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Le Barreau et la Chambre des notaires déboutés en Cour

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Julien Vailles

2017-07-27 15:00:00

Alléguant une pratique illégale de la profession, les deux ordres professionnels de juristes croisaient le fer avec des compagnies d’assurance titres...

Mes Michel Décary et Annie Mathieu, de BCF
Mes Michel Décary et Annie Mathieu, de BCF
En pleine croisade contre des sociétés d’assurance titres, le Barreau et la Chambre des notaires du Québec viennent de perdre leur cause en Cour supérieure. En effet, la juge Chantal Chatelain vient de leur donner tort.

Ceux-ci alléguaient que les sociétés, de par les services connexes qu’elles offrent en plus de leur assurance sont des services juridiques, lesquels sont exclusivement réservés aux avocats et aux notaires. On alléguait donc un exercice illégal de la profession.

Mes Simon Potter, Isabelle Vendette et Geneviève St-Cyr-Larkin, de McCarthy Tétrault
Mes Simon Potter, Isabelle Vendette et Geneviève St-Cyr-Larkin, de McCarthy Tétrault
C’était un duel au sommet : Mes Michel Décary et Annie Mathieu, de BCF, représentaient le Barreau et la Chambre des notaires. Les sociétés d’assurances FCT Ltée et First Canadian Limitée ont choisi Mes Simon Potter, Isabelle Vendette et Geneviève St-Cyr-Larkin, de McCarthy Tétrault. Enfin, les compagnies d’assurances titres Chicago et FNF Canada étaient représentées par Osler, plus précisément Mes Sylvain Lussier, Jean-François Forget et Julien Hynes-Gagné.


Assurance titre et autres services

Revenons sur le contexte factuel. En matière de refinancement hypothécaire pour une résidence, ou de premier prêt hypothécaire alors que l’emprunteur est déjà propriétaire de la résidence, il est courant que l’institution financière qui fait le prêt obtienne une police d’assurance sur le titre de propriété. Cette assurance sert à couvrir le vice éventuel du titre de propriété, par exemple, s’il advenait que l’emprunteur n’est pas le véritable propriétaire. C’est ce qu’on appelle l’assurance titres.

Mes Sylvain Lussier, Jean-François Forget et Julien Hynes-Gagné, de chez Osler
Mes Sylvain Lussier, Jean-François Forget et Julien Hynes-Gagné, de chez Osler
Pourquoi fonctionner ainsi? Parce que ce faisant, le prêt se fait de manière beaucoup plus facile et rapide pour l’institution financière. Celle-ci n’a pas besoin de vérifier le titre de propriété de l’emprunteur; elle est assurée à cet égard de toute façon.

Mais là où le bât blesse, c’est que les sociétés d’assurance, en plus d’offrir une assurance titre, proposent des services de traitement de données et de documents pertinents lors d’un refinancement hypothécaire. Une pratique qui fait sourciller le Barreau et la Chambre des notaires, qui voient là des actes réservés à leurs membres. D’où la demande en jugement déclaratoire déposée en Cour.

On précise d’ailleurs que les Ordres ont choisi de procéder ainsi plutôt que d’entamer des procédures pénales pour exercice illégal de la profession contre les sociétés d’assurances.

Dès le départ, les sociétés d’assurances ont néanmoins décoché une flèche envers les deux Ordres. En effet, elles les ont accusés de se lancer dans ce recours non pas dans un objectif de protection du public, mais dans le but de servir les intérêts économiques de leurs membres. L’une d’elles a même réclamé le paiement de ses frais d’avocats par les deux Ordres. Des prétentions rejetées d’office par la juge.


Des juristes qui servent de paravent?

Les sociétés ne contestent pas que les avocats et les notaires ont l’exclusivité de certains actes. Elles nient cependant que les services qu’elles offrent constituent de tels actes exclusifs, et que ceux-ci sont plutôt des services administratifs.

La juge Chantal Chatelain
La juge Chantal Chatelain
Bien sûr, des avocats et des notaires sont employés par les sociétés d’assurances en question. Le Barreau et la Chambre des notaires allèguent cependant que ces juristes ne servent que de paravents, alors que ce seraient les sociétés d’assurances qui confectionnent réellement les actes juridiques en cause. Les défenderesses expliquent au contraire offrir une plate-forme informatique de gestion de données et d’information, et servir d’intermédiaires entre les intervenants.

Or, cela n’a pas d’importance, note le tribunal. Un notaire peut tout à fait « recevoir » la signature d’une personne pour un acte juridique, tel un acte de prêt hypothécaire notarié, même s’il n’est pas celui qui a rédigé l’acte. Même si on concluait qu’une compagnie d’assurances avait préparé et rédigé un acte notarié, cela ne contreviendrait pas à la Loi sur le notariat, du moment qu’un notaire en confirme la confection, vérifie qu’il représente la volonté des parties, et vérifie l’identité, la qualité et la capacité d’une personne.

De toute façon, la juge Chatelain conclut que les compagnies en cause ne préparent et ne rédigent même pas de tels actes. Elles obtiennent plutôt un gabarit, sous forme de formulaire, et remplissent les espaces blancs avec les informations fournies. Il s’agit essentiellement d’un service de nature administrative.


Vérification de titres

Les deux Ordres professionnels blâment aussi les sociétés défenderesses parce qu’elles vérifient elles-mêmes les titres de propriété de l’emprunteur et donnent une opinion au prêteur par la suite. Elles inscrivent aussi elles-mêmes la description cadastrale de l’immeuble dans l’acte de prêt hypothécaire.

Cet argument est aussi rejeté par la Cour. La vérification en question est faite pour fins de souscription à la police d’assurance, et les institutions prêteuses n’en retirent aucun avantage, puisque le but pour elles d’obtenir une police d’assurance titre est justement de ne courir aucun risque quant à un éventuel vice de propriété. Et de toute façon, si aucune opinion juridique n’est émise à la suite de la vérification, il ne s’agit donc pas d’un acte exclusif aux juristes.

Mais si, justement, une vérification sommaire révèle un vice, et que la société d’assurances en avise l’institution prêteuse? S’agit-il d’une opinion juridique? Non, dit la juge : appliquer un principe de droit à une situation donnée est une information juridique, pas une opinion, conclut-elle.

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11 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Le corporatisme outrancier est dans l'ADN de tout ordre professionnel
    La juge Monast a récemment "ramassé" l'ordre des pharmaciens sur la sempiternelle question du partage des honoraires, et devinez quoi? L'ordre a ensuite déclaré publiquement qu'il continuerait d'appliquer sa thèse dont il venait d'être débouté.

  2. eeee
    eeexclusif
    Nouvelle exclusive. Pas comme ces nouvelles qui font l'objet d'un courriel à tous les membres.

    • Isabelle
      Isabelle
      il y a 6 ans
      Thumbs up
      Je me disais exactement la même chose: très clairement une exclusivité exclusive ;)

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    notaire
    Facheuse décision qui risque de détruire ce qui reste du rôle du notaire en droit immobilier au profit des cabinets ``big box`` qui paieront des peanuts à leurs juristes.

    De ce que je vois du jugement la cause a été mal plaidée et la Chambre a cherché à obtenir une injonction interlocutoire (toujours beaucoup plus risqué) plutôt que de faire valoir les sanctions de la Loi sur le notariat et la Loi sur le barreau. Ce qui est en soi peu surprenant. La Chambre et le Barreau sont plus ou moins habituées à leurs petits univers autoritaires dans lesquels des inspecteurs et le syndic font affaire avec des avocats/notaires qui ont peur d'eux et suivront leurs instructions même s'il ne sont pas fondés en droit et un comité de discipline qui tranche presque toujours en faveur du plaignant et écarte systématiquement tout argument procédural de la part du procureur de l'intimé. En conséquence je crois qu'ils sont très mal équipés pour un conflit de relations publiques et devant tribunal contre des organismes (les banques et les assureurs) qui sont beaucoup puissants. Comme si le Goliath de la cour de l'école primaire découvrait le vrai et se rendait compte qu'il n'était pas David.

    De toute ¸façon si la Chambre et le Barreau voulaient agir sérieusement, ils interdiraient aux avocats/notaires de faire ce genre de travail et lanceraient une offensive en relations publiques pour convaincre le législateur. Cette initiative pue d'un geste futil préarrangé pour montrer à leurs membres qu'ils voulaient faire quelque chose pour règler le problème quand ils n'avaient aucunement la volonté de s'y investir.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      Merci Daniel pour cette intervention
      C'était très instructif.

  4. Sedia Stercoraria
    Sedia Stercoraria
    il y a 6 ans
    Sedia Stercoraria
    Quand on est pas très compétent comme avocat, comme dans les grands cabinets, il faut se mettre à six pour défendre une simple idée en droit...

  5. Sedia Stercoraria
    Sedia Stercoraria
    il y a 6 ans
    Sedia Stercoraria
    Comment un jugement qui est public peut-il faire l'objet d'une nouvelle exclusive?

  6. Primeur
    Primeur
    il y a 6 ans
    Primeur
    Grosse exclusivité que de rapporter un jugement disponible en ligne gratuitement sur CanLII!

    https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2017/2017qccs3388/2017qccs3388.html

  7. chose
    chose
    il y a 6 ans
    rien d'exclusif
    Quand tous les membres du Barreau en sont avisés par courriel avant même que l'encre ait fini de sécher sur la décision...

  8. Avocat
    Avocat
    il y a 6 ans
    Rapport
    Est-ce que Me Potter a dû détruire un rapport confidentiel cette fois?

  9. Haha
    Avocate
    Meilleur commentaire sur Droit-inc. depuis des lunes! You made my day.

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