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Défendre l'indéfendable...

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Agence Qmi

2012-03-28 15:00:00

Guy Turcotte, Paul Laplante, Mario Bastien, des noms liés à des crimes qui ont soulevé l’indignation du public. Ils ont aussi pour point commun, celui d'avoir été défendus par d’autres hommes. Comment ces avocats peuvent défendre l’indéfendable ?

« Nous n’adoptons pas la cause de nos clients, nous les représentons », ont unanimement lancé les avocats Marc Labelle, Robert La Haye, Gilles Fontaine et Pierre Gagnon.

Durant leur carrière de plus de 20 ans, ces éminents criminalistes ont lutté « le vent dans la face » et défendu des individus dont les crimes, particulièrement abjects, étaient déjà condamnés par l’opinion publique.

Comment peut-on représenter un Guy Turcotte, qui a tué ses deux enfants, ou un Mario Bastien, qui a agressé un adolescent avant de le tuer sauvagement ?

« Ça, c’est la question de la dinde, c’est la question que l’on se fait poser à Noël », dit l’avocat Marc Labelle en riant.

Ils ont le droit d’être défendus

« Quand on a des meurtriers en série, d’enfant, de jeunes filles, les gens sont plus agressifs, l’opinion publique est contre eux. Mais ces gens-là ont le droit d’être défendus. Je n’en fais pas de cas de conscience, car je n’épouse pas leur cause. Quand je dis que je sympathise avec le sénateur Boisvenu, je sympathise vraiment avec lui. Par contre, il fallait faire un procès juste à Hugo Bernier », affirme le criminaliste qui a défendu le meurtrier de la fille de Pierre- Hugues Boisvenu, Julie, tuée en 2002.

Son collègue Me Pierre Poupart a soulevé lui-même, lors de sa plaidoirie aux jurés au procès de Guy Turcotte en juin 2011, les questions qui lui sont maintes fois posées.

« Comment tu fais pour défendre des bandits ? Comment tu fais pour défendre des écœurants ? Comment tu fais pour défendre des gens qui ont fait des affaires de même ? Ça n'a aucun sens ! Tu n’as pas de morale ! Tu n’es rien qu’un mercenaire ! Tu fais ton argent avec les crimes des autres », a-t-il ironisé, avant d’expliquer pourquoi il a accepté de défendre l’ex-médecin devenu assassin.

« Notre job, ce n’est pas de protéger le crime ou le criminel. Nous sommes là pour défendre une seule et unique chose : la présomption d'innocence », a-t-il dit.

Un défi

Plutôt qu’un obstacle, ces criminalistes voient comme un défi la côte à remonter dans l’opinion publique et la forte médiatisation de ces cas particuliers.

« Ça fait 40 ans que je pratique et j’ai appris de mon père spirituel en 1969 comment avoir une carapace physique et psychologique. On s’habitue à ça », affirme Me Robert La Haye qui a récemment représenté Paul Laplante, le mari de Diane Grégoire, avant qu’il soit arrêté et accusé.

« Avec des cas de même, si vous comparez ça avec la température, vous partez à moins 30 degrés. Et la publicité autour de la cause va déterminer la force du vent. Dans le cas de Paul Laplante, c’était clair qu’il y avait un parfum d’antipathie qui se dégageait », ajoute-t-il.

« Des citoyens me demandent : comment faites-vous pour défendre un individu comme ça ? Je n’ai pas à répondre à ça. Moi j’ai mon travail à faire. Il ne faut pas entrer dans l’émotion, sinon c’est foutu. Surtout dans ce genre de dossier-là, il faut que tu gardes le focus », affirme Me Gilles Fontaine qui a défendu du début des années 2000 Luc X, qui avait agressé sexuellement sa propre fille et avait pris des photos qu’il avait mises sur Internet. La plupart des avocats interrogés disent n’avoir jamais reçu de menaces de la part du public ou des proches des victimes.

« Les gens comprennent notre rôle. On vit à l’époque des médias sociaux. Je n’ai jamais eu de mésaventure, de courriel haineux. Je n’ai jamais eu quelque commentaire que ce soit » , affirme Me Labelle.

Libérer un meurtrier

En revanche, son collègue Me Pierre Gagnon, qui a notamment représenté Rénald Côté, qui a violé sa fille handicapée à répétition avec ses deux fils, se souvient d’une lettre d’insultes qu’il a reçue et d’une autre, anonyme, dans laquelle l’auteur lui suggérait d’éviter de se retrouver seul, « dans un coin noir ».

Cela n’a freiné en rien les ardeurs de l’avocat qui n’aurait pas de problème à vivre avec le fait qu’il pourrait un jour faire libérer ou acquitter un individu qui a commis un meurtre.

« Non. Si je l’ai fait dans le respect des règles de droit, je ne peux pas regretter. C’est en dynamique avec la profession que j’exerce », dit-il.

Me Pierre Poupart

Avocat de Guy Turcotte

Le médecin qui a tué ses deux enfants en février 2009 à Piedmont est assurément le meurtrier qui a fait le plus parler de lui depuis deux ans et qui le sera encore sûrement durant des années. Son avocat, Me Pierre Poupart, a, contre vents et marées, mené un combat titanesque pour que son client soit déclaré non criminellement responsable, un verdict qui a surpris le Québec en entier. L’avocat poursuit son combat de tous les instants devant la Commission d’examen des troubles mentaux. Grandement respecté même si le verdict a été mal reçu par les proches des victimes et la population en général, on peut écrire sans se tromper que le réputé criminaliste croit fermement en les institutions de la justice. Il a préféré ne pas participer au présent reportage, mais avait exprimé tout son respect envers la justice en des termes des plus clairs en s'adressant aux membres du jury lorsqu’il a commencé sa plaidoirie de plusieurs jours, en juin 2011. « Cette rigueur (des jurés) de l’évaluation est la seule garantie contre l’arbitraire et le règne, ô combien terrifiant, du lynchage public. Parce qu’il faut bien appeler par son nom cette haine aveugle, irrationnelle, absurde, mais non moins omniprésente, à laquelle expression vous n’avez pas pu échapper à moins d’avoir décidé de couper tout lien avec les autres, de vous être enfermés tel un chartreux au fond d’une caverne au sommet d’une montagne quelconque, vous avez vu, entendu lu les horreurs hallucinantes et pourtant, personne au Québec ne connaît mieux ce dossier que vous », a-t-il lancé aux 12 jurés.


Me Pierre Gagnon

Avocat de Mario Bastien et de Rénald Côté

La conjointe de Me Pierre Gagnon dit de lui qu’il a un cœur de pierre, nous a-t-il confié, à la blague. Pourtant, l’avocat a eu une forte pensée pour la mère d’Alexandre Livernoche lors du procès de son meurtrier, Mario Bastien, qu’il a défendu. « À un certain moment, on a diffusé la vidéo de l’interrogatoire de Bastien où il raconte de quelle façon il l’a tué. La mère de la victime était assise à la première rangée et on a vu, par sa réaction, que c’était la première fois qu’elle entendait ça. Je n’ai pu m’empêcher de penser : si j’étais assis dans sa chaise, et que j’entendais le meurtrier de l’une de mes filles raconter comment ça s’est passé, je ne pourrais lui souhaiter autre chose que la mort. Mais tu ne peux pas te laisser dévier de tes fonctions. Nous ne sommes pas des machines et pas insensibles à ça », affirme le criminaliste qui compte 20 ans d’expérience. Me Gagnon n’hésite pas à serrer la main de ses clients, même ceux qui sont accusés des crimes les plus abjects. « Cela établit une relation de confiance qui doit malgré tout s’installer », dit-il. Selon lui, Mario Bastien était « comme un enfant dans un corps d’adulte » alors que Rénald Côté, cet homme de Sherbrooke condamné avec ses deux fils pour avoir agressé à répétition sa fille handicapée, était contrôlant. « C’est certain que tu essaies d’avoir une collaboration-coopération avec l’individu. Tu essaies d’avoir certaines conversations conviviales entre guillemets, mais le contenu demeure celui du dossier », conclut l’avocat. Il croit que des criminalistes comme lui sont plus que jamais nécessaires. « Plus ça va, avec le vent de droite qui souffle actuellement avec les conservateurs, notre rôle, on le sent diminuer dans le sens où il y a de plus en plus de peines minimales ou même le rôle des juges est limité. C’est important qu’il y ait des avocats de la défense », dit-il.


Me Gilles Fontaine

Avocat de Luc X. un individu qui agressé et filmé sa propre fille

C’est tout l’aspect technique du dossier, notamment la preuve informatique qui commençait à peine au début des années 2000, qui a amené Me Gilles Fontaine a accepter de représenter Luc X, un père de famille qui a abusé sexuellement sa propre fille, filmé les scènes et distribué les images sur internet. Aujourd’hui, après avoir fait du droit criminel durant 20 ans, l’avocat a réorienté sa carrière et accepte uniquement des dossiers en droit professionnel et disciplinaire. Mais s’il avait continué, il aurait repris un client comme Luc X. « J’ai plusieurs collègues qui me confiaient des causes, car ils ne voulaient pas faire ça», dit-il. Il aurait même accepté un défi comme celui de défendre Guy Turcotte. «J’aime les défis. Je n’ai jamais été frileux d’accepter des choses», dit-il. «Je n’ai jamais écarté un dossier au départ, sinon je ne me sentirais pas professionnel», ajoute l’avocat qui avait deux enfants d’âge scolaire à l’époque de l’affaire Luc X. «Moi, la maison, c’est la maison, mon travail, c’est mon travail». «Vous réussissez à être imperméable à ça »? lui a-t-on demandé. «Il le faut. Les personnes qui se laissent trop influencer ne peuvent pas faire ces causes. Si tu n’es pas à l’aise, tu ne le prends pas. Mais être à l’aise, cela ne veut pas dire prendre parti. Moi, quand je prends une cause, je suis teflon».


Me Robert La Haye

Avocat de Paul Laplante

From page 1 Me Robert La Haye admet que Paul Laplante, le présumé assassin de sa conjointe, Diane Grégoire, a été le client le plus détesté dans l’opinion publique de toute sa carrière. « Lorsque j’allais à la cour avec lui à StHyacinthe, je constatais un parfum d’antipathie. On pouvait sentir les regards de l’animosité tranchés au couteau », dit-il. Il est devenu l’avocat de Paul Laplante lorsque ce dernier a été accusé de harcèlement en 2009. Laplante l’a appelé, car il voulait éloigner les journalistes qui le suivaient partout où il allait. « Il trouvait ça difficile. Il sentait bien la pression et la tourmente du public à son égard et des médias. Il ne voulait pas se faire piéger », explique le criminaliste. Ce dernier a conseillé à Paul Laplante de ne pas subir le test du polygraphe et de ne pas répondre aux questions. Il n’a donc pas été surpris de voir Paul Laplante éviter le regard de l’enquêteur lors de son interrogatoire vidéo. Me La Haye dit n’avoir jamais eu de problème avec Paul Laplante, qui suivait ses conseils, et n’hésiterait pas à défendre un autre individu comme lui. Mais il admet qu’il se posait des questions sur sa culpabilité. « Je ne le jugeais pas. Lui me parlait toujours de disparition, mais comme n’importe qui, je pouvais me poser des questions. Je n’étais pas son juge et il n’a jamais admis », dit Me La Haye. Une seule fois dans sa carrière, il a refusé un client en raison de la nature du crime : un individu qui avait enlevé et tué un enfant avec une roche dans les années 70. « Ma première fille venait de naître et je n’étais pas confortable. Je lui ai chargé un prix qu’il n’était pas capable de payer ».


Me Marc Labelle

Avocat des tueurs en série William Fyfe, Angelo Colalillo et Michael Mcgray, et d’Hugo Bernier, meurtrier de Julie Boisvenu

En examinant la liste des individus que ce chevronné criminaliste a défendus, on pourrait croire qu’il affectionne les « causes perdues ». Mais n’utilisez jamais cette expression en discutant avec Me Labelle, car il vous ramènera aussitôt à l’ordre. « Quand on sait que la preuve est accablante et que notre client ne s’en sortira pas, l’important, ce n’est plus de remporter la cause, mais ce sont les petites victoires que l’on va chercher », dit-il. Selon lui, des causes, même difficiles, ont servi à faire avancer les droits. « C’est grâce à ça qu’on a maintenant l’interrogatoire vidéo. Avant, un dossier de meurtre n’était pas plus épais que votre calepin de notes. Aujourd’hui, je reçois trois caisses de documents. Les enquêteurs se sont raffinés », affirme l’avocat. Fort de son expérience de clients hors de l’ordinaire, Me Marc Labelle nous a également raconté quelques anecdotes qu’on ne pouvait passer sous silence. « Les tueurs en série ont peur des chiens. Si j’étais une femme célibataire en région, j’aurais un chien. C’est documenté et les enquêteurs qui en ont fait vont vous le dire », a-t-il lancé en tant que message de prévention. « William Fyfe, qui est maintenant en Saskatchewan, était sûrement le détenu le plus peureux que j’ai vu et défendu. Pour un gars qui avait été d’une si grande violence dans ses crimes, en prison il était l’un des plus peureux. Il avait peur de se faire agresser. D’habitude, ils n’ont pas peur, ils s’assument. Ils ont les accusations qu’ils ont et ils ne nous appellent pas toutes les cinq minutes pour changer de place. Mais lui, c’était un peureux première classe », a-t-il témoigné.

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