La Presse

Chérie, j'ai réduit le bureau!

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Rene Lewandowski

2007-12-07 07:00:00

Les bureaux québécois de McCarthy Tétrault sont passés de 205 à 178 avocats en trois ans. Décroissance ou réorientation stratégique?

L'été dernier, quand l'associé Thomas Davis a quitté McCarthy Tétrault pour se joindre au bureau montréalais d'Ogilvy Renault, la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre.

Avocat réputé, spécialiste en fusions et acquisitions et en droit de l'énergie (électricité), reconnu par le magazine LEXPERT comme l'un des 500 meilleurs avocats au Canada, Thomas Davis avait commencé sa carrière chez McCarthy où il était en poste depuis 35 ans.

"Son départ a été un choc dans la communauté juridique", dit une source bien informée, qui désire conserver l'anonymat.

Un choc peut-être, mais une surprise, sûrement pas. Car Thomas Davis n'est pas le premier à avoir dit bye-bye à l'ex plus grand cabinet d'avocats au Canada.

Avant lui, il y a eu Timothé Huot, recruté en décembre 2006 par BCF, Lonnie Brodkin-Schneider, partie au printemps chez Miller Thomson Pouliot, Marc-André Landry, qui a fui chez Blakes.

Après lui, Marc Benoît s'est exilé chez Ogilvy Renault, Philippe Bourassa s'est joint à Blakes, sans compter les jeunes Safira Nierojewski et Théo Colombo, embauchés cet automne par de grands cabinets internationaux, respectivement à Dubaï et à Londres.

En fait, il y a trop peu d'espace dans cette chronique pour tous les énumérer.

Si bien que, ces temps-ci, "un autre départ chez McCarthy Tétrault" est devenu la blague à la mode que s'échangent les juristes dans les couloirs des grands cabinets concurrents ou que l'on chuchote dans les restos branchés du centre-ville.

La plaisanterie ne fait toutefois pas rire Marc-André Blanchard. L'associé-directeur des bureaux de Montréal et de Québec de McCarthy a beau avoir le sens de l'humour, chaque fois qu'il l'entend, la moutarde lui monte au nez.

Il est pourtant habitué aux blagues de mauvais goût. Après tout, dans ses temps libres, Marc-André Blanchard préside depuis quelques années le Parti libéral du Québec, et son chef, Jean Charest, n'a lui non plus pas été épargné par les plaisantins douteux.

Ce qui le chicotte, c'est le message que véhicule ce type de propos. Car la désertion d'associés chez la concurrence est souvent perçue comme un signe avant-coureur que le bureau est en difficulté, voire en décroissance. Bref, que ça va mal.

Est-ce bien le cas? "Pas du tout", affirme le grand patron de 42 ans, alors qu'il reçoit La Presse dans l'une des immenses salles de conférence, au 25e étage du 1000, De La Gauchetière.

Un virage stratégique

Vrai, admet-il, des départs, il y en a eu une flopée au cours des dernières années. Depuis 2004, à l'échelle canadienne, le cabinet a réduit son nombre d'avocats de 765 à 675. Et au Québec, le bureau est passé de 205 à 178 avocats, soit une réduction de 13% du nombre de professionnels.

Ce régime minceur n'a pourtant rien à voir avec un ralentissement des affaires, selon Marc-André Blanchard, mais est plutôt la conséquence d'un virage amorcé en 2000 à l'échelle canadienne, et qui s'est accéléré ces derniers temps.

"Nous avons décidé de nous concentrer sur nos clients les plus stratégiques en mettant l'accent sur la valeur ajoutée et le travail d'équipe", explique l'avocat aux trois maîtrises.

Traduction: On a pris la décision de mieux servir les plus gros clients, et ceux, plus petits, mais avec le potentiel de devenir des chefs de file dans des secteurs de pointe comme les sciences de la vie, le pharmaceutique, les technologies, etc.

Depuis 2004, le nombre de clients de McCarthy Tétrault a ainsi été réduit d'environ 10%.

Contrepartie logique, servir de grandes entreprises demande une plus grande contribution de chacun des avocats: augmentation de la cadence de travail, plus de développement des affaires, plus de facturation à des taux horaires plus élevés. À ceux incapables de soutenir ce nouveau rythme, ou habitués à travailler en solo, on a gentiment demandé de partir; d'autres se sont en allés de leur propre chef.

Mais plusieurs ont été remplacés, souligne Marc-André Blanchard. Car si le cabinet a été débauché de certains de ses bons éléments, il a aussi recruté de jeunes loups chez la concurrence, notamment le fiscaliste Frédéric Harvey, de chez Stikeman Elliott, et le spécialiste en financement d'entreprises Clemens Mayr, d'Ogilvy Renault.

Il faut dire que le contexte a bien changé ces dernières années. À Montréal, avec la venue de Blakes et d'Osler, la concurrence entre les grands cabinets n'a jamais été aussi vive. De plus, les grandes entreprises sont dotées aujourd'hui de grands contentieux et exigent, lorsqu'elles vont à l'externe, des services juridiques à grande valeur ajoutée.

Plus de profits pour les associés!

Évidemment, le virage stratégique de McCarthy Tétrault avait un mobile supplémentaire: hausser la rentabilité des avocats et les profits des associés. Chose que l'on ne peut accomplir qu'en diminuant le nombre d'associés avec participation aux profits tout en demandant aux autres d'augmenter leur performance.

Le cabinet n'est toutefois pas le seul à agir ainsi. À peu près toutes les grandes firmes canadiennes et internationales le font. Au Royaume-Uni, une récente étude de PricewaterhouseCoopers soulignait que quatre des dix plus grands cabinets anglais avaient réduit leur nombre d'associés avec participation aux profits.

Chose certaine, la stratégie semble fonctionner. Avec un chiffre d'affaires de 419 millions de dollars américains, en 2006, McCarthy Tétrault est le seul cabinet canadien à figurer au classement des cabinets d'avocats affichant les chiffres d'affaires les plus élevés du monde, que publie chaque année la revue The American Lawyer.

Et le cabinet demeure l'un des plus sollicités pour les grandes transactions de fusions et acquisitions. De janvier à septembre 2007, ses avocats ont participé à 57 transactions internationales, d'une valeur totale de 248, 5 milliards de dollars, prenant le 17e rang mondial.

Mais peu importe les chiffres et les résultats, Marc-André Blanchard aura bien du mal à contrer la perception que le cabinet n'est pas au mieux de sa forme.

Ces jours-ci, dans un grand cabinet concurrent, il circule même un mémo entre les associés qui dit: "Si vous avez des amis chez McCarthy, c'est le bon moment pour les approcher car le moral est au plus bas!"
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