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La Californie contre la Cour suprême du Canada !
Jean-francois Parent
2017-11-29 11:15:00
Google vient de remporter une première manche contre le plus haut tribunal canadien, ce qui aurait d’importantes conséquences sur le droit du web...
L'injonction provisoire permet à Google de ne pas se conformer à l'ordonnance canadienne de désindexer tout contenu réputé piraté offert par une entreprise condamnée pour contrefaçon par la justice canadienne.
Dans un jugement rendu plus tôt cette année, la Cour suprême a confirmé des jugements de première instance qui forçaient Google à retirer de l'information de son moteur de recherche, et ce à travers le monde.
C'était une victoire pour une startup britanno-colombienne, Equustek, dont les produits étaient copiés et vendus par DataLink Group. Des ordonnances judiciaires lui interdisant de vendre des produits frauduleux, DTG a quitté le Canada.
L’entreprise opère depuis dans les méandres du web, vendant toujours des copies des produits d'Equustek. Cette dernière tente ainsi d'obtenir, depuis 2012, que Google cesse de référencer les sites web de DTG.
La Cour suprême avait ordonné à Google de désindexer tous les sites de DTG et ce, partout dans le monde.
Google a demandé à la justice américaine de la dispenser de se conformer à ce jugement, ce que la Cour fédérale de Californie vient de lui accorder. Provisoirement du moins.
Il faut encore se pencher sur le fond de l'affaire.
Dans les limbes juridiques
L'arrêt Equustek ébranle les fondements du web. D'une part, une partie lésée, comme Equustek, « peut obtenir justice sur Internet sans qu'il soit nécessaire d'intenter des poursuites dans chaque pays où l'on peut accéder à un site Web », remarquent les avocats Catherine Lovrics, Tamara Céline Winegust et R. Scott MacKendrick, de Bereskin & Parr dans un billet sur le blogue Mondaq.
L'injonction californienne rend les choses nébuleuses. Un tel jugement fait en sorte « que l'on demanderait au moteur de recherche de se conformer à deux ordonnances contradictoires. Toute tentative d'Equustek de faire respecter l'injonction canadienne se heurterait à ce paradoxe », faisait valoir plus tôt cet automne Gérald Goldstein, qui dirige le programme de maîtrise en droit comparé à l'UdeM.
Les juristes de Bereskin & Parr déplorent le jugement californien. « Cette décision procure ainsi un refuge sûr à Google et à d'autres entités en droit américain, (en faisait fi) des principes de courtoisie internationale, de conflits entre les lois, de l'importance de reconnaître les jugements étrangers, de la réalité que constitue Internet ou du rôle que joue Google dans cette réalité », écrivent ses juristes dans Mondaq.
Le professeur de droit Michael Geist, de l'Université d'Ottawa, voit la réalisation de ce que les critiques de l'arrêt Equustek craignaient. En entrevue au magazine ZD Net, il explique que « en rendant des ordonnances de portée mondiale sans en mesurer pleinement les impacts, la Cour suprême invitait pratiquement les autres tribunaux dans le monde à rendre des jugements contradictoires, et ce, sans avoir offert de balises pour résoudre ces conflits ».
En Californie, Google avait soutenu que l'ordonnance canadienne minait la liberté d'expression. La Cour fédérale a plutôt retenu que c'est le principe de la neutralité du net, qui protège les fournisseurs de services de toute responsabilité découlant de contenus créés par des tiers, qui s'appliquait.
Liberté de commerce vs liberté d’expression
Plus tôt cet automne, dans le cadre d'un colloque tenu à l'UdeM sur l'arrêt Equustek, Me Michel Solis, de Solis Juritech à Montréal, estimait que « la seule façon de forcer Google à respecter l'extraterritorialité, c'est de poursuivre Google au Canada pour non-respect des termes du jugement ».
Cela devient maintenant d'autant plus difficile que Google pourra dorénavant opposer le jugement californien à toute tentative en ce sens.
Le tribunal américain estime qu’« en forçant les intermédiaires à supprimer les liens vers le contenu de ces tiers, l'ordonnance canadienne va à l'encontre des objectifs stratégiques de l'article 230 et menace la liberté d'expression sur Internet à l'échelle mondiale », remarquent les juristes de Bereskin & Parr.
Un argument contre lequel le professeur Goldstein s'inscrit en faux : « il s'agit plutôt de liberté de commerce. » Le voleur de propriété intellectuelle trouble l'ordre public en privant le titulaire des droits de ses revenus, dit-il en substance. « C'est un principe reconnu en droit international depuis ses premiers pas », qui remonteraient au Moyen- ge.
Reste à voir si Google s'adressera aux tribunaux britanno-colombiens, qui ont exigé en première instance de désindexer les contenus litigieux, pour qu'ils excluent l'obligation d'exécuter l'ordonnance aux États-Unis.
Il faudra voir aussi si on tiendra compte de l'ordonnance américaine.
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