Opinions
Est-ce raisonnable de filmer ses employés au travail ?
Sébastien Parent
2017-09-26 13:30:00
Une décision de la Cour supérieure, qui semble contradictoire à un arrêt de la Cour d'appel prononcé cet été sur l’utilisation de caméras de surveillance dans les lieux de travail, soulève des questions, nous dit cet avocat…
Dans la récente affaire Sysco Québec, division de Sysco Canada inc. c. Beaulieu, les conclusions auxquelles en arrive la Cour supérieure sont en apparence opposées à l’arrêt Vigi Santé ltée c. Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ), prononcé par la Cour d’appel du Québec en juin dernier.
Ces deux décisions mettent en jeu le droit au respect de la vie privée consacrée par l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne de même que le droit à des conditions de travail juste et raisonnable au sens de l’article 46 de cette même Charte.
Non à une caméra sur un camionneur...
Dans la première, il s’agit d’une entreprise de distribution de produits alimentaires, qui avait installé des caméras de surveillance filmant tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’habitacle de ses camions de livraison. Cette décision de l’employeur reposait sur deux objectifs : bénéficier d’une preuve vidéo en cas d’accident impliquant un chauffeur et utiliser le contenu des caméras à titre d’outil de formation sur les comportements sécuritaires à adopter. Précisions que les images étaient conservées uniquement en cas de freinage brusque ou de collision.
Dans son jugement, l’honorable Benoît Moore confirme le caractère raisonnable de la décision rendue par l’arbitre de grief. D’une part, l’employeur ne possédait pas de motifs raisonnables lui permettant de recourir à un système de surveillance électronique du poste de travail.
D’autre part, le moyen n’était pas le moins intrusif possible puisque la caméra était dirigée directement vers le salarié dans l’habitacle du camion et le filmait continuellement. Pour la Cour, filmer l’intérieur de l’habitacle s’avère plus intrusif qu’une caméra filmant dans son ensemble l’intérieur d’une usine.
Enfin, l’employeur disposait d’autres moyens moins attentatoires à la vie privée pour atteindre les objectifs mentionnés précédemment, entre autres l’installation d’une caméra uniquement orientée vers l’extérieur de la cabine.
Oui à une caméra sur une vieille dame...
Dans la seconde affaire, une caméra permettait de voir en tout temps ce qui se passait dans la chambre qu’occupe une résidente dans un CHSLD privé. Cette fois, la caméra n’est pas installée par l’employeur et seuls les membres de la famille ont accès à son contenu par le biais de leur téléphone portable. De fait, la caméra avait pour but de permettre aux enfants de maintenir un contact visuel et sonore avec leur mère, certains d’entre eux habitant à l’étranger.
À l’inverse de la décision sur Sysco, la Cour d’appel infirme cette fois la décision arbitrale pour les motifs qui suivent: l’installation de la caméra visait non pas à surveiller les salariés du CHSLD prodiguant des soins à la résidente, mais avait plutôt pour fonction d’assurer le contact entre cette dernière et sa famille. La plus haute cour de la province conclut à l’absence d’atteinte à la vie privée, il ne s’agit pas à proprement parler d’une caméra de surveillance, mais plutôt d’un moyen de communication.
Le fait que l’employeur n’avait aucun contrôle sur le contenu des images captées par la caméra a aussi été déterminant. Qui plus est, cette prémisse empêche de conclure à des conditions de travail injustes et déraisonnables, l’employeur étant étranger au dispositif de communication mis en place par la famille.
Un jugement discutable
Il faut retenir que les motifs raisonnables invoqués par un employeur pour justifier l’installation de caméra au sein d’un poste de travail ne doivent pas être fondés sur des statistiques impressionnistes, encore moins lorsque ces données proviennent de la compagnie vendant le système de caméra, comme ce fut le cas dans l’affaire Sysco.
Par ailleurs, la dichotomie créée par la Cour d’appel entre une caméra de surveillance et une caméra à titre de moyen technologique pour assurer le contact avec une résidente dans un CHSLD peut être discutable. En effet, les images captées par la famille pourraient tout de même, en cas de besoin, être transmises à l’employeur. Cette façon de faire aurait pour résultat que leur captation aurait été effectuée sans l’existence a priori de motif raisonnable, critère pourtant fondamental en jurisprudence.
En outre, ayant conclu à l’absence de violation au droit à la vie privée des salariés, notamment en raison de la nature privée d’une chambre au sein d’un CHSLD, la Cour d’appel n’a pas discuté de la question des moyens les moins intrusifs. L’angle de la caméra ou le système utilisé aurait-il pu avoir une portée moins large ? Pensons à Skype ou Facetime qui permettent d’assurer la communication à distance avec nos proches, sans nécessairement filmer l’entièreté de la pièce dans laquelle on se trouve…
Dans l’intervalle, « souriez, vous êtes filmés ! ».
3 commentaires
Anonyme
il y a 6 ans"En effet, les images captées par la famille pourraient tout de même, en cas de besoin, être transmises à l’employeur. Cette façon de faire aurait pour résultat que leur captation aurait été effectuée sans l’existence a priori de motif raisonnable, critère pourtant fondamental en jurisprudence."
Tout comme les imgaes vidéos de ma caméra peuvent être remis à la police et je peux en installer partout sur mon terrain "sans motif raisonnable"...
Rien de nouveau là...
Sébastien Parent
il y a 6 ansDans votre exemple, les infirmières, préposés aux bénéficiaires, etc. n’ont pas l’obligation de se présenter sur votre terrain, tandis qu’ils l’ont dans leur milieu de travail.
Quant à la différence entre les pouvoirs d’un employeur versus un corps policier, je ne crois pas nécessaire d’en dire davantage…
DSG
il y a 6 ansDid you hear about those guys in the U.S. who put hidden cameras under the secretaries' desks and then posted the videos on the internet? What a sick world we live in.