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Les fonds d’investissement financent de plus en plus les litiges

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Jean-francois Parent

2017-07-18 14:30:00

L'industrie naissante des fonds d'investissement dans les litiges, qui dit améliorer l'accès à la justice, inquiète. Est-ce le début de la marchandisation des processus judiciaire?

Tania Sulan, de chez Bentham IMF
Tania Sulan, de chez Bentham IMF
L'arrivée au Canada de la société financière australienne Bentham IMF au début de l'année signale une vague de fond. Celle du financement des litiges par des tiers.

« Nous évaluons les causes au mérite : si un litige a de bonnes chances d'être gagné, nous engageons nos ressources dans le processus », explique Tania Sulan, chef des investissements au Canada pour Bentham IMF. De l'argent, des avocats, de l'expertise, de la recherche, de l'analyse jurisprudentielle... L'éventail de services est large.

En échange, Bentham prendra jusqu'à un tiers des sommes octroyées par jugement. Et ce, seulement si la cause est gagnée. Bentham prend sa perte si le jugement est défavorable.

Au 31 décembre 2016, le fonds d'investissement était impliqué dans 56 causes partout dans le monde, pour une valeur anticipée de 3,3 milliards de dollars. « Depuis une quinzaine d'années, nous avons gagné ou pris des ententes dans 90 % des 157 litiges dans lesquels nous avons investis », poursuit Tania Sulan.

Le fonds d'investissement australien a établi une tête de pont au Canada plus tôt cette année, dans la foulée de l'arrêt Schenck c. Valeant, rendu par la Cour supérieure de l'Ontario en 2015.

Le financement d'un litige par un tiers est surtout pratiqué dans les actions collectives. Mais le juge Thomas McEwen, qui a présidé le procès intenté par Reiner Schenck, qui réclamait 10 M$ au géant pharmaceutique pour bris de contrat, a estimé que le financement par un tiers pouvait s'appliquer aux litiges commerciaux.

Le juge McEwen a cependant imposé des limites. Le fonds d'investissement qui a financé la cause de Reiner Schenck, le britannique Redress Solutions, voulait 50 % des dommages. La Cour lui en a accordé 30 %.


Inquiétudes

« Ça pose un problème éthique, c'est la marchandisation des processus judiciaire. On commercialise l'action judiciaire, et mon réflexe est de m'inquiéter », commente l'ex-juge de la Cour d'appel André Rochon, conseiller chez Prévost Fortin D'Aoust.

Me André Rochon
Me André Rochon
S'impliquer financièrement dans un litige risque de pervertir le cour de la justice, font valoir les critiques. Détenir un intérêt purement financier dans une cause fait courir le risque au demandeur de voir ses intérêt subordonnés au rendement financier.

Car celui qui embauche le musicien décide de la chanson. « ''He who pays the piper calls the tune''. Il est certain que la société qui va investir va avoir son mot à dire dans le litige », signale Claude Marseille, associé chez Blakes. Il relève l'ajout d'un troisième décideur dans l'équation peut poser problème quant à l'indépendance de la partie demanderesse.

« C'est également un facteur de risque supplémentaire pour la défense », poursuit Me Marseille. Il note par ailleurs qu'on semble avoir transformé un système de justice civile qui servait à compenser les victimes en occasion d'investissement.

Me Claude Marseille
Me Claude Marseille
Il nuance cependant sa critique en faisant remarquer que l'accès à la justice peut y trouver son compte. « Peut-être, de la même façon que les pourcentages l'ont certainement favorisé. »

Des critiques qui n'émeuvent pas Tania Sulan. « En théorie, on craint que cela n'encourage les litiges. Mais la réalité commerciale, c'est que ça ne fait pas de sens de lancer des litiges et d'y engloutir de l'argent. C'est pourquoi on ne ''magasine'' pas des causes; on finance celles, déjà existantes, où les chances de succès sont importantes. »

Une comité aviseur, formé de juristes et d'analystes financiers, évaluent les dossiers au métier. On finance la poursuite, les appels, l'analyse juridique, bref tout ce qui donne une chance à la poursuite d'étayer son argument.

Bentham IMF finance une proportion des frais et propose, au besoin, ses services juridiques. Dans certains cas, la mise peut dépasser le million de dollars.

« Et on n'influence pas le cours d'un procès, poursuit Mme Sulan. Les ententes qu'on négocie tiennent compte des règlements hors cour, donc on ne s'opposera pas à règlement pour dégager un meilleur rendement. »

Dans Bayens c. Kinross Gold Corporation, jugement rendu en 2013 par la Cour supérieure de l'Ontario, les principes à respecter pour que la cour autorise le financement par des tiers ont été énoncés.

Ainsi, le bailleur de fonds ne peut intervenir dans le litige, il doit respecter la confidentialité des informations obtenues, il faut que le financement soit essentiel au litige, et les termes de l'accord financier doivent être raisonnables.


À lire demain : quelle est la situation au Québec?

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1 commentaire

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Allo la lune, ici la terre...
    "Est-ce le début de la marchandisation des processus judiciaire?"

    La marchandisation est en place depuis longtemps, et le financement organisé n'est qu'une étape de plus.

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