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La discrimination basée sur l’image est-elle légale ?

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Gabriel Granatstein

2011-01-21 14:15:00

Peut-on perdre un travail parce qu'on a pris du poids ? Peut-on ne pas être recruté parce qu'on n'est pas assez beau ? Gabriel Granatstein, avocat chez Ogilvy Renault, répond.

Peut-on être renvoyé pour cause de gain de poids lorsqu’on travaille comme danseur ou danseuse exotique? Peut-on se voir refuser le poste de vendeur dans une boutique de vêtements haut de gamme parce que nous ne sommes pas considérés comme étant assez attrayantes? Certaines études ont démontré que les personnes plus grandes et plus physiquement attirantes sont mieux payées que leurs collègues plus petits et moins séduisants pour des emplois similaires. Est-ce légal?

La majorité des gens savent bien que les chartes des droits et libertés de toute juridiction les protègent contre la discrimination basée sur leur âge, leur origine ethnique, leur sexe, leur religion, leur orientation sexuelle, leur statut civil, leur handicap ou leur langue. Toutefois, plusieurs ne savent pas si cette protection inclut également l’apparence physique.

La loi portant sur le sujet est nébuleuse. Ni l’apparence physique ni la maternité ne sont spécifiquement protégées par plusieurs des chartes des droits et libertés du Canada. Néanmoins, nos tribunaux ont statué que lorsque l’on discrimine une femme parce qu’elle est enceinte, il s’agit de discrimination basée sur son sexe puisque seule une femme peut être enceinte (sous réserve de quelques récentes exceptions). Dans un même ordre d’idées, l’apparence physique d’une personne pourrait donc être rattachée à l’un des droits protégés par la loi. La discrimination basée sur l’apparence pourrait-elle par exemple être reliée à la discrimination basée sur l’âge?

Au Québec, à la fin des années 1990, un propriétaire de restaurant, se trouvant en difficulté financière, a exigé des serveuses de son établissement qu’elles portent des jupes plus courtes, des décolletés et des talons hauts dans le but d’augmenter sa clientèle. L’une des serveuses a refusé de se plier à cette exigence et a été renvoyée. Elle a alors déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui l’a représentée devant le Tribunal des droits de la personne du Québec. Le Tribunal a statué qu’imposer une telle obligation était un affront à la dignité de la plaignante et qu’il s’agissait bel et bien de discrimination basée sur le sexe. Le restaurant a donc dû payer près de 4 000$ en dommages à la plaignante. Même s’il ne s’agit pas d’une affaire de discrimination basée sur l’apparence, cela donne une bonne indication sur la manière dont elle pourrait être analysée par nos tribunaux.

Les États-Unis, avec leur grande population, traitent des litiges similaires sur une base beaucoup plus fréquente qu’au Canada et menant à des conclusions intéressantes. Les tribunaux américains ont déterminé que lorsque l’apparence physique n’est pas un critère raisonnable ou un prérequis d’embauche, imposer des restrictions est discriminatoire.

Toutefois, lorsque l’apparence est le fondement et la nature même de l’entreprise, les employeurs peuvent légitimement favoriser des candidats ou des employés ayant des attributs physiques spécifiques. En conséquence, cela signifierait qu’un établissement de danse exotique pourrait discriminer en se basant sur l’apparence physique alors qu’un cabinet d’avocats ne le pourrait pas.

Au Japon, cette année, un détaillant haut de gamme a été poursuivi quand on a allégué que son PDG aurait ordonné le licenciement de tous les vendeurs moins attrayants. Quoique peu familier avec les lois japonaises traitant de la discrimination, je reste curieux de voir comment se conclura cette affaire.

Au Canada, il est possible de discriminer une personne lorsqu’un critère d’embauche de bonne foi le justifie. Par exemple, pour accéder au métier de pompier, il faut rencontrer certains critères de grandeur et de poids et ne pas souffrir d’un handicap physique qui empêcherait un pompier de remplir les tâches qu’il doit normalement effectuer.

Pourra-t-on faire en sorte que l’apparence physique devienne un critère d’embauche légitime et de bonne foi pour certaines professions? Je suis enclin à penser que oui. Toutefois, je suis convaincu que nos tribunaux restreindraient grandement le type d’emplois pouvant être inclus dans cette catégorie. Les employeurs (et la société en général) devront être prudents lorsqu’ils imposeront leurs standards quant à l’apparence physique puisque après tout, comme Voltaire l’a écrit : « la beauté est dans les yeux de celui qui regarde »!

Gabriel Granatstein est avocat chez Ogilvy Renault LLP et pratique le droit de l’emploi et du travail au Québec.

On peut le rejoindre à ggranatstein@ogilvyrenault.com
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