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Une enquête #Metoo chez Stikeman?

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Delphine Jung

2019-04-25 15:00:00

Contrairement à la version officielle, un associé de Stikeman a remis sa démission à la suite d’une enquête interne au cabinet...

Me Louis-P Bélanger a démissionné de chez Stikeman en décembre 2017.
Me Louis-P Bélanger a démissionné de chez Stikeman en décembre 2017.
En décembre 2017, nous avions publié un article sur le départ d'un grand associé de Stikeman Elliott après 40 ans de loyaux services.

Me Louis-P Bélanger nous avait alors mentionné vouloir lever le pied et ralentir la cadence en vue de prendre sa retraite progressivement. Il avait dans la foulée intégré le cabinet boutique Arnault Thibault Cléroux.

Or, ce n'est pas tout à fait comme ça que ça s'est passé....

Droit-inc a plutôt appris qu’une enquête interne chez Stikeman a été ouverte en novembre 2017, à la suite d’allégations de harcèlement déposées à l’encontre de Me Bélanger.

Comme nous avons récolté de nombreux témoignages et informations au compte-gouttes, nous n'étions pas en mesure de publier cet article plus tôt.

Ainsi, à l’automne 2017, plusieurs personnes auraient informé Me André Roy, alors associé directeur du cabinet (Warren Katz lui a succédé à l’automne 2018), des agissements de Me Bélanger. Ces actes se seraient déroulés sur plusieurs années.

Contacté par Droit-inc, Me Roy n’a pas voulu commenter l’affaire verbalement. Le cabinet a plutôt opté pour une déclaration officielle envoyée par courriel :

« M. Bélanger a cessé d’être un associé du cabinet en décembre 2017 en raison d'un comportement que nous avons jugé contraire à nos valeurs et à nos politiques. Lorsque nous avons été informés de ce comportement, nous avons rapidement retenu les services d’un expert externe pour évaluer la situation. Les conclusions de cette enquête ont été communiquées au conseil de la société, puis à M. Bélanger, qui a démissionné peu après.
Nous nous engageons à offrir un milieu de travail respectueux pour tous. Nous respectons le droit à la vie privée de quiconque porte des préoccupations à notre attention. Par conséquent, nous ne ferons pas d'autres commentaires à ce sujet. »

Cette enquête a été menée par Me Bernard Amyot, du cabinet LCM, ainsi que par sa collègue Me Lucy-Maude Lachance, a appris Droit-inc. Me Amyot n’a pas rappelé Droit-inc.

Plusieurs avocats et membres du personnel administratif, qui ne travaillent plus chez Stikeman, ont ainsi été interrogés dans les bureaux de LCM. La démarche semble avoir été très compartimentée, la plupart des plaignants ne connaissant pas le nom des autres. Ils n’ont pas non plus pu lire le rapport complet de l’enquête.

Certains ont en revanche eu copie d’une quittance signée entre Stikeman et Me Bélanger, que Droit-inc a pu consulter.

Droit-inc a pu s’entretenir avec plusieurs des plaignant(e)s. Tous(tes) ont requis l’anonymat, par crainte de représailles. Droit-inc a aussi eu accès aux déclarations écrites de quelques-uns des plaignants.

L’un de ces plaignants évoque un Bernard Amyot très compatissant, qui ne l’a pas jugé et qui a pris le temps d’écouter sa plainte pendant environ deux heures.

Il lui a demandé de raconter son histoire, comment il avait rencontré Me Bélanger, comment tout cela avait évolué.

Harcèlement et grosses colères

Me André Roy , associé directeur de Stikeman à l'époque, a fait appel à un expert externe pour évaluer la situation.
Me André Roy , associé directeur de Stikeman à l'époque, a fait appel à un expert externe pour évaluer la situation.
Mais que reprochent ces personnes à Me Louis P. Bélanger?

L’une des plaignantes, qui l’a rencontré chez Stikeman et qui l'a fréquenté, décrit l’avocat comme une personne « très contrôlante et colérique ».

Louis P. Bélanger est « quelqu’un de très violent, avec des problèmes d'agressivité et de jalousie », ajoute-t-elle encore.

Ainsi, Me Bélanger l'appelait plusieurs fois par jour pour savoir où elle était, ce qu'elle faisait, il s'invitait à l'improviste lorsqu'elle organisait des soupers entre amis, etc. La plaignante parle d'une « prison invisible », lorsqu'elle évoque sa relation avec l'ex-avocat de Stikeman.

« Lors de nos voyages, il conservait mon passeport avec lui en tout temps », dit-elle.

Elle atteste de plus que Me Bélanger aurait eu un rapport sexuel avec elle alors qu'elle était sous l'emprise de l'alcool et qu'elle vomissait.

Cette personne se souvient également d'une fois où l'avocat a déchiré son pantalon sur une table, dans les bureaux de Stikeman. Dans un accès de colère, il aurait, devant des clients, jeté la table en question dans le corridor.

Une autre source confirme cette histoire et explique : « LPB fulminait, avait le visage rouge. Il a pris une chaise et l'a lancée sur une colonne de la salle. La colonne a été endommagée. Il m'a indiqué qu'il avait écorché son pantalon sur une table basse, qu'il venait de l'acheter et qu'il l'avait payé cher. J'étais à peine sortie (de la salle, NDLR), qu'il a lancé la table dans ma direction. Par chance, la table est tombée juste derrière moi.»

Deux personnes interrogées par Me Amyot estiment avoir été harcelées psychologiquement.

Une plaignante va plus loin en estimant avoir été victime de harcèlement sexuel. C’est d’ailleurs parce qu’il est dans un nouveau cabinet qu’elle est sortie du silence. « Il ne faut pas que ces agissements se répètent dans un endroit où les avocates sont peut-être dans une situation précaire. Dans le milieu du droit, il y a des #MoiAussi », dit cette source.

Alors qu’elle travaillait avec Me Bélanger, elle affirme que celui-ci se collait souvent à elle, qu’il lui frôlait les fesses ou qu’il passait sa main proche de son sein. Elle explique même avoir eu peur au bout d’un moment, de se retrouver seule avec lui, à travailler tard le soir.

Elle souligne que cela se passait toujours dans un contexte où ça avait l'air maladroit.

Un autre plaignant témoigne : « Il avait les mains baladeuses, il regardait plus souvent le décolleté des femmes que droit dans les yeux. Le comité de recrutement lui a même demandé de ne plus être présent aux cocktails lorsqu’il y avait des étudiantes, des stagiaires ou des avocates ».

L'un des plaignants explique s'être mis en « mode survie ». « Je devais trouver un autre travail, sinon ce gars allait me pourrir la vie. Il y avait aussi la question des représailles. S'il apprend que je l'ai accusé de harcèlement sexuel, qu'est-ce qu'il va dire? Que va-t-il faire pour me salir et diminuer ma réputation? »

Dans un échange de courriel dont Droit-inc a obtenu copie, on comprend aussi qu’un professionnel de la santé a déjà émis une attestation médicale interdisant à Louis P. Bélanger d’entrer en contact avec l'un des plaignants.

La tolérance de Stikeman

Me Bernard Amyot, de LCM Avocats, a mené l'enquête pour le compte de  Stikeman.
Me Bernard Amyot, de LCM Avocats, a mené l'enquête pour le compte de Stikeman.
Dans l’un des témoignages, une plaignante allègue que, jusqu’à encore tout récemment, plusieurs avocats étaient au courant du comportement colérique de Me Bélanger, notamment Mes Marc-André Coulombe et Eveline Poirier.

« Je n’ai rien à ajouter et je ne peux rien vous dire », nous a répondu Me Coulombe. Me Poirier n’a quant à elle jamais retourné nos appels, nous renvoyant vers la directrice des communications.

Jocelyn Poirier, directeur général du cabinet, est aussi mentionné dans les témoignages.

À la question de savoir s’il détenait un dossier sur Me Bélanger, il répond : « Je ne sais pas de quoi vous parlez et même si j’en avais un, je ne pourrais rien vous dire ».

Un plaignant affirme toutefois avoir trouvé une « oreille attentive » lorsqu’il en a parlé à Me Roy à l’automne 2017, tout juste avant le déclenchement de l’enquête.

Il n’empêche que le cabinet a toléré cette situation pendant très longtemps. Plusieurs des événements relatés dans l’enquête s’étalent sur une vingtaine d’années. Et ce n’est que dans la foulée du mouvement #Metoo que le cabinet a finalement réagi.

Il est vrai qu’il est difficile de se départir d’un avocat aussi prolifique. Me Bélanger est l’un des meilleurs avocats de litige au Canada et compte parmi ses clients les plus grandes entreprises. En 2013, il a reçu le titre de Plaideur de l'année par la revue Le Monde juridique.

Une des plaignantes raconte que, il y a plusieurs années, elle a parlé des agissements de l’ancien associé à sa supérieure. On lui aurait fait comprendre « qu’elle devait passer au travers ».

« Dénoncer ça veut dire essentiellement que t'as pas accès au partnership, que tu ne seras pas accepté par les collègues, que tu deviens une source de problèmes », explique-t-elle.

Un ancien avocat du cabinet raconte aussi que c’est en partie en raison de comportements comme ceux de Me Bélanger que Stikeman a mis en place - il y a plusieurs années - sa politique particulière de garantir aux futurs stagiaires un emploi pour un minimum d’une année à la suite de leur stage.

Contacté à plusieurs reprises par Droit-inc, Me Bélanger n’a pas souhaité répondre verbalement à nos questions.

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Si vous avez des informations à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse enquete@droit-inc.com. Si vous souhaitez adresser des documents, envoyez-les aussi à ce courriel. Le tout sera traité dans la plus stricte confidentialité.


Louis-P Bélanger réplique, lire ici.

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