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Une lacune grave dans le projet de loi sur le consentement sexuel

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François Boillat-madfouny

2017-08-29 10:15:00

En théorie, la règle du «sans oui c’est non» est très claire. En pratique, elle l’est moins, lorsque les personnes impliquées sont intoxiquées…

François Boillat-Madfouny est étudiant à la maîtrise en droit criminel.
François Boillat-Madfouny est étudiant à la maîtrise en droit criminel.
Le projet de loi C-51 propose des clarifications législatives à l’égard des crimes à caractère sexuel. Plus spécifiquement, il codifie la règle jurisprudentielle qu’une personne caractère inconsciente ne peut consentir à une activité sexuelle, ainsi que celle selon laquelle une erreur sur le consentement ne peut se fonder sur une erreur de droit.

Toutefois, on ne propose aucun changement législatif quant à la validité du consentement d’une personne intoxiquée par l'alcool ou la drogue. Voilà une lacune grave dans notre système pénal canadien qui doit être soulevée et comblée alors que C-51 a été envoyé pour étude au Comité permanent de la justice et des droits de la personne.

En droit pénal canadien, il n’y a pas de doute : « sans oui, c’est non ». Le Code criminel prévoit que le consentement consiste en l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle et la jurisprudence prévoit que ce consentement doit être positif, c.-à-d. qu’il doit être exprimé de manière non équivoque par les paroles ou les gestes de la plaignante. En théorie, la règle est très claire. En pratique, elle l’est moins, surtout lorsque les personnes impliquées sont intoxiquées par l’alcool ou la drogue.

Prenons l’exemple d’une femme sévèrement intoxiquée après avoir volontairement consommé de l’alcool. (Ce n’est que pour alléger le texte que j’emploierai des termes genrés dans le cadre de cet article. Je suis conscient que les agressions sexuelles ne sont pas toujours commises par un homme et subies par une femme, bien que ce soit majoritairement le cas.) Il m’apparaît évident qu’il y a un niveau d’intoxication au-dessus duquel sa capacité de consentir s’est évaporée, et ce, même si elle a factuellement consenti à participer une activité de nature sexuelle. Même si son comportement correspond à la définition de consentement positif (par ses paroles ou ses gestes), elle était tellement intoxiquée que son consentement ne devrait pas être légalement valide.

À cet égard, le Code criminel prévoit que le consentement de la plaignante n’est pas légalement valide si elle était incapable de le former. Or, la jurisprudence a tendance à ne reconnaître l’incapacité d’une personne dans une telle situation que si elle est intoxiquée au point d’être inconsciente ou quasi-inconsciente.

Or, n’y a-t-il pas un niveau d’intoxication volontaire au-dessus duquel une femme est incapable de consentir, sans être inconsciente ou quasi-inconsciente? Un homme qui constate l’état d’intoxication sévère d’une femme — voire qui, dans certaines situations, le crée en la saoulant le plus possible — ne devrait pas pouvoir profiter de sa vulnérabilité. Or, ce genre de comportement n’est pas inusité, surtout dans des contextes sociaux où la consommation excessive d’alcool est célébrée.

Certains avanceront que puisqu’elle s’est volontairement intoxiquée, elle doit assumer les risques associés à ses gestes. L’argument, toutefois, consiste à blâmer la victime de n’avoir pas été assez prudente, plutôt que d’analyser le comportement de l’agresseur. Tout comme l’homme peut s’intoxiquer volontairement sans crainte, pourquoi la femme ne pourrait-elle pas tout autant s’intoxiquer sans craindre d’être victime d’une agression sexuelle et d’être ultérieurement blâmée pour son comportement inoffensif?

D’autres suggéreront que de déterminer un niveau d’intoxication au-dessus duquel un consentement n’est pas légalement valide, même s’il était factuellement présent, consiste à priver les femmes de leur autonomie sexuelle et de leur liberté d’avoir des relations sexuelles indépendamment de leur état d’intoxication. Cet argument oublie le rôle du droit criminel de protéger les personnes vulnérables dans notre société, comme les femmes sévèrement intoxiquées par l’alcool qui ne veulent pas être victimes de certains hommes qui profitent de leur état.

Cela nous amène à poser la question délicate suivante: et si l’homme est tout aussi sévèrement intoxiqué? En droit canadien, un homme accusé d’agression sexuelle peut avancer comme défense qu’il croyait que la plaignante consentait. Cette croyance ne peut se fonder sur une erreur de droit, par exemple qu’il ne savait pas qu’un consentement devait être positif et non équivoque. La loi prévoit que cette défense n’est pas disponible pour l’accusé si la croyance de consentement provient de l’affaiblissement volontaire de ses facultés, par l’alcool notamment.

Donc, pour reprendre l’exemple, si la femme est sévèrement intoxiquée au point de factuellement consentir sans en avoir la capacité légale, un homme tout aussi intoxiqué qui entame des relations sexuelles avec ladite femme devrait-il être responsable de ses gestes? Humblement, j’estime que oui puisque la défense d’intoxication volontaire ne devrait pas non plus être disponible à l’égard de l’homme qui, ayant décidé de consommer excessivement, pensait qu’elle était capable de consentir. Par ailleurs, l’agression sexuelle étant une infraction d’intention générale qui touche l’intégrité corporelle de la victime, l’intoxication volontaire (même extrême) ne devrait pas être disponible.

Bref, dans tous les cas, le législateur doit clarifier et renforcer le droit à l’égard des agressions sexuelles lorsque la plaignante, et parfois aussi l’accusé, sont sévèrement intoxiqués. Plusieurs solutions sont possibles. Notamment, il pourrait définir dans quelles situations une personne est incapable de consentir, bien que je convienne que la tâche n’est pas facile. Il pourrait aussi clarifier à quel point l’homme doit vérifier si la femme est capable de consentir, et si la défense d’intoxication volontaire est disponible pour l’homme qui, à cause de son intoxication, n’a pas remarqué que la femme était incapable de consentir.

Finalement, le législateur devrait aussi vérifier si les règles de preuve, particulièrement lorsque les personnes impliquées sont intoxiquées, devraient être modifiées. En effet, les très faibles taux de plaintes, poursuites et condamnations en matière d’agressions sexuelles s’expliquent entre autres par la difficulté de prouver la culpabilité hors de doute raisonnable de l'accusé lorsque la seule preuve disponible est le témoignage de la plaignante. Cela encore plus difficile – voire impossible – lorsque la plaignante était sévèrement intoxiquée puisque son témoignage sera moins exact, et donc moins crédible.

Évidemment, c’est par des campagnes de sensibilisation populaire que des comportements sexuels inappropriés peuvent être limités. Mais il faut s’interroger quant à la capacité du système d’adéquatement protéger les victimes d’agression sexuelle dans notre société, qu’elles fussent intoxiquées ou non. Tant qu’à modifier certaines règles par le projet de loi C-51, le législateur aurait dû tenter de proposer des solutions à long terme, plutôt que de simplement codifier des règles jurisprudentielles établies.

François Boillat-Madfouny est étudiant à la maîtrise en droit criminel. Son opinion a d’abord été publiée dans le magazine National de l’Association du Barreau Canadien (ABC).
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12 commentaires

  1. Me Halidi
    Me Halidi
    il y a 6 ans
    Comme en france
    Idée à évaluer : introduire une présomption de culpabilité comme en France?

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      OUFFFF!
      Présomption de culpabilité... Sérieusement???

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      ?
      Je ne suis pas au courant qu'une telle présomption existe en France. J'ai toujours compris que la présomption d'innocence existait également en France...

    • Me Halidi
      Me Halidi
      il y a 6 ans
      Précisons
      Ok pas en France, mais dans l'opinion publique.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      Ah.... ok....
      Vous vouliez dire "dans l'opinion publique", mais vous avez écrit "en France". Une simple faute d'inattention. Ça arrive parfois. Ces deux expressions sont tellement similaires...

  2. Zoro
    heu
    Pourquoi l'homme pourrait-il s'intoxiquer sans crainte ? Un homme soûl peut très bien consentir à des relations sexuelles qu'il n'aurait peut-être pas consenti en pleine possession de ses moyens ...

    On va arriver avec nos alcootest dans les soirées pour être sûr d'avoir un "consentement éclairé" selon la jurisprudence. Faut arrêter. Tu bois, assume les conséquences si tu dis oui.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Problème de logique dans un des exemples donnés
    "Donc, pour reprendre l’exemple, si la femme est sévèrement intoxiquée au point de factuellement consentir sans en avoir la capacité légale, un homme tout aussi intoxiqué qui entame des relations sexuelles avec ladite femme devrait-il être responsable de ses gestes? Humblement, j’estime que oui puisque la défense d’intoxication volontaire ne devrait pas non plus être disponible à l’égard de l’homme qui, ayant décidé de consommer excessivement, pensait qu’elle était capable de consentir."

    Un homme ===tout aussi intoxiqué=== ne viendrait-il pas également de subir une agression sexuelle? Si, comme le dit l'auteur du texte, un homme peut tout aussi bien se faire agresser, alors dans l'exemple donné ci-haut, dans une relation entre un homme et une femme où tous les deux sont intoxiqués, ils sont à la fois agresseurs et agressés.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      Un homme volontairement intoxiqué, sans être intoxiqué au point de ne pouvoir consentir
      Le commentaire est intéressant. La situation lorsque les deux personnes impliquées sont tout aussi sévèrement intoxiqués au point de ne plus être capable de consentir est particulièrement difficile à encadrer. Dans son exemple, l'auteur aurait dû plutôt traiter de la situation de l'homme volontairement intoxiqué, sans qu'il soit tout aussi intoxiqué au point de ne pouvoir consentir à l'activité sexuelle. Il est en effet difficile de distinguer l'agresseur et l'agressé lorsque les deux individus sont incapables de consentir.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      en effet
      Si une personne est intoxiquée au point de ne pas pouvoir consentir, pourquoi son sexe devrait-il être pertinent? Mentalité sexiste que celle qui veut que les hommes soient toujours ceux qui entreprennent et les femmes subissent.

      Et si les 2 personnes sont 2 hommes? Ou 2 femmes? Qui devient la victime et qui devient l'agresseur si les 2 sont intoxiqués? Et pourquoi s'il est impossible de donner une réponse dans la situation où les protagonistes sont de même sexe, celle-ci semble-t-elle si évidente pour certains dans les cas où ils sont de sexes différents?

    • anonyme
      anonyme
      il y a 6 ans
      bien lire le texte
      «Prenons l’exemple d’une femme sévèrement intoxiquée après avoir volontairement consommé de l’alcool. (Ce n’est que pour alléger le texte que j’emploierai des termes genrés dans le cadre de cet article. Je suis conscient que les agressions sexuelles ne sont pas toujours commises par un homme et subies par une femme, bien que ce soit majoritairement le cas.)»

      Lisez bien l'article! Il mentionne qu'il ne généralise que pour alléger le texte!

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      merci mais
      D'accord pour le texte, mais je répondais à un commentaire. Par ailleurs, ça ne répond pas à la question fondamentale.

      Qui est la victime et qui est l'agresseur quand 2 individus qui ne sont pas en état de consentir ont une relation sexuelle? Malheureusement pour les hommes, nous connaissons tous la réponse dans le cas d'une relation hétéro

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    People...
    No need to rack your brains for fictional examples. Just google "Bachelor in paradise+di mario+ olympios" and there you have your case. 2 adults get drunk and start making love in public. The day after, the woman doesn't remember anything and say that she was a victim of sexual assault while she was the one who made the first sexual move. Was she too drunk to consent? Was he too drunk to misread her consent? Last but not least: why can't be a victim of sexual assault too, since he was drunk too when she put the moves on him?

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