Propos sur la Jvstice

Du voile à la polygamie

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Alain-robert Nadeau

2009-05-26 15:15:00

La question du port de signes religieux a refait surface la semaine dernière alors que le gouvernement s’est dit favorable au port de symboles religieux dans l’espace public, dont le voile islamique.

Notre chroniqueur, Alain-Robert Nadeau, examine à compter d’aujourd’hui et pour les quatre prochains jours différents volets soulevés par cette déclaration.

Du voile à la polygamie : 1. Les principes judiciaires

Après la Fédération des femmes du Québec (FFQ), le débat sur le port de signes religieux dans la fonction publique s'est poursuivi, à Québec, la semaine dernière. Contredisant le conseil du statut de la Femme, dont elle est la ministre responsable, et qui s'oppose aux signes religieux dans la fonction publique, la ministre de la condition féminine, Christine St-Pierre s'est rangée derrière la FFQ, en se déclarant favorable au port de signes religieux, dont le voile islamique.

À l'Assemblée nationale, tant le Parti québécois (PQ) que l'Action démocratique du Québec (ADQ) se sont élevés contre la tiédeur de la politique gouvernementale et ont accusé la ministre libérale de manquer de courage. La ministre St-Pierre rétorque que l’on ne peut pas interdire le voile sans lancer un difficile débat sur tous les signes religieux. Elle ajoutait qu’elle ne voyait aucun problème à ce que des fonctionnaires portent des signes d’appartenance religieux dans la mesure où ceux-ci ne contreviennent pas au principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans la société québécoise. C’est incidemment là où le bât blesse.

Avec la révolution tranquille, les Québécois se sont graduellement affranchis de deux étreintes fondamentales si intimement liées qu’il était presque impossible de les dissocier : le duplessisme et la religion. Voilà que les revendications de certaines franges fondamentalistes de groupes religieux semblent remettre en question le principe sacré – consacré par la Constitution américaine (1789) et par la Déclaration des droits de l’homme (1789) – de la séparation de l’Église et de l’État.

À l’exception peut-être de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles (la commission Taylor-Bouchard), le gouvernement du Québec ne s’est peu ou prou intéressé à cette question plus large qu’est la place de la religion dans l’espace public québécois. Il a préféré s’abstenir d’adopter une politique à ce sujet afin d’éviter de déplaire à son électorat. Pourtant, l’importance que la société québécoise accorde à la tolérance ou, encore, à la nécessité de ne pas entraver l’intégration des minorités culturelles ne saurait faire obstacle à une affirmation politique claire au sujet de la place de la religion dans l’espace public québécois. À ses risques et périls, si je puis dire, le gouvernement préfère laisser les tribunaux trancher les questions.

La Cour suprême du Canada s’est intéressée à la liberté de religion dès les premières années d’application de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans l’arrêt Big M Drug Mart (1985), elle a définit largement la liberté de religion. La même année, dans l’arrêt Simpsons-Sears (1985), elle affirmera la notion d’accommodements raisonnables. Dans les arrêts Amselem (2004) et Multani (2006), elle établiera un test d’application en deux volets afin de démontrer une atteinte à la liberté de religion. Ainsi, pour démontrer l’existence d’une atteinte à sa liberté de religion, le demandeur doit établir : 1) qu’il croit sincèrement à une pratique ou à une croyance ayant un lien avec la religion, et 2) que la conduite qu’il reproche à un tiers nuit d’une manière plus que négligeable ou insignifiante à sa capacité de se conformer à cette pratique ou croyance. Ce principe judiciaire, fondé sur la « croyance sincère », n’appréhende qu’une partie de la réalité et ne tient pas compte de la question essentielle, soit qu’elle est la place que doit occuper la religion dans l’espace public québécois.
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