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Loi sur la laïcité : le pouvoir judiciaire joue aussi un rôle politique

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Louise Mailloux

2019-12-13 11:15:00

Selon une philosophe, les plaintes contre la juge en chef de la Cour d’appel soulèvent des doutes sur la prétention des tribunaux de pouvoir garantir une meilleure démocratie...

 Selon Louise Mailloux, les plaintes contre la juge en chef de la Cour d’appel soulèvent des doutes. Photos : Sites Web de Louise Mailloux et de la Cour d'appel du Québec
Selon Louise Mailloux, les plaintes contre la juge en chef de la Cour d’appel soulèvent des doutes. Photos : Sites Web de Louise Mailloux et de la Cour d'appel du Québec
Les nombreuses plaintes pour manquement à l’impartialité dans le dossier de la loi sur la laïcité de l’État qui ont été déposées contre le plus haut magistrat du Québec, la juge Nicole Duval Hesler, non seulement ébranlent la confiance du public dans l’institution judiciaire, mais soulèvent également de sérieux doutes quant à la prétention des tribunaux de pouvoir garantir une meilleure démocratie que celle de n’importe quel gouvernement.

L’idée voulant que les juges, parce qu’ils sont à l’abri des pressions populaires et de l’électorat, soient mieux placés que les politiciens pour rendre des décisions objectives, dénuées d’intérêts et de toute partisanerie politique, est une véritable mystification. Toutes les révélations qui ont été faites récemment concernant la juge Duval Hesler en sont d’ailleurs une preuve éclatante.

C’est pourtant cette fausse prémisse qui a servi en 1982 d’argument central au gouvernement de Pierre Elliott Trudeau pour justifier que l’on confie aux juges plutôt qu’aux politiciens la protection des droits fondamentaux de chaque citoyen. Bref, plus on est loin du peuple, meilleure sera la démocratie !

C’est sur cette odieuse méprise, digne des plus grandes aristocraties, que repose aujourd’hui l’autorité de juges qui ne représentent qu’eux-mêmes et à qui on accorde un pouvoir politique sans précédent, leur permettant même de défaire des lois qui ont été votées en toute légitimité par un Parlement, élu au suffrage universel.

Cette prétendue supériorité des tribunaux repose sur un argument majeur, rarement évoqué, voulant que la majorité soit, par définition, tyrannique à l’égard des minorités. C’est l’argument central permettant de mettre en échec la souveraineté parlementaire parce qu’il suppose que les décisions prises par les élus ne sont pas neutres, puisqu’elles sont celles de la majorité et qu’il faut donc s’en remettre à l’impartialité des juges et des tribunaux pour faire respecter les droits de tous.

En clair, cela signifie que la démocratie est suspecte, qu’il faut se méfier de l’État et que les tribunaux ont pour rôle d’en limiter les prérogatives afin de nous préserver du despotisme de la majorité. Cela n’est pas sans rappeler les considérations de l’aristocrate Tocqueville sur la démocratie américaine.

Populisme douteux

Lorsque François Legault nous rappelle que le projet de loi 21 a reçu l’appui de plus de 70 % des Québécois, certains disent qu’il verse dans le populisme. Un populisme douteux, à la conscience encombrée de préjugés, surtout si cette conscience vit en région. Parce que le peuple, c’est l’opinion du vulgaire, le grégarisme, et qu’une majorité d’opinions ne fait pas la vérité. Que nos politiciens campent du côté de l’opinion et des intérêts alors que nos juges à la conscience éclairée baignent dans la lumière de la vérité platonicienne. On reconnaît ici tout le mépris de Socrate pour la démocratie.

La partisanerie et le militantisme de la juge constituent un scandale pour l’institution judiciaire, non seulement parce qu’elle a largement manqué à son devoir de réserve en faisant preuve de partialité, mais aussi parce que ses propos ont été largement médiatisés et étalés sur la place publique, écorchant ainsi l’image magnifiée que le public se fait du monde judiciaire. Ces révélations ont fissuré la forteresse derrière laquelle se réfugie habituellement cette institution ; un univers clos, kafkaïen et surprotégé qui échappe à la médiatisation, à la critique et au regard public. Combien de fois n’avons-nous pas entendu cet appel à la prudence de la part des politiciens : « La chose étant devant les tribunaux, je préfère ne pas commenter. »

Néanmoins les propos de la juge ont eu le mérite de nous faire comprendre ce qu’est la politique judiciarisée, qu’il y a de la politique dans le juridique et que l’immense pouvoir des juges n’est finalement qu’une autre façon de faire de la politique. Comme quoi il n’y a pas que la majorité qui ne soit pas neutre !

N’allons pas croire que le cas de la juge Duval Hesler est un cas isolé. Ce serait ici occulter la nature politique du juridique et ignorer les nombreux exemples de notre histoire qui témoignent de l’importance décisive du rôle politique de l’institution judiciaire dans le maintien de la situation coloniale du Québec à l’intérieur du Canada. C’est dans cette dynamique et ces rapports de force qu’il faut interpréter l’actuelle bataille politique qui se joue devant les tribunaux à propos de la loi 21.

Sur l’auteure

Ce texte d’opinion est d’abord paru sur le blogue de Louise Mailloux. Philosophe, conférencière et essayiste, Louise Mailloux est l’auteure de deux ouvrages portant sur la laïcité, La laïcité ça s’impose et Une Charte pour la nation.

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