Judiciarisation de la grève étudiante : préserver la légitimité du mouvement

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Julien D.-pelletier, Marc-antoine Cloutier, Louise Boyd

2012-04-23 11:15:00

La grève étudiante a pris une tournure inattendue, en prenant la voie de la judiciarisation. Trois membres de Juripop, l'organisme qui a représenté les intérêts de plusieurs associations étudiantes, s'en inquiètent.

Julien David Pelletier directeur exécutif de Juripop
Julien David Pelletier directeur exécutif de Juripop
Le mouvement de grève des étudiants du Québec contre la hausse des frais de scolarité prend une nouvelle tournure que l’on juge inquiétante. En effet, plusieurs personnes intentent des recours pour tenter d’obtenir des injonctions de la part des tribunaux. Qu’il s’agisse du CÉGEP d’Alma ou des Universités Laval ou de Montréal, les requêtes présentées ont toutes le même but : faire cesser la grève ou nuire au mouvement politique qu’est celui des étudiants. C’est ainsi que ces étudiants souhaitent interdire le piquetage, forcer les professeurs à donner leur cours, peu importe le nombre d’étudiants présents à ces derniers, et enfin, accoler l’étiquette d’une certaine « illégalité » aux actions menées par les grévistes. En tant que dirigeants d’un organisme qui défend notamment les intérêts de certaines associations étudiantes, nous ne pouvons que nous inscrire en faux devant une tendance qui pourrait avoir des répercussions importantes et négatives sur le droit de manifester et la liberté d’expression au Québec et au Canada.

D’entrée de jeu, il est bien illusoire d’envisager l’absolue homogénéité d’opinion de la population estudiantine du Québec. Tous sont à même de constater depuis le début des divergences de points de vue, reflétant du même coup la diversité démocratique au sein de nos collèges et universités. Le contraire serait inquiétant. Par ailleurs, les instances associatives mises en place aux fins de débat et pour refléter ces divergences d’opinion sont les seules à pouvoir régir le droit de piquetage des étudiants.

Marc-Antoine Cloutier directeur général de Juripop
Marc-Antoine Cloutier directeur général de Juripop
Là où le bât blesse, c’est lorsque les instances judiciaires, d’habitude discrètes sur les questions politiques, sont invoquées pour faire pression sur un mouvement dont le seul outil est la capacité des étudiants à « boycotter » les cours.

Depuis les tous débuts du mouvement, la société québécoise a été à même de constater un soulèvement populaire comme cela a déjà existé auparavant, malgré son ampleur rarement égalée sur notre territoire. Pacifique dans son essence, et créatif dans ses moyens, la grève générale illimitée ayant actuellement cours n’est pas pour autant un phénomène nouveau. Les règles du jeu sont établies depuis les toutes premières initiatives de solidarité sociale, à l’origine beaucoup plus associées au monde du travail. Ces règles sont simples et leur respect par les principaux protagonistes peut décider du succès ou de l’échec d’une initiative démocratique.

Il faut rappeler que le droit de grève des travailleurs n’est pas né d’une modification législative, mais bien d’une lutte sociale au nom de la liberté d’association et d’expression. En ce sens, la grève étudiante est présente dans le paysage québécois depuis les années 50. Bien loin d’être un simple boycott, la présente grève étudiante découle directement du mandat de représentation qu’octroie la loi aux associations étudiantes québécoises. Nous soulevons en ce sens les arguments juridiques qui militent à voir encadré le droit de grève des étudiants par les lois québécoises et invitons le gouvernement à cesser d’agir à l’image de certains employeurs des années 50, qui invitaient les employés contre la grève à franchir les lignes de piquetage pour tirer profit du chaos.

Louise Boyd avocate conseil chez Juripop
Louise Boyd avocate conseil chez Juripop
Il est préférable de restreindre l’utilisation des tribunaux dans le cadre d’un mouvement comme celui-ci. En tant que chien de garde de la démocratie, le pouvoir judiciaire se doit de garder une réserve sur les mouvements populaires, qui n’ont lieu que là où tous les autres outils démocratiques, comme la pression électorale, ont échoué. D’ailleurs, les magistrats ont fait preuve d’une grande retenue face aux demandes d’injonction qui leur ont été soumises dans les derniers jours, se gardant bien d’interdire le droit de piquetage de façon large, de se prononcer sur la nature de la grève ou du « boycottage ». Ils ont plutôt limité leur jugement aux situations bien particulières leur étant présentées, en utilisant le critère du libre accès aux institutions universitaires. Par ailleurs, rappelons qu’aucun des jugements n’a forcé le retour en classe. Or, les appels du gouvernement appelant les administrations scolaires à forcer le retour pourrait s’avérer contraire aux droits fondamentaux qu’ont les associations étudiantes et les étudiants qui la compose, notamment au droit d’association duquel découle le droit de grève.

Qu’arriverait-il si cette tendance à la judiciarisation devenait monnaie courante? Alors que rien n’empêche n’importe quelle partie intéressée de présenter une requête pour mettre fin au piquetage, quels seraient les impacts sur la vie démocratique étudiante ou sur la vie démocratique en général? Si l’on fait la comparaison avec le monde du travail, ce n’est pas pour rien que les conflits entre travailleurs et patronat ont été balisés à l’extérieur des instances judiciaires. Ce n’est pas pour rien non plus que la qualification de « grève illégale » n’est utilisée que de façon exceptionnelle. Ces normes existent afin d’assurer à l’être humain le pouvoir de revendiquer des droits collectifs sans la peur que cela ne dégénère au chaos ou suscite la violence entre étudiants ou travailleurs d’opinion différentes. Une « grève illégale » entraîne chez celui qui défend un droit légitime la perception qu’il n’a plus rien à perdre, que de toute façon, ses actions ne seront pas reconnues par l’État. Ne reste alors que le moyen de la radicalisation pour tenter d’attirer l’attention de l’opinion publique afin de la rallier à sa cause. D’aucuns seront d’avis que ce dernier moyen ne fonctionne que dans de rares exceptions, et que la société toute entière gagne à ce que le droit à la liberté d’expression puisse se manifester dans l’ordre.

Il faut éviter le plus possible de restreindre par voie judiciaire le droit de piquetage et de manifester. Non pas qu’il y ait lieu de douter de la probité de nos tribunaux quant aux demandes qui leur sont adressées, mais leur utilisation entraîne inévitablement l’affaiblissement de l’équilibre démocratique, en plus de donner une perception négative non-justifiée du mouvement dans l’opinion publique. Notre engagement s’inscrit dans le respect de la démocratie et du pacifisme. Ces derniers sont les seuls moyens pour qu’un groupe puisse avoir la légitimité nécessaire à la promotion de ses revendications.

Julien David Pelletier, co-fondateur et directeur exécutif, Marc-Antoine Cloutier co-fondateur et directeur général, et Me Louise Boyd, avocate conseil, tous trois chez Juripop.

Sur l'organisme :
Les avocats de la Clinique juridique Juripop ont représenté l’association des étudiants en sciences sociales de l’Université Laval, l’association des étudiants de musique de l’Université de Montréal, l’association générale des étudiants du Collège de Rosemont, l’association des étudiants de l’Université du Québec à Rimouski et la Fédération étudiante collégiale du Québec.
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