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Les avocats québécois aident-ils à la corruption ?

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Julien Vailles

2017-06-05 15:00:00

La primauté accordée au privilège avocat-client fait du Canada un pays grand ouvert à la corruption...

Ibrahim Hissein Bourma
Ibrahim Hissein Bourma
La législation envers les avocats au Canada est-elle si laxiste qu’elle permet à des despotes africains d’investir ici en toute impunité ?

C’est en effet les conclusions auxquelles arrive le rapport « Doors Wide Open : Corruption and Real Estate in Four Key Markets » de Transparency International : la primauté accordée au privilège avocat-client fait du Canada un pays grand ouvert à la corruption, indique le Journal de Montréal.

Dans un arrêt rendu en 2015, la Cour suprême du Canada invalidait deux dispositions de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Ce faisant, la règle est maintenant claire : les avocats canadiens n’ont pas à recueillir, ni à conserver les informations et les documents afin de vérifier l’identité des personnes pour le compte desquelles elles paient ou reçoivent de l’argent. Le contraire violerait le privilège avocat-client, écrit la Cour.

Voilà la principale raison pour laquelle le rapport tire à boulets rouges sur le Canada : en l’absence d’obligation pour les avocats, il est facile pour des investisseurs dont l’argent provient d’activités criminelles de prospérer au Canada, croit-on.

Dans cette veine, écrit le Journal de Montréal, un nombre élevé de dictateurs africains possède présentement des immeubles au Québec.

Le Québec est-il la destination francophone idéale pour ceux-ci? Il faut le croire, semble-t-il, puisque la France n’est plus une option envisageable. En effet, de nombreuses enquêtes sur les biens « mal acquis » ont présentement cours dans l’Hexagone, ce qui rend celle-ci moins attrayante pour les haut placés africains qui veulent y acquérir de l’immobilier...


Qu’en pensent les avocats?

Me Julius Grey
Me Julius Grey
Me Julius Grey, constitutionnaliste réputé, tempère la situation. « Je suis convaincu que le problème n’est pas aussi répandu qu’on le dit », déclare-t-il. De plus, l’avocat rappelle de ne pas se lancer dans une « chasse aux sorcières » : « le client doit pouvoir parler franchement à son avocat, sans risquer que celui-ci devienne son délateur! » croit Me Grey.

Me Raymond Doray
Me Raymond Doray
Par ailleurs, le fondateur du cabinet Grey Casgrain rappelle que des sanctions importantes sont prévues pour les avocats qui participent activement à une fraude. « Il n’y aura évidemment pas de secret professionnel si l’avocat a participé au crime de son client. De plus, un avocat peut alors être accusé à la fois au criminel et disciplinairement », indique-t-il.

Quant à Me Raymond Doray, avocat chez Lavery, c’est lui qui représentait le Barreau et la Chambre des notaires du Québec dans l’affaire à la Cour suprême, susmentionnée. Du même avis que Me Grey sur le sujet, il croit que les anciennes règles, avant leur invalidation par le plus haut tribunal du pays, bafouaient les droits fondamentaux des clients. « Elles transformaient les avocats et notaires en enquêteurs secrets au profit du CANAFE [le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, NDLR], le tout en violation de leur obligation de loyauté », a-t-il d’ailleurs déclaré au JdM.

Me Stéphane Eljarrat
Me Stéphane Eljarrat
Même son de cloche pour Me Stéphane Eljarrat, avocat chez Davies. « Bien sûr, il n’y a pas d’obligation de se rapporter au CANAFE, mais rappelons que le Barreau a accès aux comptes en fidéicommis des avocats », indique-t-il. Et pourquoi découvre-t-on autant d’immobilier dans les mains d’officiels africains corrompus? « Il y a un monde entre le fait de dire que ça sent la corruption, et de démontrer qu’il y en a effectivement, croit-il. Il y a peut-être des enquêtes de longue haleine à cet égard, dont on n’est pas forcément au courant, et qui peuvent prendre plusieurs années », rappelle l’avocat.

Du reste, il est possible que les ressources font défaut, mais la volonté gouvernementale, elle, ne manque pas, est d’avis Me Eljarrat; il cite en exemple la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers.

Le retour des Panama Papers

Parmi les pays dont des dirigeants investissent à Montréal, on retrouve l’Algérie, le Burkina Faso, le Sénégal, le Gabon, la République du Congo et le Tchad. Le beau-fils du dictateur tchadien Idriss Déby, un dénommé Ibrahim Hissein Bourma, compte parmi ces investisseurs.

Me Hélène Mathieu
Me Hélène Mathieu
Or, il a choisi comme domicile élu de sa société... le cabinet d’avocats Roussin Lessard, à Montréal, rapporte le JdM. Il s’agit du cabinet où œuvre Me Hélène Mathieu, éclaboussée dans l’affaire des Panama Papers : elle aurait en effet enregistré près de 900 sociétés dans des paradis fiscaux en 15 ans de pratique. Me Mathieu réside présentement à Dubaï, aux Émirats arabes unis, comme M. Bourma d’ailleurs. Ce dernier y avait été intercepté avec près de 200 000 euros dans une valise.

Me Olivier Lessard, un des associés de Roussin Lessard, est responsable de l’entreprise de M. Bourma.

Par ailleurs, sur le site web de Me Mathieu, figure également le profil de Me Daniel Roussin, de Roussin Lessard.


La règle du 7 500

Au Québec, le Règlement sur la comptabilité et les normes d’exercice professionnel des avocats prévoit qu’un avocat ne peut pas recevoir en fidéicommis, pour un même service, une somme de plus de 7 500 $ en espèces. Des conditions importantes sont par ailleurs prévues pour toute somme en espèces reçue par un avocat.
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2 commentaires

  1. DSG
    Get real
    Some people use the attorney client privilege for the purposes of committing crime. Mobsters have meetings in lawyers' offices because they can't be wire tapped. I saw it on The Sopranos.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Et les avocats du ROC?
    Le Barreau du Québec a importé dans le code de "déonto" une bonne partie des exigences contenues dans les dispositions de la loi fédérale que la CSC avait invalidées.

    Les law societies des autres provinces ont-elles faits de même?

    Si les avocats des autres provinces ne sont pas assujettis à des disposition similaires à celle imposées par la CDA, c'est bien plus dans le ROC qu'au Québec que le blanchiement risque d'être mis en oeuvre.

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