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Facile d'appliquer la loi 21?

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Huguette Gagnon

2019-07-02 11:15:00

Une avocate à la retraite prend la plume pour démontrer à quel point il sera difficile d’appliquer la nouvelle loi sur la laïcité. Êtes-vous d’accord avec elle?

Huguette Gagnon, avocate à la retraite.
Huguette Gagnon, avocate à la retraite.
Le Ministre a déclaré qu'il était faux de prétendre que la nouvelle interdiction de porter des signes religieux allait compliquer la vie des directeurs d'écoles qui seront confrontés, selon la CSDM, à appliquer la loi de façon différente d'un établissement à l'autre, selon leur compréhension et leur interprétation de la loi. Le Ministre Roberge a ajouté qu'il n'était pas compliqué d'appliquer la loi 21. Qu'en est-il?

Pour mon analyse, je me limite à étudier la définition de «signes religieux» (article 6). Première partie de la définition : le signe est «porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse»; deuxième partie : le signe est «raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse».

Je sais que l'interdiction s'applique à tous les signes religieux mais, pour mon analyse qui s'applique à tous les signes religieux, je donne l'exemple du voile de l'enseignante.

Toute personne raisonnable (je suppose que le gouvernement, qui a présenté la loi 21, est composé de personnes raisonnables) sait que les femmes, qui portent le voile, ne le portent pas nécessairement par conviction ou croyance religieuse. La première partie de la définition «porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse» ne touche donc pas ces femmes : pour elles, il n'y a pas interdiction du port du voile. En vertu de cette partie de la définition, ce sont les femmes qui portent le voile par conviction ou croyance religieuse qui sont touchées.

Compte tenu qu'il n'est pas précisé quelle est la partie de la définition qui a préséance, une autorité, qui aura déterminé qu'une femme peut porter son voile, parce qu'elle ne le porte pas par conviction ou croyance religieuse (première partie), vérifiera la deuxième partie de la définition : le signe est «raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse».

Toute personne raisonnable sait que les musulmans n'interprètent pas tous le Coran de la même manière, ce qui est normal lorsqu'il s'agit de textes anciens. Une personne raisonnable sait que certains musulmans n'interprètent pas le Coran comme demandant le port du voile alors que d'autres musulmans l'interprètent comme demandant ce port. Chacun a droit à son interprétation, de même que pour l'interprétation des autres textes anciens (la Bible, etc.).

Devant une cour de justice, les experts viendraient témoigner pour aider la cour à déterminer si le voile peut «être raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse». Je ne crois pas que les autorités, qui auront à appliquer la loi 21, auront l'opportunité, et même le temps, de consulter des experts.

Huguette Gagnon estime qu'il est compliqué d'appliquer la loi 21.
Huguette Gagnon estime qu'il est compliqué d'appliquer la loi 21.
Interprétations différentes

Il y aura donc inévitablement des interprétations différentes de la deuxième partie de la définition de «signe religieux» parmi les autorités. Une autorité conclura que le voile n'est pas considéré comme référant à une appartenance religieuse : aucune contradiction alors entre les résultats de la première et de la deuxième partie de la définition. Cette autorité décidera donc que la femme qui est devant elle, et qui ne porte pas le voile par conviction ou croyance religieuse, pourra porter son voile.

Une autre autorité conclura le contraire, soit que le voile est considéré comme référant à une appartenance religieuse. Devant quelle situation sera alors cette autorité? Elle devra pousser plus loin son analyse puisqu'il y aura contradiction entre les résultats de la première partie de la définition (voile permis car la femme ne le porte pas par croyance ou conviction religieuse) et de la deuxième partie (voile pas permis parce référant à une appartenance religieuse). Cette autorité devra nécessairement se poser des questions : «est-ce que je vais dire à cette femme qu'elle devrait interpréter le Coran comme demandant le port du voile et lui ordonner de retirer son voile? La croyance ou la conviction religieuse n'appartient-elle pas à une personne? Est-ce que sa croyance de devrait pas avoir préséance?» Vous le voyez, c'est la quadrature du cercle.

En toute bonne foi et selon leur compréhension et leur interprétation de la loi, les autorités ne concluront pas toutes de la même façon en faisant l'analyse de la deuxième partie de la définition de «signe religieux», d'autant plus si elles n'ont pas toutes accès à des experts en interprétation des religions (ce n'est pas seulement la religion musulmane qui est en cause, évidemment). Il y aura donc des différences de traitement, soit des injustices, entre des personnes étant dans la même situation. Pour l'exemple utilisé pour mon analyse : entre les enseignantes qui ne portent pas le voile par conviction ou croyance religieuse. Certaines pourront le porter et, d'autres, pas.

Je crois avoir démontré qu'il est compliqué d'appliquer la loi 21. Même avec une formation en droit, l'analyse est complexe.

Sur l’auteure
Me Huguette Gagnon est avocate à la retraite (également à la retraite comme arbitre de grief).
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