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Le combat des patients victimes d'une erreur médicale

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Radio -canada

2021-01-25 11:15:00

Des juristes se prononcent sur les meilleures façon de réformer le système, pour permettre aux victimes d’erreurs médicales de se faire entendre...

Me Marc Boulanger, avocat spécialisé en responsabilité médicale. Photo : Radio-Canada
Me Marc Boulanger, avocat spécialisé en responsabilité médicale. Photo : Radio-Canada
L’histoire de Jocelyn Blouin, cet homme qui poursuit le CHU de Québec et un de ses médecins pour une erreur médicale, illustre bien l’immense combat de ceux qui se lancent dans de telles procédures contre un médecin. Ce qui ramène à l’avant-plan différentes solutions souvent discutées, mais jamais déployées.

Le cancer du poumon de M. Blouin n’a été diagnostiqué qu’en décembre 2017 alors qu’un an plus tôt, une radiographie passée dans un tout autre contexte montrait déjà la présence d’une masse inquiétante. Ce résultat ne lui avait jamais été communiqué.

« C’est une risée! » lance Paul Brunet, président-directeur général du Conseil pour la protection des malades.

Ce n’est pas d’hier qu’il revendique un meilleur système pour permettre aux victimes d’erreurs médicales de se faire entendre. Paul Brunet fait valoir que « la plupart d’entre nous n'avons pas les moyens ».

« C'est une injustice crasse », ajoute M. Brunet.

« Que le Collège des médecins ne me parle plus d'un régime de plaintes tant qu'il n'assurera pas aux patients plaignants les ressources au moins aussi bonnes que le médecin contre qui on se plaint », insiste-t-il.

Il s’explique mal que le législateur ou le Collège des médecins ne soit pas intervenu plus tôt.

« Pendant ce temps-là, il y a du monde ordinaire, comme vous et moi, qui subit (les conséquences) d’erreurs médicales », déplore-t-il.

« J'en suis rendu à penser que le législateur devrait introduire un régime ''no fault'' comme dans les accidents d'automobile, lance Paul Brunet. Pour qu'au moins le patient ait un minimum d'indemnité surtout quand on l'a affligé pour le restant de ses jours à cause d'une erreur médicale ».

« C’est de l’utopie! »

Cette idée du no fault, un système d’assurance sans égard à la responsabilité, a déjà été soulevée et discutée à plusieurs reprises dans le passé, mais elle ne fait pas l’unanimité.

Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades. Photo : Radio-Canada
Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades. Photo : Radio-Canada
« C’est de l’utopie! », s’exclame Me Marc Boulanger, avocat spécialisé en responsabilité médicale au cabinet Tremblay Bois, à Québec.

Bien qu’il admette qu’une poursuite contre un médecin représente « une bataille en remontant la côte » dont « la quête d’information est une difficulté », Me Boulanger estime que cette idée n’est pas réaliste.

« Il ne faut pas être naïf. Il n’y a pas un gouvernement qui va vous dire : "on va vous payer plus cher, ça va être plus léger et ça va être plus rapide". Ça n’arrivera pas », dit-il.

Une modification du Code civil?

L’avocat propose plutôt une modification au Code civil afin de renverser le fardeau de la preuve « pour que ce soit à la défense, à l'hôpital, aux médecins, aux infirmières, aux techniciens de s'expliquer ».

« Ce serait très facile à faire. C'est la façon la plus simple et la moins chère pour arriver à un résultat probant », estime Me Boulanger.

Me Serge Dubé, aussi avocat spécialisé en responsabilité médicale, estime qu’un système de ''no fault ''pourrait créer « un monstre administratif ». « Je n’y crois pas, la machine serait trop lourde», dit-il.

Ce dernier admet par contre lui aussi que « c'est un système difficile » et qu’une telle poursuite peut coûter cher, surtout en frais d’expertise. Le coût d’une première expertise, nécessaire pour vérifier s’il y a une cause valable, peut varier entre 1000$ et 3000$, selon Me Dubé.

L’avocat précise cependant que les avis de plusieurs experts peuvent être nécessaires, de sorte que la facture en expertise peut parfois grimper jusqu'à 10 000$.

Le modèle de la Nouvelle-Zélande

Même si cette idée ne fait pas l'unanimité, elle a fait ses preuves ailleurs selon le professeur retraité à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, Robert Tétrault.

L’étude du modèle de la Nouvelle-Zélande lui a permis de conclure qu’un tel régime est réaliste pour le Québec. « Quelle forme prendrait ce régime dans le contexte québécois? », s’est-il demandé.

« Il est effectivement possible de concevoir une alternative valable et viable aux patients et aux proches laissés pour compte par le régime de responsabilité civile de droit commun », a-t-il conclu dans une esquisse d’un régime québécois d’indemnisation des victimes d’accidents thérapeutiques qu’il a présentée dans un colloque sur le sujet en 2005.

Robert Tétrault fait notamment valoir que le Québec peut déjà compter sur son « expérience acquise dans la mise en oeuvre des régimes étatiques d’indemnisation », tels que celui pour les accidentés de la route et les accidentés du travail.

Joint au téléphone, le professeur retraité affirme que « le processus actuel est très lourd pour la victime ».

« Il y a un énorme déséquilibre. Ce sont des personnes vulnérables qui n’ont bien souvent pas l’énergie et ni les sommes pour faire contrepoids aux médecins ou aux établissements de santé », se désole-t-il.

« Les avocats qui défendent les médecins sont en grande partie payés par le gouvernement », rappelle aussi M. Tétrault, considérant que le montant que les médecins paient en assurance responsabilité leur est pratiquement remboursé en totalité par le gouvernement.

Dans un cas comme celui de Jocelyn Blouin, qui poursuit le médecin et l’hôpital, le gouvernement finance indirectement à la fois la défense du médecin et la défense de l’établissement.

Une volonté politique nécessaire

Si les pistes de solutions ne font pas l’unanimité, tous s’entendent sur le fait que ces causes sont toujours complexes et que l’accès à la justice demeure difficile.

Le principal défi demeure notamment de prouver le lien de causalité et le fardeau de la preuve qui repose sur les patients.

« Ça prend une volonté politique », affirme Robert Tétrault.

« Qu'on ne me parle pas au gouvernement caquiste d'un meilleur accès à la justice. Ce n’est pas vrai tant qu'on ne règlera pas ça », selon Paul Brunet.

L’avocat Marc Boulanger serait surpris « qu'il y ait une volonté politique de changer ça ».

« Il y a un discours politique d'améliorer l'accès (à la justice) et de le rendre moins cher au public, admet-il, mais rien n’a jamais réellement changé. »

« C'est un discours que j'entends depuis que je suis en pratique et je suis du Barreau 1979, ça fait une mèche que j'entends parler de ça », conclut le juriste.
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