Covid-19

Un employeur pourrait-il obliger ses employés à se faire vacciner contre la COVID-19?

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Mes Catherine Pronovost, Katherine Poirier, Louis Gilmour

2020-10-26 11:15:00

L’enjeu de l’octroi de soins de santé est strictement encadré en droit québécois, expliquent trois avocats de BLG...

Les auteurs de cet article, Mes Catherine Pronovost, Katherine Poirier, Louis Gilmour. Photo : Site web de BLG
Les auteurs de cet article, Mes Catherine Pronovost, Katherine Poirier, Louis Gilmour. Photo : Site web de BLG
Depuis son émergence au Québec, la COVID-19 a engendré son lot d’inconvénients pour les travailleurs et les employeurs et continue d’entraîner de nombreux défis de gestion et d’administration des ressources humaines.

Les obligations et responsabilités des employeurs ne cessent de s’accroître considérablement en matière de santé et de sécurité du travail. Notons, entre autres, le resserrement des mesures d’hygiène et d’entretien dans les lieux de travail, l’obligation de distanciation sociale et le port du masque.

La recrudescence des cas de COVID-19 à laquelle nous assistons ces jours-ci nous rappelle malheureusement son haut taux de contagion et sa virulence au sein de la population à risque. La communauté scientifique mondiale déploie des efforts importants pour développer un vaccin efficace et pour plusieurs, un tel vaccin constitue la solution tant attendue.

Dans ce contexte, plusieurs questions d’ordre juridique se posent. Notamment, un employeur pourrait-il obliger ses employés à se faire vacciner contre la COVID-19?

Les principes juridiques applicables

Qu’il soit question d’un vaccin contre la COVID-19 ou de tout autre vaccin actuellement disponible, la réponse devrait être identique : il n’est pas possible, au Québec, d’imposer la vaccination à qui que ce soit. En effet, l’enjeu de l’octroi de soins de santé est strictement encadré en droit québécois.

Premièrement, le Code civil du Québec prévoit à l’article 11 que « Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, quelle qu’en soit la nature, qu’il s’agisse d’examens, de prélèvements, de traitements ou de toute autre intervention (…) ».

Deuxièmement, la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte ») consacre les principes de l’inviolabilité du droit à l’intégrité et à la liberté de la personne, de même que la liberté de religion et les droits à la dignité et au respect de la vie privée.

Ainsi, à la lumière de ce qui précède, il est difficile d’imaginer comment l’imposition d’un vaccin contre la COVID-19 par l’employeur au sein de son entreprise pourrait a priori se soustraire à ces principes, et ce, malgré les effets dévastateurs de cette maladie sur la société québécoise.

Ceci étant dit, dans le contexte actuel d’urgence sanitaire, une réponse plus nuancée pourrait s’imposer.

D’abord, sans viser spécifiquement la situation des employeurs, la Loi sur la santé publique offre une solution sans équivoque en prévoyant que le gouvernement peut « sans délai et sans formalité, pour protéger la population : 1° ordonner la vaccination obligatoire de toute la population ou d’une certaine partie de celle-ci contre (toute) maladie contagieuse menaçant gravement la santé de la population (…) ».

Or, à moins d’observer une détérioration de la situation sanitaire, il serait surprenant d’assister à l’application de cette mesure draconienne par le gouvernement québécois. Si le gouvernement devait opter pour une telle mesure, il est raisonnable de croire que celle-ci ne viserait, dans un premier temps du moins, qu’une partie de la population directement impliquée dans la chaîne de transmission au sein de la population à risque, y compris les employés du réseau de la santé.

Si une telle mesure législative n’était pas mise en œuvre par l’État, l’employeur dont les activités comprennent des interactions soutenues avec une clientèle vulnérable pourrait invoquer que la vaccination de ses salariés est requise afin de protéger sa clientèle et de prévenir d’éventuelles éclosions.

En effet, malgré la primauté des droits et libertés mentionnés précédemment, la Charte stipule que ces derniers doivent s’exercer dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

Cela signifie qu’il est néanmoins possible d’y déroger dans la mesure où l’on démontre que la limite est « imposée dans la poursuite d’un objectif légitime et important et qu’elle est proportionnelle à cet objectif ».

Concrètement, certains employeurs pourraient donc implanter une politique relative à la vaccination, à condition de prouver qu’il s’agit d’une exigence professionnelle justifiée, en considérant notamment la santé et la sécurité des employés et de la clientèle visée.

Pensons d’emblée au milieu de la santé, à celui des résidences pour aînés, etc. Cette possibilité ne permettrait toutefois pas à ces employeurs de contraindre leurs employés à se faire vacciner contre leur gré, mais plutôt de prendre des mesures de rechange relativement aux employés qui refusent le vaccin.

Bien qu’il n’existe pas de jurisprudence abondante en la matière, une sentence arbitrale datant de 2008 illustre bien l’exercice de pondération qu’exige la Charte. Dans cette affaire, des salariés du Centre de santé et de services sociaux Rimouski-Neigette ont contesté la suspension sans solde de trois jours qui leur a été imposée à la suite de leur refus de recevoir un vaccin. Ce vaccin était requis dans le cadre d’un protocole d’intervention mis en place par le ministère de la Santé et des Services sociaux découlant d’une éclosion d’influenza dans l’établissement.

Dans ses motifs, l’arbitre réitère d’entrée de jeu le droit de l’employé de refuser d’être vacciné. Or, après la mise en balance du droit à l’intégrité physique des employés, de même que la pondération des critères de proportionnalité et de l’objectif visé, il en est venu à la conclusion que l’employé concerné se devait de « vivre avec la conséquence de son refus ».

En d’autres mots, l’employé a droit de refuser la vaccination, mais en raison des circonstances particulières justifiant le déploiement de mesures de prévention, cet employé peut faire face à des mesures de nature administrative, telle une suspension sans solde.

Ceci dit, les autres types de milieux de travail (par exemple, les bureaux administratifs au sein desquels la distanciation sociale est aisée, etc.) risquent fort bien de ne pas satisfaire aux exigences du test applicable afin de démontrer que la vaccination correspond à une exigence professionnelle justifiée, notamment en raison des mesures autres que la vaccination qu’ils sont à leur portée.

En effet, il ne suffit pas d’alléguer qu’une mesure correspond à une exigence professionnelle justifiée par des considérations de santé et de sécurité générales : encore faut-il en faire la démonstration dans le contexte précis des activités de l’employeur.

Conclusion

La question de l’imposition du vaccin par un employeur dans un contexte de pandémie mondiale est sans précédent. Toutefois, en raison des principes applicables et en l’absence de directives gouvernementales exigeant la vaccination obligatoire, il est raisonnable de croire que seulement certains milieux de travail où il existe un risque accru d’éclosion pourront déployer une politique visant à éliminer les risques de contagion et imposer des mesures administratives aux employés qui s’opposeraient à la vaccination.

Soulignons finalement qu’il serait acceptable pour les employeurs de faciliter l’accès des employés au vaccin (en s’inspirant de la pratique relative aux campagnes de vaccination annuelle contre l’influenza), et ce, quel que soit le secteur d’activité de l’entreprise.

Par ailleurs, la mise à disponibilité rapide d’un vaccin efficace et sécuritaire devrait favoriser, espérons-le, son obtention volontaire au sein de la population générale.

À propos des auteurs

Me Catherine Pronovost est une avocate-conseil spécialisée en droit du travail et de l’emploi chez Borden Ladner Gervais, et se spécialise principalement dans la santé et la sécurité au travail de même que dans les relations de travail.

Me Katherine Poirier est une associée de BLG qui exerce en droits de la personne et de la santé et sécurité. Elle conseille et représente des clients dans des situations de crise et des dossiers délicats, dont des accidents graves en milieu de travail et des affaires complexes de harcèlement.

Me Louis Gilmour est avocat chez BLG et exerce en règlement de différends. Le Barreau 2020 se spécialise en droit du travail et de l’emploi. Il conseille des employeurs syndiqués et non syndiqués et représente leurs intérêts en cas de litige.

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1 commentaire

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 3 ans
    Aucun expert médical pour fonder cette opinion juridique?
    Et après ça les médias se lamentent sur la montée du "complotisme".

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