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Quand un psychiatre s’improvise expert dans une cause de divorce

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Camille Laurin-desjardins

2020-08-10 13:15:00

Une juge de la Cour supérieure a condamné un psychiatre à verser 20 000$ à l’ex-épouse de son patient...

La juge Johanne Brodeur. Photo : Archives
La juge Johanne Brodeur. Photo : Archives
En recommandant une garde partagée dans la cause de divorce impliquant son patient, le Dr Evan Brahm a agi « de façon irresponsable et non professionnelle », conclut la juge Johanne Brodeur, qui n’est pas tendre à l’égard du psychiatre, dans son jugement déposé le 15 juin dernier à la Cour supérieure.

« La juge a envoyé un message clair : on ne peut pas s'immiscer dans un dossier de divorce comme ça, dans lequel on n’est pas expert », considère l’avocate de la requérante, Me Muriel Librati, associée chez Teitelbaum Librati.

Un document d’opinion écrit par le Dr Brahm (et déposé à la cour par l’avocat de son patient) pendant les procédures de divorce est au centre du litige.

La requérante, surnommée « C. » (l’identité des deux ex époux est protégée, puisqu’il s’agit d’une cause en droit familial), avançait que ce document était une opinion d’expert sur la garde d’enfants, alors que le psychiatre se défendait en disant qu’il s’agissait d’une simple lettre adressée à l’avocat de son patient (et ex-époux de Madame, surnommé « D. »).

C. et D. ont été mariés pendant près de 20 ans. En 2014, alors que leurs deux enfants avaient 10 et 8 ans, ils ont entamé des procédures de divorce. Les deux parties se sont entendues pour choisir un expert, le Dr Yaniv Elharrar, qui a produit une évaluation psychosociale des deux parents, dans le but de déterminer leurs capacités parentales.

Celui-ce ne recommandait pas la garde partagée, mais plutôt que les deux enfants restent avec leur mère, comme c’était déjà le cas.

D. était traité par un psychiatre (le Dr Brahm), notamment pour des problèmes de dépression, d’anxiété et d’alcoolisme. À la demande de l’avocat de D., le psychiatre a rédigé un document dans lequel il recommande la garde partagée pour les deux enfants.

La mère a été choquée, puisque le psychiatre – contrairement à l’analyse faite précédemment par l’expert – ne l’avait jamais rencontrée, ni elle ni ses enfants, et ne lui a fait faire aucun test psychométrique.

Dans ce document, le Dr Brahm cite l’analyse du Dr Elharrar, qui souligne que les deux enfants veulent rester avec leur mère.

« Il est important de souligner qu’ils passent la plupart de leur temps avec leur mère, et qu’il est donc impossible pour eux de ne pas être au courant de ses souhaits et influencés par ceux-ci », écrit le Dr Brahm.

« Selon moi, il est extrêmement important pour le bon développement des garçons qu’ils aient une vraie relation avec leur père, en plus de celle qu’ils ont avec leur mère, poursuit-il. Former et perpétuer une profonde identification envers son père est indispensable pour qu’un garçon se développe bien et qu’il devienne un homme sain et fonctionnel. »

L’avocate de la requérante est Me Muriel Librati. Photo : Site Web de Teitelbaum Librati
L’avocate de la requérante est Me Muriel Librati. Photo : Site Web de Teitelbaum Librati
Le rapport, un catalyseur?

« Ce rapport a tout chamboulé le processus, estime Me Librati. Ç’a créé un brouhaha, et à partir de ce moment, Monsieur (D.) est devenu très en opposition.»

Le dossier est devenu très litigieux. Des avocats ont dû être nommés pour représenter les enfants. Le tout s’est finalement réglé hors cour, et la mère a obtenu la garde complète des enfants.

Me Librati, qui oeuvre en droit familial depuis plus de 20 ans, est d’ailleurs attristée par le dénouement des événements : pendant les procédures de divorce, le père a rechuté, raconte-t-elle, et n’a plus eu accès à ses droits de visite.

«En bout de ligne, le père n’a plus jamais revu ses enfants», se désole-t-elle, ajoutant que le dossier aurait pu se régler autrement, si la mère avait obtenu la garde intérimaire pendant un an, par exemple, avec des droits de visite pour le père. Ils auraient pu ensuite réévaluer la situation.

Un acte réservé

La juge Brodeur rappelle que faire des recommandations en matière de garde d’enfant ou de droit d’accès est un acte réservé aux membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec et de l’Ordre professionnel des psychologues du Québec.

Le psychiatre arguait que cela n’était pas destiné à être déposé en cour, mais qu’il s’agissait d’une lettre confidentielle adressée à l’avocat de son patient. La juge n’a pas cru à cette version, spécifiant que la crédibilité du Dr Brahm est nulle.

« Les explications qu’il a fournies pour justifier ses actions rétroactivement ne sont pas cohérentes avec les faits et les documents déposés pendant le procès », affirme-t-elle.

La juge Brodeur le décrit d’ailleurs comme étant « entêté », ainsi que dépourvu d’ouverture et de remords – à un moment, C. a demandé au psychiatre de retirer son rapport et de lui faire des excuses, ce dont elle se serait satisfaite… mais qu’il n’a jamais voulu faire.

Dommages punitifs

L’ex-épouse du patient poursuivait le psychiatre au civil pour plus de 40 000$, en dommages punitifs et compensatoires. La juge a condamné le Dr Brahm à lui payer 20 000$ en dommages punitifs, «pour s’assurer qu’il ne répète pas sa faute».

La juge Brodeur souligne que le Dr Evan pratique maintenant dans le secteur privé.

«Les opinions d’experts sont un domaine très lucratif, ce qui représente dans ce cas-ci un élément supplémentaire en faveur d’entériner des dommages punitifs, écrit-elle. La Cour note que la méthode de tenue de registres du Dr Brahm est lamentable.»

Dr Evan Brahm est représenté par Me Charles P. Blanchard, de McCarthy Tétrault. Photo : Site Web de McCarthy Tétrault
Dr Evan Brahm est représenté par Me Charles P. Blanchard, de McCarthy Tétrault. Photo : Site Web de McCarthy Tétrault
Toutefois, elle n’est pas en mesure de le condamner à payer des dommages compensatoires.

« Puisque le Dr Brahm n’a jamais voulu retirer son rapport, ç’a créé toute cette contestation qui a duré des années, explique Me Librati. Mais la juge Brodeur conclut qu’elle ne peut pas dire que c’était directement lié à ce rapport. Et dans un sens, je comprends… Est-ce que c’est le problème d’alcool de Monsieur qui a alimenté tout ça, est-ce que c’est d’autre chose? »

L’avocate souligne d’ailleurs que le montant obtenu (20 000$) est assez élevé pour des dommages punitifs, au Québec.

Quand au Dr Evan Brahm, il est représenté par Me Charles P. Blanchard, de McCarthy Tétrault. Il aurait signifié à Me Librati qu’il réfléchissait encore avec son client, à savoir s’ils porteront le jugement en appel ou non.

McCarthy Tétrault n’a pas voulu commenter le dossier.
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