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Peut-on congédier un employé en absence d’invalidité parti au Sud?

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Sébastien Parent

2017-11-08 13:15:00

Un CIUSS l’a fait contre une infirmière. Mais en l’absence d’une expertise médicale, était-ce légitime?, demande cet avocat…

Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques
Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques
À l’approche de la saison hivernale, plusieurs salariés entreprendront de hisser les voiles pour migrer vers des destinations soleil, le temps de prendre une pause du pénible hiver québécois. Or, lorsque le salarié s’absente du travail pour un problème de santé et bénéficie de l’assurance salaire offerte par son employeur, conserve-t-il sa même liberté de voyager ?

Un voyage à Cuba pendant une absence en invalidité qui coûte cher

Dans la récente sentence arbitrale CIUSSS du Saguenay - Lac-St-Jean, il est question d’une infirmière qui décide de s’envoler vers un tout-inclus à Cuba, du 14 au 21 décembre 2014.

Le hic c’est qu’au cours de cette période, elle était en absence pour invalidité en raison des diagnostics d’anxiété et de trouble panique émis trois jours avant son départ en voyage. Du 11 au 22 décembre, la salariée était donc admissible aux prestations d’assurance salaire, soit la durée de l’arrêt de travail prescrit par le médecin consulté.

À son retour de Cuba, la voyageuse reprend son emploi comme prévu le 22 décembre. Malgré le fait qu’elle porte un masque médical en raison d’une grippe, une conseillère en gestion des ressources humaines s’étonne d’à quel point la plaignante est bronzée. Ce à quoi la salariée répondit qu’elle a quelque peu abusé des séances au salon de bronzage au cours de son absence du travail.

Ajoutant à ces soupçons, une collègue informe l’employeur que la plaignante lui a avoué s’être « mise en maladie » dans l’unique but de profiter d’un voyage dans le Sud. D’avis que l’infirmière a menti sur les motifs réels de son invalidité, l’employeur procède à son congédiement en date du 7 janvier 2015.

Bris du lien de confiance et manquement à l’obligation de loyauté

L’arbitre de grief Gabriel-M. Côté arrive à la conclusion que la plaignante n’était pas réellement en état d’invalidité au sens de la convention collective.

Entre autres, le fait que la salariée ait exécuté sa prestation de travail pendant quelques semaines suivant la rupture amoureuse à l’origine des diagnostics posés par son médecin, la durée relativement courte de l’absence, qui est assez rare pour un trouble de santé mentale, et surtout, les propos tenus auprès d’une collègue indiquant qu’elle s’arrangerait pour se mettre en maladie ont étayé la conclusion du tribunal d’arbitrage.

Par conséquent, la plaignante a fait de fausses déclarations sur son état de santé et a, par le fait même, adopté un comportement frauduleux. De plus, les mensonges pour dissimuler son voyage constituent un manquement grave à l’obligation de loyauté, selon le décideur.

Au final, l’arbitre considère que la salariée a rompu irrémédiablement le lien de confiance l’unissant à l’employeur et estime que le congédiement est justifié.

Quand l’arbitre de grief s’improvise médecin

Ce qui surprend de cette sentence arbitrale, c’est qu’au-delà des éléments soulevant des doutes sur l’incapacité de l’infirmière en question, aucune preuve médicale réfutant le diagnostic émis par le médecin de la salariée n’a été présentée par l’employeur. Qui plus est, un psychiatre, témoignant à titre d’expert à la demande du syndicat, a corroboré les diagnostics prononcés par le médecin de la salariée.

L’employeur n’ayant pas recouru au processus d’arbitrage médical prévu à la convention collective pour faire trancher toute contestation au sujet d’une invalidité par un professionnel de la santé neutre, et en l’absence d’une expertise médicale contraire produite à l’audience, l’arbitre de grief se substitue en quelque sorte au médecin de la salariée pour émettre rétroactivement un diagnostic d’absence de problème psychique invalidant. Aux dernières nouvelles et en tout respect, les arbitres de grief n’ont pas fait d’études en médecine…

Dans ces circonstances, la question en litige aurait plutôt dû être de déterminer si le fait de partir en vacances dans le Sud, durant une semaine, était compatible ou non avec l’état de santé de la plaignante, tel qu’évalué par son médecin.

À cet égard, lors de son témoignage, la travailleuse a affirmé que son voyage avait apaisé ses crises de paniques et avait nettement amélioré sa condition mentale. Ceci a d’ailleurs été confirmé par le psychiatre expert, lequel a expliqué à l’audience que ce voyage avait été bénéfique pour la plaignante, en l’éloignant de sa source de stress à l’origine de son trouble anxieux.

Bref, « à beau mentir qui vient de loin », sauf celui qui revient de voyage avec le teint bronzé…


Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est aussi chargé de cours à Polytechnique Montréal où il enseigne le droit du travail. Auparavant, il a complété le baccalauréat ainsi que la maîtrise en droit à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est également titulaire d’un baccalauréat en relations industrielles de la même institution. Écrivain dans l’âme et procureur devant la Cour suprême du Canada dès le début de sa carrière, Me Parent commente l’actualité récente en matière d’emploi, afin que salariés et employeurs connaissent bien leurs droits et obligations.
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