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Harcèlement au travail : bienvenue dans l’ère de la tolérance zéro

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Marianne St-pierre Plamondon

2017-10-26 11:15:00

La victime « raisonnable » a un seuil de tolérance réduit et les employeurs doivent en prendre bonne note, dit cette avocate...

Marianne St-Pierre Plamondon, avocate associée en droit du travail chez Norton Rose Fulbright
Marianne St-Pierre Plamondon, avocate associée en droit du travail chez Norton Rose Fulbright
Les événements des derniers jours nous rappellent la nécessité de s’assurer que nos milieux de travail demeurent exempts de harcèlement, sous quelque forme que ce soit.

Par leur intensité, les récents événements marquent un tournant majeur en diminuant le seuil de tolérance de notre société quant aux comportements inadéquats en milieu de travail. Désormais, tous sont conscientisés à l’importance de tracer une ligne claire entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas dans nos milieux de travail.

Le premier élément de la définition du harcèlement est la conduite vexatoire. Celle-ci est, en droit du travail, évaluée selon le critère de ce qui est acceptable pour la victime raisonnable, ce qui revient à déterminer si une personne raisonnable, diligente et prudente placée dans la même situation estimerait faire l’objet d’une conduite correcte, ou non, en milieu de travail.

Or, la tendance actuelle veut que la victime raisonnable ait un seuil de tolérance réduit. C’est ainsi que les comportements limites autrefois tolérés, tels que des commentaires sur l’apparence physique, des avances déplacées, des commentaires à caractère sexuel ou encore tous types de contacts ou de rapprochements physiques, n’ont dorénavant plus leur place dans nos milieux de travail.

Au-delà des questions de responsabilité individuelle soulevées par les événements des derniers jours, les employeurs sont appelés à élever leur degré de vigilance et à s’assurer de mettre en place des mécanismes structurés de tolérance zéro.

Il est vrai que la Loi sur les normes du travail comporte déjà l’obligation pour l’employeur de prévenir le harcèlement et de le faire cesser, lorsque porté à sa connaissance. Cette exigence s’est d’ailleurs traduite chez plusieurs employeurs par l’instauration de bonnes pratiques en ressources humaines, dont l’implantation d’une politique sur le harcèlement encourageant la dénonciation des comportements inadéquats et prévoyant la tenue d’une enquête équitable et sérieuse pour faire la lumière sur les faits allégués.

Cependant, force est de constater que les mesures de prévention seront vaines tant et aussi longtemps que les victimes ne se sentiront pas suffisamment confortables pour dénoncer, sans crainte de représailles. Certes, la Loi sur les normes du travail prévoit, en vertu de son article 122, un mécanisme de protection contre les représailles pour celui ou celle qui porte plainte en créant une présomption contre l’employeur, mais il semble que cette protection n’a pas suffi à établir un climat de confiance suffisamment propice à la dénonciation.

Dans ce contexte, les employeurs et notre législateur devraient investir leurs énergies à mettre en place des mesures propres à assurer un processus d’enquête équitable et impartial favorisant la confiance des victimes. En confiant ce mandat à un professionnel impartial, l’employeur maximise ses chances d’obtenir un portrait juste de la situation, lui permettant ainsi d’agir rapidement et efficacement pour faire cesser le harcèlement, en plus d’envoyer le message clair qu’il ne tolérera pas de comportements déviants au sein de son organisation. De ce fait, il limite le risque de voir sa réputation entachée un événement de harcèlement au travail et démontre qu’il prend ces situations très au sérieux.

L’Ontario a récemment bonifié sa loi pour obliger la tenue d’une enquête sur les incidents et les plaintes de harcèlement au travail, ce qui n’est pas formellement requis par la loi québécoise. Pourtant, et c’est démontré, cette pratique RH, déjà adoptée par plusieurs employeurs, demeure la plus efficace pour contrer le phénomène. Puisque le législateur québécois a annoncé qu’il est actuellement à réviser la Loi sur les normes du travail, ne serait-il pas opportun de saisir l’occasion et de bonifier, à notre tour, les mécanismes de dénonciation en assurant aux victimes une enquête structurée, équitable et impartiale menée par des professionnels compétents? En suivant cette voie, il travaillerait dans l’intérêt du public et assurerait la protection du public.


Marianne St-Pierre Plamondon est avocate associée en droit du travail chez Norton Rose Fulbright et Présidente de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.

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9 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Tolérance zéro + enquête obligatoire = ?
    Pour voir le résultat, lire les décisions arbitrales où de telles politiques ont été mises en place, en particulier celles décrivant des milieux où la direction est composée de "professionnelles de carrière, dynamiques, et dont le leadership a été souligné par des prix".

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      Avocat
      J'imagine que personne de bonne foi ne pourra lire l'article ci-haut comme signifiant que les victimes d'hier n'étaient pas raisonnables. Évidemment, ce qui est mal aujourd'hui l'était tout autant hier mais il nous faut reconnaître que la société a évolué et tolère heureusement moins bien aujourd'hui certains comportement inadéquats tolérés hier. Noter cette évolution ne revient pas à dire que ces comportements disparaîtront complètement pour autant. D'où les intéressantes propositions de l'auteure. Je ne comprends pas pourquoi quiconque voudrait dénaturer un article bien fondé, bien rédigé et qui, de surcroît, invite notre société à faire encore plus pour favoriser la dénonciation de comportements inappropriées et le traitement indépendant de toute telle dénonciation.

    • SBS
      dérangeant
      L'article dérange (me dérange). Les victimes ne tolèrent pas, elles subissent.

      Ce que vous dites c'est que si les victimes de Aubut et Rozon avaient été moins tolérantes alors il n'y aurait pas eu d'abus. Faux. Les abuseurs trouvent toujours des victimes. Ce sont des prédateurs toujours à l'affût d'une bonne proie. Ce sont eux le problème, pas la victime. Dans un contexte de travail, ceux qui tolèrent ce sont les patrons. Les patrons sont aujourd'hui moins tolérants car ils risquent de perdre leur image si le scandale sort dans les médias. Ils ne peuvent plus autant garder les choses cachées.

      Les choses vont peut-être changer avec les nouvelles générations. On l'espère bien.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Article déconnecté de la réalité
    Pour voir une dynamique plus réaliste, lire par exemple ce qu'a vécu une étudiante en droit:

    http://www.lapresse.ca/actualites/201710/26/01-5141289-juste-pour-rire-aurait-camoufle-lagression-sexuelle-dune-employee.php

  3. SBS
    ben voyons!
    "Or, la tendance actuelle veut que la victime raisonnable ait un seuil de tolérance réduit. C’est ainsi que les comportements limites autrefois tolérés, tels que des commentaires sur l’apparence physique, des avances déplacées, des commentaires à caractère sexuel ou encore tous types de contacts ou de rapprochements physiques, n’ont dorénavant plus leur place dans nos milieux de travail."

    Je peux vous assurer que mon seuil de tolérance était à zéro lorsque je me suis fait harceler en début de pratique (il y a 20 ans). Le terme harcèlement n'était peut être pas de tendance mais la grosse boule que je sentais se former dans mon estomac était, est et sera toujours de tendance actuelle. La femme violée en 1980 a ressentie la même chose que celle violée la semaine passée.

    Est-ce que j'ai dénoncé? Oui. Est-ce qu'on m'a écouté? Non. Mais mon seuil de tolérance était tellement à zéro que j'ai quitté mon emploi sans aucun filet de sécurité. Je sais que plusieurs femmes ou hommes n'ont jamais quitté leur emploi et ont plutôt décidé d'enduré. Sont-ils plus tolérant? Oui, non peut-être.

  4. SBS
    commentaire
    Quel manque de jugement que d'affirmer que le seuil de tolérance est plus bas aujourd'hui qu'il ne l'était auparavant. J'ai voulu publier un long commentaire mais pour une raison X, on ne le publie pas.

    Croyez-vous vraiment que les personnes ayant subie de la violence verbale ou physique étaient plus tolérante avant?

    Croyez-vous vraiment que la ou le jeune de 18 ans est moins tolérant aujourdhui et qu'il ira de ce pas dénoncer le geste qu'il ou a subit?

    C'est beau la naïveté

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      Pas d'accord
      Pour moi c'est évident que le seuil de tolérance est plus bas aujourd'hui qu'il ne l'était auparavant. C'est évident que les femmes des années 50 toléraient des comportements qui ne sont plus acceptables aujourd'hui et c'est évident que les plus jeunes dénoncent plus facilement. Je ne vois même pas pourquoi ou comment vous pouvez vous indigner de la sorte.

  5. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Les femmes d'aujourd'hui ont été désarmées par le féminisme (les homme aussi)
    Une femme, dont la carrière au Québec a débuté à l'époque des "Mad men", m'avait raconté comment elle s'y était prise en début de carrière avec un harceleur très entreprenant: elle a fait état, en pleine réunion, des "exploits" de l'énergumène, et de la manière dont elle l'avait "viré de bord" à chaque fois.

    Résultats:

    - suprême humiliation publique pour le fautif, présent à la réunion (l'humiliation était d'autant plus grande que dans son pays d'origine les femmes adultes sont encore aujourd'hui des mineures en matière civile);

    - la direction a compris que si elle mettait madame à la porte, tous comprendraient qu'une telle mise à pied constituerait une mesure de représaille.

    - madame a ensuite fait une carrière de plus de 30 ans dans le même milieu de travail, sans ne plus jamais avoir ce genre de problème.



    Conclusions:

    - le fautif était un lâche (comme toujours), Madame avait de la poigne, et la direction a compris que la meilleure manière d'éviter qu'il n'y ait davantage de vagues était de ne pas mécontenter Madame;

    - aujourd'hui les fautifs sont toujours aussi lâche, et la plupart des femmes ont moins de poigne, ce qui fait que les directions comprennent qu'elles ont plus de chance d'éviter qu'il n'y ait davantage de vagues en ignorant le harcèlement, en mettant de la pression sur les plaignantes, et si nécessaire en les mettant à la porte pour un faux prétexte.


    n.b.: à l'époque en question, une récidive de la part du harceleur aurait certainement aussi débouché sur son cassage de gueule, par le mari de Madame. De nos jours ça risque moins d'arriver.

    • absolutely
      absolutely
      il y a 6 ans
      à la limite...
      "n.b.: à l'époque en question, une récidive de la part du harceleur aurait certainement aussi débouché sur son cassage de gueule, par le mari de Madame. De nos jours ça risque moins d'arriver.".

      Ce qui est bien dommage. Une bonne claque dans la gueule a le mérite parfois de résoudre à la fois les problèmes de représailles contre la victime et favorise l'accès à une justice économique, pleine de bon sens et de célérité, le tout en pleine lignée avec l'article 18 C.p.c.

      Évidemment, je plaisante.

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