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Insolvabilité : des taxis qui prennent l’eau…

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Philippe Buist

2019-02-04 07:00:00

Téo Taxi ferme et a recours à la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Un juriste examine la situation à la loupe!

Le juriste Philippe Buist examine la situation de Téo Taxi.
Le juriste Philippe Buist examine la situation de Téo Taxi.
Après Bijoux Caroline Néron, c’est maintenant au tour de Téo Taxi de recourir à la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Deux entreprises fondées par des ex « dragons  » et qui se retrouvent dans la tourmente financière.

Certains ne sont peut-être pas familiarisés avec le processus qui attend ces entreprises. Voici donc une occasion appropriée de dresser les grandes lignes du processus de « proposition » établi par la loi.

Un peu d’oxygène

La première chose dont a besoin une compagnie en difficulté financière, c’est de se protéger de ses créanciers. La Loi sur la faillite et l’insolvabilité prescrit donc la « suspension des procédures » contre la débitrice.

Cette suspension découle généralement d’un Avis d’intention de faire une proposition que l’entreprise dépose d’urgence, par exemple devant l’imminence de mesures d’exécution (saisies, recours hypothécaires, etc.).

Le terme « procédures » a un sens très large et vise, sous réserve de certaines exceptions, toute mesure entreprise ou adoptée par un créancier en vue du recouvrement d’une créance qui découle de faits survenus avant le dépôt des procédures contre la débitrice.

La loi interdit également aux créanciers d’invoquer l’insolvabilité de cette dernière pour résilier des contrats, qu’il s’agisse d’un bail, d’un contrat de services, de fourniture de matériel ou de services publics (les créanciers peuvent cependant exiger que le coût de la contrepartie future soit acquitté sans délai).

Plan de relance

Cette chasse gardée permet donc à l’entreprise en difficulté d’allouer ses ressources à son plan de relance tout en maintenant ses activités courantes.

La loi lui accorde à cet égard de vastes pouvoirs, l’autorisant notamment à résilier les contrats (dont les baux commerciaux) qui contribuent à son insolvabilité. Le préjudice subi par les cocontractants visés pourra faire l’objet d’une réclamation devant être traitée dans la proposition qui sera présentée ultérieurement.

Financement

Si l’entreprise en difficulté éprouve des problèmes de liquidités et que son bailleur de fonds refuse de lui accorder du crédit additionnel, elle devra rapidement se trouver de nouvelles avenues pour continuer ses activités durant sa restructuration.

Mais qui voudra accorder du crédit à une entreprise en difficulté dont tous les actifs font généralement déjà l’objet de multiples hypothèques? La loi a prévu le coup.

En effet, le tribunal a le pouvoir d’accorder à un prêteur des garanties avec « superpriorité », c’est-à-dire des garanties qui passeront devant toutes celles déjà existantes, ce qui devrait suffire à le rassurer.

De telles garanties sont aussi accordées pour garantir le paiement des honoraires des professionnels qui assistent l’entreprise dans son cheminement pour profiter de la protection accordée par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

Preuves de réclamation

Dans l’intervalle, le syndic fait parvenir aux créanciers de l’entreprise un « formulaire de preuve de réclamation ». Ceux-ci y dénoncent leur créance, y joignent les pièces justificatives et renvoient le tout au syndic. Il revient ensuite à celui-ci, ou aux tribunaux en cas de contestation, de déterminer s’il s’agit de créances admissibles ou non.

Proposition concordataire

Une fois les mesures de transition adoptées, l’entreprise est prête à présenter une proposition à ses créanciers. La proposition peut regrouper ces derniers en diverses catégories, selon leur nature et leur communauté d’intérêts, et présenter une offre distincte pour chacune d’elles.

Cette offre prend généralement la forme d’un remboursement partiel des créances en divers versements. Les créanciers sont ainsi appelés à comparer cette offre à ce qu’ils peuvent espérer recevoir en cas de faillite de l’entreprise (bien souvent, rien du tout).

Vote et assemblée des créanciers

Une assemblée des créanciers est ensuite tenue, où ceux-ci votent sur la proposition. Pour être approuvée, une double majorité doit être atteinte.

D’une part, une majorité simple (50 % + 1) de créanciers doit s’être prononcée en faveur de la proposition. D’autre part, les créances de ceux-ci doivent représenter deux tiers (66 et 2/3 %) des réclamations admises.

Approbation du tribunal

En cas de vote favorable, le débat se déplace devant le tribunal, qui examinera notamment le caractère juste et raisonnable de la proposition et la conduite de la débitrice. Si la proposition est autorisée par le tribunal (on utilise le terme « homologuée » dans la loi), l’entreprise obtient en quelque sorte un nouveau départ, une occasion de repartir avec un bilan en grande partie épuré. Il ne lui reste plus ensuite qu’à honorer les termes de sa proposition!

Faillite

Si la proposition est rejetée par les créanciers, si le tribunal refuse de l’approuver ou si l’entreprise omet d’en respecter les termes une fois qu’elle est en vigueur, il s’ensuit une faillite automatique.

Traitement des « petits » créanciers

On pourrait être tenté de penser que ce processus ne concerne que les créanciers d’importance et que monsieur et madame Tout-le-Monde, dont les créances sont modestes, n’ont rien à y gagner, sinon une maigre poignée de dollars.

Or, bien souvent, c’est tout le contraire. En effet, nombre de propositions offrent un remboursement substantiel ou intégral à ces « petits » créanciers. Détrompez-vous, l’entreprise n’agit pas par altruisme. Elle se positionne plutôt pour obtenir le support d’une majorité de créanciers, ce qui, comme on l’a vu, est un critère essentiel à l’approbation de toute proposition.

Conclusion

Évidemment, ce survol est simplifié pour en faciliter la lecture. En réalité, chaque dossier présente ses particularités et un degré de complexité qui lui sont propres. Il arrive par exemple que la collaboration des créanciers, dont les créanciers garantis, ne soit pas au rendez-vous et que le processus se termine plutôt par une vente de l’entreprise, en tout ou en partie.

Dans tous les cas, cependant, le régime de restructuration sous l’égide de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité se veut transparent et avantageux pour le plus grand nombre d’intervenants. Il joue également un rôle important dans l’économie en permettant souvent à des entreprises viables de traverser des difficultés temporaires, et ce, au plus grand bénéfice de leurs employés, bien entendu, mais aussi de leurs partenaires commerciaux.

Pour alléger le texte, l’auteur a omis nombre de particularités de la loi, notamment celles portant sur le traitement des créanciers garantis ou de certaines créances bénéficiant d’un statut particulier.
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