Le travailliste

Payer des étudiants moins cher: une pratique discriminatoire?

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Sébastien Parent

2018-06-07 14:15:00

Seuls des éléments comme l’expérience, l’ancienneté ou le temps supplémentaire peuvent justifier une différence salariale, explique notre chroniqueur...

Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
La saison estivale étant à nos portes, il n’est pas rare que des entreprises recrutent des étudiants pour assurer le remplacement des salariés permanents pendant leurs vacances. Dans ce cas, l’employeur a-t-il l’obligation d’offrir la même rémunération aux étudiants que celle qu’il accorde à ses autres employés ?

Une convention collective qui prévoit un taux moindre pour les étudiants

Chaque été, l’Aluminerie de Bécancour inc. (ABI) embauche des étudiants, en vertu de contrats de travail à durée déterminée. Ce milieu de travail comportant un haut niveau de dangerosité, les étudiants doivent alors suivre la même formation obligatoire que celle imposée à toute nouvelle recrue. Une fois en poste, ils exécutent, sauf certaines exceptions, les mêmes tâches que leurs collègues de travail.

Voilà que la convention collective prévoit toutefois un salaire moins élevé pour les étudiants, dans une proportion avoisinant 70 % du salaire horaire d’un employé régulier ou occasionnel. Après plusieurs années d’indolence, le syndicat décide d’alerter la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de la situation.

Au total, la Commission représentera 157 victimes devant le Tribunal des droits de la personne, alléguant que l’employeur avait agi de façon discriminatoire en imposant des conditions salariales inférieures aux étudiants.

Travailler durant l’été pour payer ses études : un motif de discrimination !

Dans sa décision du 11 mai dernier (2018 QCTDP 12), le Tribunal des droits de la personne rappelle que l’article 19 de la Charte québécoise interdit à l’employeur d’accorder un salaire différent aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit, et ce, en se fondant sur un des motifs de discrimination interdits par la Charte.

En l’espèce, la convention collective établit clairement une distinction en accordant un taux salarial moindre pour les étudiants, lesquels exercent pourtant le même travail que les salariés réguliers ou occasionnels. Pour le Tribunal, cette distinction est fondée sur la condition sociale et l’âge; deux motifs de discrimination prohibés par l’article 10 de la Charte québécoise.

D’une part, la notion de condition sociale doit être interprétée comme englobant le fait d’être étudiant et de devoir travailler durant l’été pour payer ses études, de rappeler la juge Magali Lewis. Elle souligne d’ailleurs la vulnérabilité des étudiants, qui forment une classe inférieure de travailleurs sur le marché du travail et sont souvent considérés comme une main-d’œuvre à bon marché.

D’autre part, les personnes possédant un statut d’étudiant sont plus jeunes que les autres employés œuvrant chez ABI. Selon le Tribunal, la différence de salaire imposée aux étudiants a donc pour effet de désavantager ce groupe, dès les premières années de l’âge adulte.

À l’analyse de la preuve, l’honorable Lewis conclut que cette disparité de traitement s’explique uniquement par le fait que ces employés poursuivent des études à temps plein, en dehors des périodes d’emploi autorisées par la convention collective, ce qui contrevient à l’article 19 de la Charte québécoise. De ce fait, la discrimination dont sont victimes les étudiants a aussi porté atteinte à leur dignité garantie par l’article 4 de la même Charte, en ce sens qu’ils ont été « exploités » sur la base de leur appartenance à un groupe protégé par le droit à l’égalité.

Le Tribunal accorde donc à chacun d’eux la somme de 1 000 dollars en dommages moraux, en plus d’obliger l’employeur à leur verser rétroactivement un montant équivalent aux pertes salariales subies. Enfin, il ordonne à l’employeur de modifier la clause discriminatoire de la convention collective.

La responsabilité du syndicat ?

Parmi les moyens soulevés en défense, ABI appelait en garantie le syndicat afin qu’il soit condamné solidairement. En effet, l’employeur prétendait que le syndicat, en tant que partie signataire de la convention collective, avait consenti à l’implantation du système de rémunération pour étudiants.

Là-dessus, le Tribunal des droits de la personne estime que le syndicat n’a jamais souhaité imposer une telle discrimination salariale aux étudiants, mais s’est plutôt fait imposer unilatéralement cette clause par l’employeur, lors d’une offre finale faite dans un contexte difficile de négociation.

À la lumière de cette décision historique au Québec, retenons qu’un employeur ne peut imposer une différence de rémunération aux étudiants qu’il embauche, à moins bien sûr que celle-ci s’explique par l’expérience, l’ancienneté, la durée du service, l’évaluation au mérite, la quantité de production ou le temps supplémentaire. Or, dans le cas d’espèce, la convention collective imposait un taux de salaire inférieur d’environ 30 %, à l’égard de tous les étudiants du simple fait qu’ils occupaient ce statut et sans évaluation particularisée, ce qui était donc discriminatoire. À noter qu’ABI a annoncé son intention de porter l’affaire en appel.

« Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années » - Pierre Corneille

Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est aussi chargé de cours à Polytechnique Montréal où il enseigne le droit du travail. Auparavant, il a complété le baccalauréat ainsi que la maîtrise en droit à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est également titulaire d’un baccalauréat en relations industrielles de la même institution. Écrivain dans l’âme et procureur devant la Cour suprême du Canada dès le début de sa carrière, Me Parent est l’auteur de divers articles en matière d’emploi et agit aussi à titre de conférencier.
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5 commentaires

  1. Encore plus de décisions comme celle là
    Encore plus de décisions comme celle là
    il y a 5 ans
    avocat
    "D’une part, la notion de condition sociale doit être interprétée comme englobant le fait d’être étudiant et de devoir travailler durant l’été pour payer ses études, de rappeler la juge Magali Lewis."...espérons que cette décision fera des "petits" dans tous les domaines, tels que les stagiaires, les étudiants engagés par les institutions d'enseignement, et des dizaines d'autres situations..mais je crains que cette décision ne soit interprétée restrictivement à un point tel que le statut d'étudiant qui doit travailler ne soit la seule caractéristique pour être englobée par la notion de condition sociale...

  2. This is dumb
    This is dumb
    il y a 5 ans
    Student
    Are students not paid less because of their lack of experience and not because of an imagined discriminating employer??

    Paying someone with more experience or paying someone who is more hardworking that others is not discrimination.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    Euh
    "espérons que cette décision fera des "petits" dans tous les domaines, tels que les stagiaires, les étudiants engagés"

    Parce qu'évidemment quelqu'un qui commence, ou encore mieux est en stage, est aussi productif que quelqu'un qui est là depuis un moment.

    En passant, si elle fait tellement de petits, les étudiants et stagiaires risquent d'avoir des difficultés à trouver de l'emploi...

    • Euh ne comprend rien..
      Euh ne comprend rien..
      il y a 5 ans
      avocat
      Parce que vous n'avez rien compris: un stagiaire qui commence ne signifie nullement qu'il n'a ni compétence ni expérience, sinon il ne pourrait même pas être stagiaire. Pour ne prendre que le cas des stagiaires en droit (mais ça s'applique aux autres), avoir des études et son Barreau (quoi qu'on sen pense en termes de qualité), c'est de la compétence, et plusieurs stagiaires ont aussi complété des stages universitaires ou des emplois d'été pertinents d'une manière ou d'une autre..pourtant leur salaire, quand ils en ont un, ne tient nullement compte de ces facteurs..et pour la "productivité", c'est toujours un argument facile pour justifier n'importe quoi, car il n'y a pas de mesure de productivité universelle..ça dépend toujours de ce que vous voulez que le stagiaire fasse..il y a un océan entre 100 ou quelques centaines de dollars par semaine et un plein salaire d'un avocat dit "productif"..mais malheureusement, il n'y a pas d'échelle..en ce qui concerne votre prétention, pour laquelle on attend des preuves, que les étudiants et stagiaires risquent d'avoir de la difficulté à trouver de l'emploi, c'est un piège à cons..continuez comme ça et les stagiaires vont travailler gratuitement, idem pour les étudiants...

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 5 ans
      se faire des à croire
      Tout un texte champion! Il aurait été préférable cependant de répondre à ce que j'ai écrit, pas ce que tu as compris.

      "un stagiaire qui commence ne signifie nullement qu'il n'a ni compétence ni expérience,"

      C'est écrit où ça? Tu comprends que tu t'es créé un méchant bonhomme de paille, non?

      Parce que la cause dont il est question (l'as-tu lu?) ne tient pas compte de l'expérience ou de la productivité. Tout le monde au même salaire.

      Toi tu écris "espérons que cette décision fera des "petits" dans tous les domaines, tels que les stagiaires, les étudiants". Moi je te dis que si une instance externe me dit qu'un stagiaire ne peut être payé moins en raison de son statut (et manque d'expérience et de productivité) que - par exemple- l'avocat de première année ce décideur ferait fausse route.

      Je n'ai jamais parlé de ne pas payer les stagiaires, mais comme le stage fait parti de leur formation officielle, il va de soi que c'est différent de quelqu'un qui est reçu.

      Maintenant si tu veux répondre, vas-y, mais au moins réponds à ce que j'ai dit, pas ce que tu as compris.

      Finalement: la ponctuation est ton ami. Le "stream of consciousness" pour un avocat, ça fait ordinaire

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