Karim Renno

Le droit international privé: une approche cas par cas

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Karim Renno

2017-04-26 13:30:00

Lorsqu'une poursuite vise plusieurs défendeurs, chaque cause doit être prise individuellement afin de s’assurer que les tribunaux ont juridiction...

Le jeune super plaideur Karim Renno
Le jeune super plaideur Karim Renno
Le droit international privé n'est pas toujours simple et c'est tant mieux comme ça. En effet, il est primordial que les tribunaux québécois ne prennent pas indûment juridiction lorsqu'un recours n'a pas de connexion réelle et substantielle avec le Québec.

Par ailleurs, lorsqu'une poursuite vise une multiplicité de défendeurs, on doit entendre par « recours » la cause d'action contre chaque défendeur personnellement. En effet, les tribunaux québécois doivent s'assurer qu'ils ont juridiction sur chacun des défendeurs, et non pas seulement s'assurer qu'ils ont juridiction sur le litige dans son ensemble. La décision très récente de la Cour d'appel dans Transax Technologies inc. c. Red Baron Corp. Ltd (2017 QCCA 626) illustre bien ce principe.

Dans cette affaire, les Appelants se pourvoient contre un jugement de première instance qui a rejeté leur requête en rejet d’action pour défaut de compétence des tribunaux québécois et leur demande subsidiaire réclamant l’application de la doctrine du « forum non conveniens » en faveur du Panama.

Sans faire un récit complet de la trame factuel de la poursuite, soulignons que l’Intimée (la Demanderesse) est une société dont le siège social est situé dans la République de Malte et qui exploite un commerce de traitement de paiements électroniques depuis les Philippines. Dans le cadre de ses activités commerciales, l'Intimée fait appel aux services de compagnies spécialisées dans le traitement de transactions de cartes de crédit telles que certaines des Appelantes.

Le recours de l'Intimée réclame 1 497 102,69 $ des sociétés Appelantes au motif qu’elles auraient omis de lui remettre des sommes d’argent qui lui étaient dues et elle poursuit personnellement les secrétaire et président d'une des Appelantes, leur reprochant d’être à l’origine de la disparition d’une partie de ces sommes.

Les Appelants ont contesté la juridiction des tribunaux québécois et, subsidiairement, invoqués la doctrine du forum non conveniens. Le juge de première instance a rejeté cette contestation et décidé qu'il n'avait pas à se pencher sur la question du forum non conveniens.

L'Honorable juge Geneviève Marcotte, au nom d'une formation unanime, rejette le pourvoi, et ce même si elle ne partage pas nécessairement le raisonnement du juge de première instance. En effet, elle en vient à la conclusion que la juridiction des tribunaux québécois est établie à l'égard de chacun des Appelants.

À ce chapitre, la juge Marcotte souligne que l'analyse doit se faire défendeur par défendeur:

(30) Dans la mesure où Transax et Jacques ont leur domicile au Québec, la condition prévue à l’article 3148 (1⁰) C.c.Q. est satisfaite et la compétence des tribunaux québécois est établie en ce qui les concerne. Ce n’est toutefois pas le cas de Solare, qui a son domicile au Panama, ni de Transax USA, dont le siège social est aux États-Unis. En ce qui concerne Gagnon, ce dernier prétend que son domicile est situé à l’extérieur du Québec bien que les rapports CIDREQ déposés en preuve fassent état d’une adresse rue Sarcelles, à Varennes, au Québec. Dans les circonstances, il y a donc lieu de déterminer si les tribunaux québécois ont néanmoins compétence à leur égard en vertu d’un autre paragraphe de l’article 3148 C.c.Q.

(31) J’estime qu’ils ont une telle compétence pour les raisons qui suivent.

(32) Tel que déjà signalé, pour soutenir la compétence des tribunaux québécois, l’article 3148 (2⁰) C.c.Q. exige que l’entreprise poursuivie ait un établissement au Québec et que l’objet du litige soit relié à l’une des activités de la société au Québec. Tel que rappelait cette Cour dans Syndicat canadien de la fonction publique c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 2013 (SCEP), l’analyse se fait en deux temps, soit en déterminant d’abord l’objet du litige, puis en décidant s’il est lié d’une façon ou d’une autre à une activité du défendeur au Québec.

(33) En ce qui concerne Transax USA, d’une part, le rapport CIDREQ déposé en preuve par les appelants précise que cette société a un établissement au 934, Lionel-Boulet à Varennes, soit son domicile élu, qui s’avère aussi le siège social de l’autre entité Transax. D’autre part, l’objet du litige paraît lié aux activités de Transax USA au Québec, dans la mesure où tous les rapports de virements bancaires (« wire transfers slips ») (P-7) déposés en preuve, qui émanent d’un compte unique (BMO no. 21164791744) réfèrent à l’adresse de son établissement à Varennes. À mon avis, les critères de l’article 3148 (2⁰) C.c.Q. sont satisfaits à l’égard de Transax USA.

(34) En ce qui concerne Solare, elle n’a pas un établissement au Québec de façon à permettre à l’intimée d’invoquer l’article 3148 (2⁰) C.c.Q. à son égard. Toutefois, son implication dans les faits du litige est admise par les appelants. Cette implication cumulée à celle de Jacques, qui agit comme son employé et son secrétaire à partir du Québec, de même que les liens étroits qui existent entre les trois entités poursuivies mènent à conclure que la faute ou le fait dommageable, voire même l’exécution d’au moins une partie des obligations contractuelles alléguées, est susceptible d’avoir eu lieu au Québec.

(35) À mon avis, cela suffit à conférer compétence aux tribunaux québécois en vertu de l’article 3148 (3⁰)C.c.Q. à l’endroit de Solare, tout comme à l’égard de Gagnon, dont l’implication est démontrée relativement à l’ensemble des trois sociétés poursuivies. Ceci, d’autant que les reproches formulés s’enchevêtrent et rendent les recours indissociables les uns des autres à ce stade, alors que l’intimée recherche la condamnation solidaire des appelants et que seul le juge du fond sera en mesure de décider du rôle précis et de la responsabilité de chacun

Me Karim Renno est associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis Inc. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.
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