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Inquiétudes après plusieurs cas d'inconduite parmi des jurés

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Radio -canada

2018-05-23 10:50:00

Ils font des recherches sur Internet, alors que cette pratique est interdite. Des procès ont dû être annulés...

La porte-parole de l'Association, Christine Mainville
La porte-parole de l'Association, Christine Mainville
L'Association des avocats criminels de la défense de l'Ontario se dit inquiète relativement à la conduite de certains jurés, qui ont fait des recherches sur Internet durant les procès dans lesquels ils avaient été appelés à siéger. Dans certains cas, les procès ont dû être annulés pour vice de procédures.

L'Association pense que les indiscrétions des jurés ne sont que la pointe de l'iceberg, mais faute de statistiques, il est impossible selon elle de connaître l'ampleur du phénomène. Sa porte-parole, Christine Mainville, ne se dit toutefois pas surprise. « Internet est aujourd'hui très facile d'accès, on n'a même plus besoin d'aller chez soi pour le consulter, c'est au bout de nos doigts, mais c'est préoccupant pour les accusés et leurs avocats », dit-elle.

De récents cas à Toronto, à Barrie et à Ottawa ont toutefois attiré l'attention de la profession au sujet des recherches que certains jurés font sur Internet alors que cette pratique est interdite. « Cela compromet l'intégrité et l'impartialité du procès, le droit de l'accusé à un procès juste et équitable », explique l'avocat Ari Goldkind.

Il ajoute que la délation entre jurés est au moins une bonne chose. « Heureusement qu'il y en a qui ont le courage de rapporter au juge des gestes inacceptables de la part de leurs collègues au sein du jury. »

« La vigilance est de mise »

L'avocat Ari Goldkind
L'avocat Ari Goldkind
Il existe aussi un autre danger selon la professeure de Droit de l'Université d'Ottawa, Karen Eltis. « C'est celui de la perception du système de la justice et de son intégrité et c'est là que les réseaux sociaux jouent un rôle beaucoup plus insidieux, parce que tout y est facilement repérable, tout se voit et tout se lit sur Internet. »

Mme Eltis rappelle que les communications de vive voix entre jurés ou entre un juré et une autre personne ne posent pas un défi de la même ampleur, parce qu'elles restent confidentielles et limitées à un petit nombre d'individus.

Au Canada, les jurés ne peuvent juger un accusé qu'à partir de ce qui est dit dans le prétoire d'un tribunal. Que ce soit durant un procès ou leurs délibérations, ils ne peuvent en aucun cas faire des recherches sur Internet sur la cause qu'ils entendent ou sur le profil des avocats ou des Procureurs. Les juges le leur rappellent d'ailleurs sans cesse dès le premier jour du procès.
L'avocat Ari Goldkind pense toutefois qu'il serait bon que les juges répètent leurs consignes plus souvent, au quotidien s'il le faut. Sa consœur, Me Mainville, est du même avis. « La vigilance est de mise », précise-t-elle.

Me Mainville pense néanmoins que le juré fautif devrait être mis en accusation pour outrage au tribunal pour lui faire comprendre la gravité de son geste. « Les jurés devraient être avertis qu'ils s'exposent à des accusations criminelles et éventuellement à des peines de prison (s'ils sont reconnus coupables). »

Mme Eltis rappelle que des jurés ont effectivement été emprisonnés au Royaume Uni pour dissuader ce genre de comportements parmi les citoyens qui seront appelés à siéger dans un procès.

Selon Mme Eltis, le problème réside dans le fait que les jurés fautifs ne s'aperçoivent pas de leur erreur et de la gravité de leur geste qu'ils aient agi de bonne foi ou non, parce que « les médias sociaux font partie de la liberté d'expression et qu'ils sont devenus le mode de communication actuel », surtout auprès des jeunes générations.

Le contenu des délibérations d'un jury au pays reste également confidentiel et les anciens jurés ne peuvent raconter leur expérience à la presse ou à autrui. Aux États-Unis, les jurés ont en revanche le droit de le faire une fois que le procès est terminé. Ils sont toutefois enfermés durant toute la durée des audiences sans aucun accès à Internet, à un téléphone…

Dépendance aux réseaux sociaux

La professeure de Droit de l'Université d'Ottawa, Karen Eltis
La professeure de Droit de l'Université d'Ottawa, Karen Eltis
Selon Ari Goldkind, les tribunaux doivent reconnaître le problème de dépendance à l'endroit des réseaux sociaux et l'impact sur le comportement humain. « Tout le monde est aujourd'hui atteint d'une dépendance maladive à l'endroit de son cellulaire, soyons honnêtes, la nature humaine étant ce qu'elle est, il sera difficile d'enrayer le phénomène. »

Le Conseil canadien de la magistrature affirme qu'il est au courant du problème qui lui a été rapporté par des membres de la profession. Dans un courriel laconique, il explique que la question sera abordée devant le comité national sur les instructions du jury du Conseil.

Me Goldkind est plus sourcilleux à l'idée de laisser toute la discrétion au juge. « Un jury est le juge des faits que la Couronne lui rapporte et si quelque chose d'injuste se produit dans un procès ou durant des délibérations, cela peut mener à des conséquences fâcheuses ou pernicieuses pour l'accusé, alors il vaut mieux dans ce cas annuler le procès et en instruire un autre avec un nouveau jury. » L'avocat rappelle que les juges sont toujours très réticents à l'idée d'ordonner un non-lieu.

La professeure Eltis a une opinion moins tranchée sur la question. Elle pense que les magistrats doivent reprendre s'il le faut leurs instructions aux jurés quitte à les rappeler en cour durant leurs délibérations pour qu'ils soient bien au courant que les recherches sur Internet ou le partage d'informations sont nocives dans la bonne conduite de la justice. « Les juges ont un rôle d'éducateurs dans l'ère numérique », dit-elle.

Elle reconnaît toutefois qu'il faudra parfois recommencer les procédures à zéro pour respecter les droits de l'accusé à un procès juste et équitable. « Peu importe les coûts du système judiciaire, les impératifs de la Charte sur l'impartialité des procès sont exigeants et il faut les respecter », conclut-elle.
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