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Québec ne comprend rien au rôle de ses juristes!

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Jean Giroux

2017-02-22 11:15:00

Pourquoi cette différence de traitement entre la justice criminelle et la justice civile et administrative? demande cet ancien avocat...

Jean Giroux est un avocat retraité
Jean Giroux est un avocat retraité
Je me dois, d'entrée de jeu, souligner que deux de mes enfants sont juristes de l'État et membres de l'ANEQ en grève depuis le 24 octobre 2016.

Mon propos vise à démontrer que depuis plus de trente ans, le Conseil du trésor, responsable des négociations de travail du gouvernement, a fait preuve d’une méconnaissance surprenante de la mission du ministère de la Justice dans l'exercice de ses responsabilités en matière de justice civile, administrative et criminelle.

Cette méconnaissance s'est traduite, au fil des ans, par des budgets souvent insuffisants pour l'exercice de cette mission, ainsi que l'entretien ou la construction de locaux et de bâtiments adéquats pour la mener à bien.

Cette méconnaissance s'est à nouveau confirmée quand des nominations de juges, de procureurs de la Couronne et de juristes de l'État, ainsi que l'acquisition du matériel requis pour leur travail, étaient rendues nécessaires lorsque le volume des tâches assumées par ces personnes augmentait sans cesse.

On a été témoin récemment des effets de ces comportements à courte vue de la part du Conseil du trésor. La décision de la Cour suprême du Canada à propos des délais trop longs en ce qui a trait aux procès criminels au Québec a entraîné la nomination rapide de nouveaux juges et procureurs de la Couronne.

Peut-on croire vraiment que la justice civile et administrative est quant à elle dans un meilleur état qu'auparavant au Québec?

Pourquoi cette différence de traitement par le Trésor entre la justice criminelle et la justice civile et administrative? Parce que, à mon avis, la justice criminelle est plus visible dans les médias et plus souvent traitée dans les séries télévisées ce qui la rend plus facilement compréhensible; la population peut donc se plaindre de ses lacunes de fonctionnement avec plus de pertinence.

Les causes de corruption, de trafic de drogues et de fraude financière auront toujours plus d'attrait qu'une cause de droit constitutionnel, d'interprétation de contrat ou de droit municipal dans la population en général et au Conseil du trésor semble-t-il.

J'ai été associé de près dans les années 1980 aux négociations des juristes de l'État et des cadres juridiques avec le Conseil du trésor qui, déjà, suggérait la création de comités pour mieux comprendre la nature des fonctions des juristes et des cadres juridiques.

Il faut croire que trente ans plus tard le Conseil du trésor n'a toujours pas réussi à comprendre puisque la même proposition a été faite aux juristes cette année: ce n'est pas rassurant pour l'avenir.

Depuis les années 1980 l'association des cadres juridiques a été reconnue pour fins de négociations quand le Trésor a compris qu'il était insensé que leur rémunération soit inférieure à plusieurs des juristes oeuvrant sous leur responsabilité.

De plus, le Trésor prétendait également alors que les juristes ne plaidaient pas et ne pouvaient donc pas avoir les mêmes conditions de travail que les procureurs de la Couronne, qui devaient être indépendants des autorités politiques pour plaider des causes criminelles.

Le même argument est repris cette année: je suggère aux ministres d'accompagner à l'occasion leurs juristes devant les tribunaux de droit administratif, en cour du Québec tout comme en Cour Supérieure, en Cour d'appel ou en Cour suprême pour voir s'ils ne plaident pas des causes aussi importantes que celles de leurs confrères de la Couronne.

D'ailleurs les procureurs de la Couronne ont- ils perdu leur voix suite à leurs nombreuses plaidoiries parce qu'on ne les a pas entendu appuyer les juristes de l'État avec lesquels ils co-négociaient leurs conditions de travail en 2011 avant d'obtenir leur petit régime particulier?

Selon le Trésor, les juristes ne sont pas aussi indépendants que les procureurs de la Couronne parce que les autorités des ministères et organismes peuvent leur donner des directives dans la préparation des projets de loi, des règlements, de leurs opinions, procédures et contrats.

Je suis certain que le premier ministre est ravi d'apprendre que les opinions et procédures préparées à sa demande ne lui sont pas fournies en toute indépendance et compétence par ses juristes de l'État.

Cette année on a vu un ministre responsable des négociations accepter une recommandation de ne pas payer, conformément à la loi des normes du travail, les juristes appelés à assumer les services essentiels requis en cours de négociations.

Pour un gouvernement qui se targue de respecter la règle de droit cela lui fait une belle jambe...

D'ailleurs la juge Michèle Lacroix de la Cour Supérieure a renversé cette décision le 20 janvier dernier.

Ce qui est le plus navrant dans ce conflit c'est la désinvolture dont les ministres ont fait preuve dans ce conflit à l'égard des juristes de l'État.

Jusqu'à maintenant, un seul ministre a reconnu sincèrement en Commission parlementaire la compétence et le dévouement de ses juristes malgré la situation difficile dans laquelle ils sont placés pour travailler, en raison des négociations.

Bien entendu, on comprend que les ministres sont tenus de conserver le secret des délibérations du Conseil des ministres, mais cela ne prend pas la tête à Papineau pour se rendre compte que très peu de ministres ont défendu le dossier des juristes car autrement, ce conflit serait réglé depuis longtemps.

Plusieurs ministres ne sont pas familiers avec le droit et se fient sans questionnement aux arguments farfelus du Trésor.

Qu'est ce qui fait un bon ministre?

Premièrement, ses compétences personnelles et académiques, son ardeur au travail, son goût d'apprendre et de comprendre les activités de son ministère et le respect de ses collaboratrices et collaborateurs;

Deuxièmement, un bon sous-ministre pour l'aider ou l'encadrer à la demande du cabinet du premier ministre;

Troisièmement, de bons et loyaux juristes sur lesquels il pourra compter pour le soutenir en tout temps dans l'exercice de ses tâches administratives, juridiques et réglementaires.

Les juristes sont très régulièrement en contact avec le ou la ministre et les membres de son cabinet, de sorte que les ministres ne peuvent feindre de ne pas les reconnaître et de faire preuve de désinvolture à leur égard.

Pas plus que de ne pas avoir fait preuve à leur tour de loyauté envers plusieurs juristes, qu'ils ou elles connaissent personnellement lors des discussions sur le conflit au Conseil des ministres.

Espérons que ce soit la dernière négociation de ce genre entre les parties et que les juristes de l'État reçoivent des autorités politiques et administratives le même respect octroyé aux procureurs de la Couronne et les mêmes conditions de travail.

Jean Giroux est un avocat retraité, ex membre du Barreau, ex vice-président de la Commission des transports du Québec, ex président de la Régie du gaz naturel (ancêtre de la Régie de l'énergie), ex sous-ministre associé à l'énergie, ex directeur des affaires juridiques du ministère de l'Énergie et du ministère des Forêts, ex avocat à la direction des affaires juridiques du ministère de l'Énergie et de la Commission de protection du territoire agricole et ex avocat en pratique privée.
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7 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Pousse trop!
    "Selon le Trésor, les juristes ne sont pas aussi indépendants que les procureurs de la Couronne parce que les autorités des ministères et organismes peuvent leur donner des directives dans la préparation des projets de loi, des règlements, de leurs opinions, procédures et contrats.

    Je suis certain que le premier ministre est ravi d'apprendre que les opinions et procédures préparées à sa demande ne lui sont pas fournies en toute indépendance et compétence par ses juristes de l'État."

    SVP,poussez, mais poussez égal. Vous comprenez sans doute très bien que TOUS les avocats n'ont pas d'indépendance absolue à cet égard. Les opinions, procédures et contrats sont rédigés à la demande de clients qui conservent évidemment un mot à dire quel que soit l'avocat. De la même façon, le client a le dernier mot dans le règlement d'un litige et c'est la même chose pour les instances gouvernementales.

    Conseil: à trop chercher à vous faire passer pour ce que vous n'êtes pas, vous perdez votre crédibilité.

    Bonne chance avec vos négos, sincèrement.

    • Jean Rousseau
      Jean Rousseau
      il y a 7 ans
      Un anonyme qui parle de crédibilité
      En écrivant de telles stupidités, on comprend que vous souhaitiez garder l'anonymat.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      Anonymat
      Je suis possiblement vieux jeux, mais avant d'insulter quelqu'un comme vous le faites, je chercherais à établir mon opinion ou la justesse de celle-ci. Le fait que vous ne l'ayez pas fait de me porte à croire que vous n'avez vraiment pas grand chose à dire et que vous avez plutôt choisi l'insulte facile. Comme c'est semblerait-t-il votre modus operandi, je comprends que le nom est important pour vous puisqu'il est plus facile d'attaquer l'individu que les idées.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      I concur
      I agree that l'ANEQ has played the independence card in an exaggerated manner. They a do not benefit from the same one as the DPCP lawyers, they have clients. Like I and most other lawyers have clients.

      If you write a page on a web site arguing in favour of something, credibility is important. A comment on that same website finding fault with that argument? Not so much.

  2. Malekal
    Malekal
    il y a 7 ans
    Égalité des chances
    Donc ce que je comprends : Pour travailler au gouvernement, il faut être l'enfant d'une personne déjà en place. Il s'agit d'une grosse coincidence que le père et les 2 enfants travaillent pour la fonction publique.


    Également nous pouvons déduire : les conditions de travail ne sont pas si mal si les enfants ont décidé de faire carrière dans la fonction publique.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      Avocate marinée
      J'ajouterais certains éléments, pour être en mesure de faire la part des choses. D'une part, Me Giroux est très fier de ses choix de carrière et capable de faire état publiquement de sa position en la basant sur les faits. D'autre part, il est également très fier de mentionner le choix fait par ses enfants de vouloir servir les intérêts de la justice alors qu'il aurait pu taire cette information. Finalement, en voyant les agissements de certains acteurs politiques, heureusement qu'il y a des avocats qui continuent de revendiquer haut et fort la séparation des pouvoirs entre le législatif et le politique. Mais c'est peut-être une notion qui vous est inconnue. Je vous invite à faire quelques lectures, c'est fort intéressant.La Commission Charbonneau nous a permis de voir quelques exemples.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Comité de rémunération: les faits svp
    Primo, en quoi est-ce qu'un comité de rémunération garantirait la séparation des pouvoirs entre le législatif et le politique, si ce n'est que de d'augmenter (peut-être) la rémunération des juristes de l'État?

    Secundo, pouvez-vous nous dire dans quelle autre province est-ce que les avocats de la couronne bénéficient d'un comité des rémunération?

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