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Les questions « inquisitoires » du Barreau sont-elles légales?

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Louis Fortier

2017-02-22 14:26:00

Un ordre professionnel ne peut inventer des critères d'éligibilité visant à écarter une candidature, dit cet avocat...

Louis Fortier est avocat, traducteur agréé et administrateur agréé, et président de l’Association canadienne des juristes-traducteurs (ACJT)
Louis Fortier est avocat, traducteur agréé et administrateur agréé, et président de l’Association canadienne des juristes-traducteurs (ACJT)
Le Barreau du Québec n'a pas su tirer les leçons de la crise qui l'a secoué (et qu'il a provoqué) en 2015.

Des questions de droit essentielles ont été escamotées. Cette crise a été gérée comme un problème d'image ou de relations publiques.
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Dans son document intitulé Procédures d'élection pour les élections 2017 du Barreau du Québec, cet ordre professionnel semble accorder davantage d'importance à son image qu'à la protection du public et aux principes de droit fondamental qu'il est censé défendre.
L'article 17 in fine de ces Procédures dispose :

« Toute candidature qui révèle une situation positive à la Partie 3 du Bulletin de présentation sera transmise de façon dénominalisée au Comité indépendant créé uniquement à cette fin par le Conseil d'administration. Le Comité indépendant a le mandat de déterminer s'il est nécessaire d'imposer au candidat de rendre cette information publique, si celle-ci pourrait nuire à la fonction convoitée ou nuire à la dignité de la profession. »

En langage clair : si le candidat répond « oui » à l'une des questions posées, son cas est transmis à un Comité indépendant qui décide de l'opportunité de forcer le candidat à rendre cette information publique.

Quelles questions sont posées au candidat à la partie 3 du Bulletin de présentation?

Voici deux questions inquisitoires qui feront peut-être sourciller :

« 3.2 Je n'ai pas eu d'autres démêlés avec la justice, incluant une faillite ou une cession de biens. (...)

3.4 Je confirme qu'il n'existe aucun fait ou aucune situation qui se déroule actuellement ou qui fait partie de mon passé qui risque d'avoir des conséquences négatives pour moi-même ou pour le Barreau du Québec ou qui entacherait l'image du Barreau du Québec. »

Qu'est-ce qu'un « démêlé avec la justice » au sens de ces Procédures? Quant au paragraphe 3.4, il s'agit en réalité de ce qu'il conviendrait d'appeler plus justement la « clause Lu Chan Khuong ».

Les critères d'éligibilité au poste de bâtonnier du Québec sont prévus à l'article 10.1 de la Loi sur le Barreau. Ni le Code des professions, ni la Loi sur le Barreau non plus que le Règlement sur les élections du Barreau du Québec ne confèrent au Comité électoral le pouvoir d'établir d'autres critères d'éligibilité. Qui plus est, le Comité électoral ne peut sous-déléguer son pouvoir décisionnel au Comité indépendant.

Il aurait été plus simple d'écrire : « Aucune candidate dont les initiales sont « LCK » n'est éligible ».

À notre connaissance, aucun des 45 autres ordres professionnels du Québec ne dispose de procédures électorales semblables à celles du Barreau. Le comité d'élection d'un ordre professionnel ne peut inventer des critères d'éligibilité visant à écarter la candidature d'une personne en particulier. Il aurait été plus simple d'écrire : « Aucune candidate dont les initiales sont « LCK » n'est éligible ».

Outre leur rédaction boiteuse, défectueuse et parfois loufoque (phrases alambiquées, redondances, anglicismes, renvois numériques à des dispositions inexistantes, etc.), ces Procédures risquent de porter atteinte à la vie privée des candidats ainsi qu'à la liberté d'expression des candidats et des électeurs. Cette année, le Comité d'élection a déjà publié un premier bulletin d'interprétation des Procédures d'élections. Ce bulletin ne sera pas le dernier…

En ce qui a trait au Comité indépendant chargé de déterminer si une information concernant un candidat est susceptible de nuire à la dignité de la profession, aucune garantie d'équité procédurale n'est donnée pour assurer une protection contre l'arbitraire et la subjectivité.

Deux constats ressortent d'une analyse sommaire de ces Procédures. Premièrement, il est plus que jamais primordial d'enseigner la rédaction juridique (habilitation, délégation de pouvoirs et équité procédurale) dans toutes les facultés de droit, à l'École du Barreau du Québec et dans les programmes de formation continue obligatoire.

Deuxièmement, en raison de la mauvaise qualité de leur texte, les auteurs de ces Procédures risquent de nuire à la dignité de la profession d'avocat et d'entacher l'image du Barreau.

Louis Fortier est avocat, traducteur agréé et administrateur agréé.
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7 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    bye bye la logique
    "Il aurait été plus simple d'écrire : « Aucune candidate dont les initiales sont « LCK » n'est éligible »."

    Euh, non, Fortier est particulièrement malhonnête dans son approche. Le Barreau peut forcer quelqu'un à rendre l'info publique, pas l'empêcher de se présenter.

    Extrait de son prope texte:

    "En langage clair : si le candidat répond « oui » à l'une des questions posées, son cas est transmis à un Comité indépendant qui décide de l'opportunité de forcer le candidat à rendre cette information publique."

    • Avocets Demeritus
      Avocets Demeritus
      il y a 7 ans
      Qui est malhonnête?
      À juste titre, Me Fortier soulève trois problèmes :
      1) ultra vires : la Procédure électorale outrepasse les pouvoirs conférés au Comité électoral en vertu de la Loi et du Règlement;
      2) delegatus non potest delegare; le comité électoral ne peut sous-déléguer ses pouvoirs décisionnels à un soi-disant comité indépendant;
      3) absence de garantie d'équité procédurale quant au soi-disant comité indépendant.
      Que le Barreau du Québec ait pu rédiger un texte aussi nul est tout simplement révoltant!
      Il s'agit de notions de droit élémentaires enseignées en 1re année de droit.
      Vous voulez vivre dans un État qui n'est pas un État de droit? Achetez-vous un billet d'avion aller simple pour le pays de l'Oncle Sam! Vous serez peut-être à l'aise avec les "faits alternatifs". Bon voyage et bonne chance!

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      Réponse: Me Fortier
      Vous pouvez prendre la mouche si ça vous chante, le problème de logique du texte de Me Fortier décrit dans le message original est bel et bien réel.

      Il a possiblement raison sur les autres points (et c'est discutable), il n'en demeure pas moins que la conclusion centrale de son article, que les règles servent à empêcher Me Khuong de se présenter, est fausse. Selon le texte lui-même par ailleurs, même pas nécessaire de faire valider par la Cour.

      En passant, Me Fortier est un de ceux qui prétendait que le tribunal allait donner raison à Me Khuong, que c'était tellement évident. Comme on le sait, le seul jugement rendu était contraire...

      De toute évidence il ne fait pas de litige. Les absolus et les convictions tombent souvent lorsque confrontés à un autre point de vue

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      When is it only an opinion
      Nice attempt at changing the subject. The problem is one of logic.

      As for the rest, I love how you and others can make pronouncements like this and speak in absolutes without any reservations or caveats. It must be different to be omniscient and not suffer from any hesitations. Also from 1st year law: it's all obvious... until the courts decide otherwise!

      Fortier is particularly condescending in his text. He is entitled to his opinion, but that's all it is, an opinion. And one that is biased on top of it.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Pas pour Khuong
    "En langage clair : si le candidat répond « oui » à l'une des questions posées, son cas est transmis à un Comité indépendant qui décide de l'opportunité de forcer le candidat à rendre cette information publique."

    Je pense que l'affaire Khuong a assez fait la manchette pour permettre de croire que sa divulgation ne serait pas nécessaire.

    Contrairement à ce que pense l'auteur, ça ne pourrait donc s'appliquer à Me Khuong. Dormez sur vos 2 oreilles, elle sera candidate.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Big Fail
    So the committee cannot prevent someone from being candidate, they can only demand that the information be made public. So there is no delegation of "pouvoirs décisionnels" concerning the validity of the candidacy.

    Also, there is no requirement for "équité procédurale" as this is not a judicial proceeding and the conclusion cannot be an annulment of the candidacy.

    I understand that Fortier is biased, but as others have rightfully pointed out, the central premise of his text, that the rules exist to prevent Khuong from being candidate are false as evidenced by that same text. Further, if there is one candidate whose story is known, it is Khuong, this could only advantage her (remember all of her allegations concerning others: drunk-driving charges etc).

    In his haste to attack the Bar, Fortier really didn't think this through.

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Décevant
    Comme les autres commentaires le mentionnent, un gros pétard mouillé que ce billet de Me Fortier qui contredit sa prémisse de base dans son texte même.

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