qui amènent sans cesse leurs enfants en cour pour des droits malgré que le jugement est respecté ou qu'il n'y a pas obstacle? Merci!

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