Jaser ou se taire: telle est la question...

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Mathieu Rompré

2011-08-11 13:15:00

La période estivale est redoutable pour les médias, tant les nouvelles sont rares et l'appétit des jeunes journalistes féroce. L'été est donc une saison où les avocats doivent redoubler de vigilance lorsqu'un micro se tend vers eux. Et Mathieu Rompré nous explique pourquoi.

L’été tire à sa fin. Dans le curieux monde journalistique, la saison qui se termine est celle où les chefs de pupitre et les rédacteurs en chef n’en peuvent plus de se gratter la tête et de passer au peigne fin les journaux à la recherche d’un nouvel angle sur une histoire cent fois racontée.

En deux mots : c’est la saison sèche, le cauchemar pour les artisans de l’information.

C’est aussi la saison où certains experts appelés à commenter sur la place publique baissent la garde et s’imaginent qu’il ne sert à rien de se préparer outre-mesure parce qu’un jeune journaliste veut nous parler d’un dossier « important » sur lequel il travaille.

L'été, la prudence est de mise, prévient Mathieu Rompré
L'été, la prudence est de mise, prévient Mathieu Rompré
Il faut avoir été aux commandes d’une salle de nouvelles l’été pour savoir à quel point l’appétit vorace des jeunes journalistes est inversement proportionnel à la durée (très courte) de leur contrat. Ils ont donc tout intérêt à en mettre plein la vue. Et vous, à rester aux aguets et à vous préparer adéquatement si vous êtes sollicités.

Mais quelles sont justement les circonstances qui justifient une participation de votre part? Quand vaut-il mieux se taire?

Lorsque les avocats que je conseille sont contactés par des journalistes pour commenter un dossier, une tendance du marché, une importante transaction ou l’issue d’un procès, j’ai pour règle première de faire une analyse coût-bénéfice qui cherchera à déterminer si le jeu en vaut la chandelle.

Il va de soi que le fait d’accorder une entrevue ne doit jamais être pris à la légère puisque le résultat peut avoir des effets à court, moyen et (plus rarement) long terme sur votre réputation, votre pratique, votre cabinet et possiblement vos clients.


Voici, en résumé, trois questions simples à se poser quand vient le temps d’évaluer la participation à une entrevue :

Suis-je en conflit d’intérêt?

Même si plusieurs avocats affirment souvent avoir l’impression de travailler en silo, tous savent très bien qu’il n’en est rien. Ainsi, si vous êtes un spécialiste de la responsabilité du fabriquant et que vous êtes appelé à commenter une catastrophe causée par des freins défectueux fabriqués par l’entreprise XYZ Inc., assurez-vous qu’aucun de vos collègues n’ait XYZ Inc. pour client. Imaginez un instant qu’un de vos associés du bureau de Vancouver vous annonce qu’il vient de perdre tous ses mandats en fiscalité en raison de votre négligence et de vos commentaires…

Suis-je la bonne personne pour parler de ce sujet?

Être contacté par un journaliste peut être flatteur; on fait figure d’autorité dans un domaine et on cherche à connaître notre opinion d’expert. Mais méfiez-vous. La tentation est grande chez certains d’accepter de parler de sujets qu’ils ne possèdent pas dans le menu détail. Les journalistes ne sont pas dupes. Ils comprendront rapidement que vous avez mis votre égo dans la balance et que, par conséquent, vous leur avez fait perdre leur temps plutôt que de leur référer vos collègues plus aptes à répondre.

Est-ce qu’accorder une entrevue sur un sujet est dans mon intérêt, dans celui du cabinet ou dans celui de mes clients?

On comprend tous pourquoi des avocats criminalistes acceptent volontiers de commenter l’actualité judiciaire. Certains ont fait de leur participation à des émissions de radio et de télé une véritable activité de développement des affaires. Qu’en est-il de votre pratique? Vos clients seront-ils à l’aise de vous voir parler publiquement de sujets qui les concernent directement ou indirectement? Le format de l’entrevue (en direct, à la télé ou au téléphone) vous convient-il, sachant que vous êtes sujet à de longues pauses de réflexions lorsque vous parlez? Et finalement-critère le plus important- est-il pertinent pour vous de commenter un dossier X ? Si vous êtes experts dans les fonds d’investissements, que gagnerez-vous à commenter le dernier cas d’investissement frauduleux? Est-ce que ça vous positionne vraiment comme le spécialiste que vous êtes?

Il arrive régulièrement que des avocats constatent qu’ils ne sont pas en conflit, qu’ils sont tout désignés pour commenter un sujet, mais qu’ils peinent à déterminer en quoi le fait d’accorder une entrevue les aide dans leur carrière.

Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse dans un cas comme celui-là. Je fais partie de l’école qui dit que dans la mesure du possible, les professionnels érudits (dont vous faites partie) ont un certain devoir de contribuer à la diffusion de la connaissance et à la compréhension des enjeux du monde qui nous entoure. Encore une fois, c’est un choix bien personnel avec lequel vous – et vos clients– devez être à l’aise… car il n’y a rien de pire pour un journaliste que d’interviewer un expert qui commente à reculons… ça s’entend.


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