Covid-19

«Je serais prêt à gager contre eux, mais c'est leur droit»

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Camille Laurin-desjardins

2020-07-27 11:15:00

Les nombreux Québécois qui s’opposent au port du masque pourraient-ils s’adresser aux tribunaux? Droit-inc a en a discuté avec un vieux pro des droits de la personne...

Droit-inc a discuté avec Me Julius Grey. Photos : Radio-Canada
Droit-inc a discuté avec Me Julius Grey. Photos : Radio-Canada
Depuis que la Ville de Montréal, puis le gouvernement du Québec ont annoncé que le port du masque serait obligatoire dans tous les lieux publics fermés, ceux qui refusent d’arborer le couvre-visage sont plus bruyants. Une manifestation contre le port du masque s’est déroulée samedi, à Montréal, où des centaines de personnes se sont réunies pour exprimer leur colère. Certains avancent que le masque n’est pas un bon moyen de protection (malgré les données scientifiques à cet effet); d’autres dénoncent une violation de leurs droits et libertés.

Mercredi, une pétition contre le port obligatoire du masque mise en ligne deux jours plus tôt sur change.org avait recueilli plus de 50 000 signatures. La plateforme a ensuite retiré la pétition de son site, provoquant la colère de nombreux signataires. Quelle est la prochaine étape pour eux? Ont-ils raison d’invoquer que cette obligation contrevient à la Charte québécoise des droits et libertés?

Droit-inc en a discuté avec Me Julius Grey, une référence dans le domaine.

Droit-inc : Croyez-vous qu’imposer le port du masque contrevient à la Charte des droits et libertés de la personne?

Me Julius Grey : Je suis sûr que ça contrevient à la charte… C'est une limitation de la liberté. La question est: est-ce que c'est justifié?

À mon avis, sous les deux chartes, canadienne et québécoise, c’est justifié.

Selon l'article 1, les droits ne sont pas illimités. Et parfois, ils entrent en conflit l’un avec l’autre.

Par exemple, ici, il faut soupeser le droit à la liberté de chacun de ne pas porter le masque, et le droit à la vie et la sécurité d’une personne, qui milite dans l’autre sens.

C'est vrai que ce n’est pas à 100% prouvé, mais les données scientifiques semblent claires: ça aide à retarder la propagation du virus.

Alors il me semble qu'on pourrait facilement montrer que ceci est précisément le genre d'événements qui justifie des dérogations raisonnables.

Qu’est-ce qui est raisonnable, selon vous?

D’une part, il faut que ce soit temporaire, parce qu'on ne veut pas avoir un État de filature, avec un masque obligatoire et des restrictions majeures après la fin de la COVID. La COVID ne devrait pas être un prétexte pour la création de ce que j'ai toujours appelé «la démocratie totalitaire».

Deuxièmement, il faut que les pénalités, tant pour les commerçants pour que les individus, restent dans les limites de ce qui est raisonnable, qu’elles ne constituent pas une peine cruelle et inusitée. La Cour suprême a déjà tranché là-dessus.

Troisièmement, et ça c'est très important, mais je pense que ça va être correct, il ne faut pas que la décision d'imposer une amende soit prise par un policier ou un fonctionnaire de façon finale. Ils peuvent émettre un ticket… mais il faut qu'il y ait un recours judiciaire – comme c’est le cas en matière de contraventions, en général. Il faut que ce soit un juge qui détermine si on est coupable de quelque chose.

Par exemple, il peut y avoir des exceptions: imaginez quelqu’un qui arrive en courant à l’urgence, il n'a pas le temps de chercher un masque, parce qu'il est dans un état grave… C'est un juge qui déterminerait si la défense de nécessité est établie.

Et autre chose: les masques doivent être largement disponibles. On ne peut pas créer un État où certaines personnes ne peuvent pas visiter l'hôpital ou une clinique, ou encore acheter de la nourriture.

Donc, ce que je pense, c'est qu'une contestation générale de la règle va échouer. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir des situations où un cas particulier va être défendable…

Et maintenant, pensez-vous que ce serait plausible qu'une telle poursuite se mette en branle?

Il y a des gens qui se mettent ensemble pour contester la loi. Je pense que rien ne devrait les empêcher de présenter leur point de vue, devant le tribunal.

Aux États-Unis, il y a maintenant un peu de violence… les gens anti masques ont des poings assez actifs (rires)!

Je pense qu'il va probablement y avoir une contestation, j’espère qu'elle ne réussira pas.

Les gens qui se battent pour l'application de la charte, comme moi, sont toujours contre l'application de l’article 1.

Mais c'est précisément les urgences comme la COVID, les inondations, Fort McMurray, les guerres… qui justifient une limitation, bien sûr raisonnable, des droits sous la charte. Ce serait illogique pour moi de m’opposer systématiquement à l’utilisation de l'article 1, sans donner un effet à cet article. Et l'effet est précisément une situation comme la COVID.

Mais je pense que la solution logique pour les adversaires du masque obligatoire, c’est la présentation d'une requête à la cour. Je serais prêt à gager contre eux, mais c'est leur droit.

Donc, on n'a pas fini d'en entendre parler, si je vous comprends bien...

Non. Et je pense que la bataille que nous voyons présentement, c'est peut-être une certaine préparation pour une bataille qui va se faire autour d’un vaccin obligatoire.

Il va sûrement y avoir un argument en faveur d'un vaccin obligatoire. Et là, le débat va se faire. C’est une question très délicate.

Il va y avoir des gens qui vont dire non. Si c'est très peu de gens, ce n'est peut-être pas si grave, parce que le degré d'immunité va être établi. Mais si, comme on prévoit par exemple aux États-Unis, 25% des gens vont refuser...

Qu'est-ce que vous pensez de cela? Croyez-vous qu'on pourrait invoquer qu'un vaccin obligatoire contrevient à la Charte?

Je pense que tout va dépendre des statistiques. Si on avait des statistiques qui disaient que la COVID ne peut pas être arrêtée autrement, et que le vaccin n'est pas dangereux – parce qu'on ne peut pas obliger quelqu'un à prendre quelque chose qui a 30% des chances de le tuer.

Mais si on a d'une part des preuves scientifiques que c'est sécuritaire, et d'autre part des preuves solides à l'effet que c’est nécessaire… je pense que ce serait un peu la même chose que le masque. Dépendant du danger du vaccin, du degré de danger à la société de l'absence d’une vaccination universelle, les tribunaux pourraient décider si la dérogation à la Charte est justifiée.

Vous savez, en matière de transfusions, on permet aux témoins de Jéhovah de ne pas les accepter, mais pas d'empêcher que leur enfant reçoive le sang. Il peut y avoir toutes sortes de nuances.

Je pense qu'il n'est pas illogique d’obliger les enfants à l’école de se faire vacciner.

En même temps, le vaccin, c'est plus grave qu’un masque, c’est quand même une intervention physique, l'injection d’une substance. Je pense qu’il y aura un débat… si, bien sûr, il existe un vaccin.

Nous sommes devant un cas clair où le débat sur les limites raisonnables de la liberté peut se dérouler devant les tribunaux.
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3 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 3 ans
    Certain que ça contrevient à la Charte ?
    Il semble oublier que pour conclure à une violation de l'art. 7 de la Charte canadienne, ça prend aussi une violation d'un principe de justice fondamentale. Quel principe de justice fondamentale serait violé ici ?

  2. Dany Lessard
    Dany Lessard
    il y a 3 ans
    Président, Hydro Expertise
    Très bonne entrevue.

  3. Api
    À suivre.
    Même au niveau de l'atteinte à un droit fondamental quelconque protégé par les chartes, le tout n'est pas certain.

    Par exemple, (et quoique que le droit peut avoir évolué depuis sa parution), dans l'arrêt Léger c. Montréal (Ville de) (C.A., 1986-06-09), SOQUIJ AZ-86011194, la Cour d'appel a exprimé l'avis qu'il n'y avait aucune atteinte aux chartes quant à la décision du gouvernement d'imposer à tous une obligation de porter de la ceinture de sécurité en automobile et que les chartes ne protège pas le droit « to be let alone », surtout lorsqu'il est question de bien commun.

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