Le travailliste

Un boss peut-il fouiller le casier de ses employés ?

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Sébastien Parent

2018-08-02 14:15:00

Suspendu, puis congédié après une fouille, un employé conteste en invoquant la Charte des droits et libertés de la personne...

Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
Si plusieurs croyaient loin derrière eux la crainte de voir le directeur d’école forcer la porte de leur casier pour y faire une inspection, il arrive qu’un employeur décide de s’adonner à ce type de pratique auprès de ses employés.

Or, une telle conduite est-elle légale ?

Du trafic de drogues et un agent infiltré de la SQ

Le trafic et la consommation de drogues étant un problème récurrent au sein d’une entreprise de transformation de porcs, Les Viandes du Breton, celle-ci a demandé l’intervention de la Sûreté du Québec. Ayant pris l’affaire très au sérieux, la SQ a jugé opportun d’infiltrer un de ses agents au sein du personnel.

Depuis un certain temps, des salariés avaient également rapporté à la direction qu’un de leurs collègues distribuait de la drogue sur les lieux du travail. Selon la directrice des ressources humaines, il semblerait que le salarié en question était surnommé « le facteur », étant donné qu’il profitait de ses déplacements en chariot élévateur pour faire la distribution de substances illicites durant son quart de travail.

Enfin, un membre de l’exécutif syndical avait alerté la direction qu’il venait tout juste d’être témoin d’une transaction importante de substances illicites dans le vestiaire, tout en refusant de fournir le nom des salariés impliqués.

Congédié suite à la fouille de son casier

En raison des informations qui précèdent, l’employeur a entrepris de procéder à la fouille du casier de celui que l’on surnommait le « facteur », mais également les casiers de divers autres collègues. C’est alors qu’une balance numérique de poche et du cannabis ont été trouvés dans les poches de manteau d’hiver du salarié.

Après avoir suspendu pendant un mois le plaignant, l’employeur lui imposa diverses conditions de retour au travail, dont l’obligation de se soumettre à des tests de dépistage aléatoires sur une période de trois ans. Ultimement, le salarié a refusé l’ensemble de ces conditions, d’où son congédiement.

Au soutien de la contestation des mesures disciplinaires, le syndicat invoquait notamment que la fouille du casier constitue une violation du droit fondamental au respect de la vie privée du salarié, lequel est garanti par la Charte des droits et libertés de la personne. De plus, la procureure syndicale arguait qu’il s’agissait d’une fouille abusive, au sens de l’article 24.1 de la Charte québécoise.

En réponse, l’employeur a soumis qu’il possède un droit de propriété sur les casiers et que ceux-ci ne sont pas verrouillés par les utilisateurs. À tout évènement, il disposait de motifs raisonnables d’aller de l’avant avec la fouille.

Une atteinte à la vie privée du salarié ?

Dans sa sentence du 29 juin dernier (2018 QCTA 386), l’arbitre de grief Richard Mercier rappelle tout d’abord que l’expectative raisonnable de vie privée d’une personne est plus faible lorsqu’elle est à son travail.

Quant au droit de procéder à une fouille, l’arbitre de grief estime que l’employeur peut légitimement recourir à ce moyen lorsqu’il possède des motifs raisonnables de croire qu’une règle de l’entreprise a été violée ou est sur le point de l’être.

S’appuyant sur l’arrêt R.c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393 prononcé par la Cour suprême canadienne en contexte d’établissements scolaires, le décideur précise qu’une norme différente et plus souple doit s’appliquer en matière de fouille au travail par rapport à celle applicable aux autorités policières, notamment en ce qui a trait à la nécessité d’obtenir préalablement un mandat.

Compte tenu des informations rapportées à l’employeur par les collègues de travail, l’arbitre de grief conclut à la légalité de la fouille. Puisque les conditions de retour au travail n’étaient pas déraisonnables ni abusives, le tribunal d’arbitrage confirme donc le congédiement.

Ainsi, à la lumière de cette décision et à l’approche de la légalisation de la marijuana récréative au pays en octobre prochain, la fouille semble être un moyen utile à la disposition des employeurs pour lutter contre les problèmes de consommation de drogue au travail. Évidemment, la décision de l’employeur devra notamment s’appuyer sur des motifs raisonnables qui découlent d’informations fiables, et ne pas constituer une partie de pêche.


Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est aussi chargé de cours à Polytechnique Montréal où il enseigne le droit du travail. Auparavant, il a complété le baccalauréat ainsi que la maîtrise en droit à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est également titulaire d’un baccalauréat en relations industrielles de la même institution. Écrivain dans l’âme et procureur devant la Cour suprême du Canada dès le début de sa carrière, Me Parent est l’auteur de divers articles en matière d’emploi et agit aussi à titre de conférencier.
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2 commentaires

  1. LE KING
    LE KING
    il y a 5 ans
    activiste
    Les boss ont le droit de faire ce qu'ils veulent parce que les petits arbitres québécois leur ont donné ce pouvoir.

  2. ROBERT CONNOLLY
    ROBERT CONNOLLY
    il y a 5 ans
    EMPLOYER
    C'EST INTERRESSANT L'EMPLOYEUR PEUT FAIRE CE QUIL VEUT BONNE QUESTION.

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