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Le fisc ne peut pas jouer les policiers sans mandat

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Jean-francois Parent

2018-04-18 11:15:00

La Cour supérieure juge abusive une saisie de l'Agence du revenu et la met à l'amende pour 110 000 $...

Le juge Claude Villeneuve de la Cour supérieure
Le juge Claude Villeneuve de la Cour supérieure
C'est en juin 2014 que les policiers de Sherbrooke lancent une enquête sur le prêt usuraire, une industrie dont Sylvain Brochu est un acteur.

Les policiers se présentent donc à son commerce de prêt sur gage, Comptant illimité, que Sylvain Brochu opère. Il y « côtoie régulièrement des personnes du milieu interlope qui font affaire avec ses commerces, que ce soit en vue d’y échanger des biens en contrepartie d’argent, échanger des chèques ou pour obtenir des prêts à des conditions plutôt ‘désavantageuses’ ».

Les commerces sont donc visés par les policiers, peut-on lire dans la décision du juge Claude Villeneuve de la Cour supérieure, publiée en mars.

Une enquête

Les enquêteurs se présentent donc au commerce de Sylvain Brochu dans l'après-midi du 12 juin 2014, et demande à inspecter ses coffres-forts. Celui-ci collabore, mais refuse que les policiers perquisitionnent son entrepôt sans mandat.

Jugeant le comportement du suspect louche, les policiers sont d'accord pour rendre visite à son entrepôt plus tard dans la soirée. Ils en profitent pour mettre Sylvain Brochu sous filature.

Sylvain Brochu se rend ainsi à son entrepôt pour y vider l'un de ses coffres-forts. Les policiers l'interpellent lors de son retour à son commerce et saisissent plus de 1 million de dollars en argent liquide et des bijoux évalués à 350 000 dollars.

Brochu est arrêté, tandis que les policiers attendent d'obtenir un mandat de perquisition pour un l'immeuble abritant à la fois l'entrepôt loué par Sylvain Brochu et la résidence de ce dernier, à savoir un loft situé au 3e étage de l'immeuble.

Le fisc s'en mêle

C'est lors de cette perquisition qu'ils mettent la main sur d'autres bijoux, des armes à feu et des documents financiers dans lesquels sont inscrites les affaires de Brochu. Cela incite les policiers à informer le fisc québécois que le suspect pourrait bien cacher des revenus au fisc.
Les agents du fisc, armés d'une demi-douzaine de demandes péremptoires ordonnant la remise immédiate de documents, arrivent au domicile de Brochu vers 22h, alors que la perquisition policière a cours.

Le fisc ordonne la saisie immédiate de plusieurs documents, dont certains se trouvent dans le commerce de Brochu. Il est minuit passé, et ce dernier refuse catégoriquement, insistant plutôt pour qu'on l'arrête. Policiers et agents du fisc conviennent de revenir le lendemain matin.

Pendant ce temps, Brochu contacte son avocat d'alors, Me Michel Dussault, qui convient d'une façon ordonnée pour que la saisie s'effectue.

Une douzaine de boîtes de documents sont mises sous scellés, et les avocats de toutes les parties s'entendent pour que les documents ne soient pas inspectés tant qu'une entente n'est pas intervenue, et qu'un mandat pour leur vérification n'est pas lancé.

Faisant peu de cas de l'absence d'autorisation judiciaire pour ouvrir les scellés, les agents du fisc procèdent à l'inspection.

Saisie abusive

Me Richard Généreux, des Services Juridiques Evolex
Me Richard Généreux, des Services Juridiques Evolex
Cette inspection est jugée illégale par le tribunal, qui « en vient à la conclusion que l’ARQ ne pouvait, sans autorisation judiciaire et au moyen des Demandes péremptoires signifiées en vertu de l’article 39 de la LAF, exiger que Brochu lui fournisse sans délai les renseignements et documents demandés ».

Sylvain Brochu est représenté, devant la Cour, par Me Richard Généreux, des Services Juridiques Evolex. L'Agence du revenu quant à elle est représentée par Mes Louis Riverin et Roger Breton, du contentieux Larivière Meunier.

Le juge constate que l’article 39 de la Loi sur l'administration fiscale permet au ministre du Revenu d'exiger des documents dans « un délai raisonnable ». Le délai est laissé à la discrétion du ministre.

Dans le cas présent, l'exigence de la remise immédiate des documents « enfreint l’esprit de la LAF puisqu’elle ne donne absolument aucun délai à (Brochu) pour qu’il s’exécute, en plus d’imposer cet ultimatum dans un lieu servant de résidence à un contribuable ».

Les demandes péremptoires du fisc ont été exécutées de façon abusive, poursuit le juge.

Il y a plus : « En plus de signifier des demandes abusives, les vérificateurs de l’ARQ ont outrepassé leurs pouvoirs de vérification en agissant comme ils l’ont fait le soir du 12 juin 2014. Ils ont clairement procédé à une perquisition sans autorisation judiciaire. »

Une procédure déraisonnable

Il n'est pas raisonnable, estime le juge Claude Villeneuve, « que le processus utilisé par l’ARQ le soir du 12 juin 2014 constitue la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect des lois fiscales provinciales, dont la LAF et la Loi sur les impôts. Les vérificateurs sont entrés sans l’autorisation de Brochu dans son immeuble servant de lieu de résidence, et ce, très tard en soirée tout en le menaçant de poursuites pénales s’il refusait d’obtempérer immédiatement ».

Pour cela, il condamne le fisc à payer 10 000 dollars à Sylvain Brochu à titre de dommages compensatoires, auxquels se greffent 100 000 dollars à titre de dommages-intérêts punitifs.

Quant au 1,3 million de dollars de biens saisis par les policiers et remis au fisc, au cours d’une saisie en mains tierces, il reste dans les coffres de l'Agence du revenu. Cette saisie est constitutionnelle, conclut le juge Villeneuve.

Quant aux accusations criminelles déposées contre Sylvain Brochu en Cour du Québec, elles se sont soldées par une absolution inconditionnelle en avril 2017, en échange d'un plaidoyer de culpabilité à des accusations réduites. C'était le criminaliste Me Michel Dussault qui plaidait pour l'inculpé.
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