Karim Renno

La preuve d’un usage: plus compliquée que ça...

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Karim Renno

2012-05-08 14:15:00

Il y a plusieurs méthodes pour interpréter un contrat. L'une d'entre elles, est de faire appel aux usages en la matière. Sauf que la preuve d'un usage est difficile à apporter, constate Karim Renno.

Il est parfois surprenant pour les non juristes d’apprendre que le gros bon sens est effectivement une méthode courante d’interprétation des contrats. En effet, les règles d’interprétation prévues au Code civil du Québec n’ont, comme objectif, que de permettre de dégager la solution la plus logique possible. Une des façons par lesquelles le législateur a choisi de donner place à cette logique est par la codification des usages comme méthode d’interprétation à l’article 1426 qui prévoit que l’ « on tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages ».

Reste que la preuve d’un usage est plus complexe que l’on pourrait le croire, comme le démontrent deux causes récentes de jurisprudence.

D’abord, dans l’affaire ''Gregory'' c. ''Chateau Drummond Inc.'' (2012 QCCA 601), la Cour d’appel traitait de la preuve nécessaire pour formuler un argument d'interprétation en fonction de l'usage.

Pas si facile que ça d'apporter la preuve d'un usage, reconnaît Karim Renno
Pas si facile que ça d'apporter la preuve d'un usage, reconnaît Karim Renno
Dans cette affaire, le juge de première instance, en acceptant l'interprétation contractuelle proposée par l'Intimée, s'était fondé sur les usages en matière de vente de condominium. Selon lui, ces usages contredisaient la thèse soumise par l'Appelante.

Or, la Cour profite de l’occasion pour remettre certaines pendules à l’heure. Dans un jugement unanime écrit sous la plume du juge Benoît Morin, la Cour souligne que rares sont les cas où l'usage sera de connaissance d'office. Ainsi, il sera presque toujours nettement insuffisant pour le représentant d’une partie de faire valoir que c’est « toujours comme ça que se font les choses ». Une preuve directe et indépendante sera nécessaire. Le juge Morin en vient en outre à la conclusion qu’une telle preuve faisait défaut dans l’affaire Gregory.

À cet égard, il indique que l’usage doit être non seulement allégué, mais aussi prouvé. Il doit de plus être ancien, fréquent, général, public et uniforme. Mettant en application ces principes, le juge Morin en vient à la conclusion que le juge de première instance a eu tort d’accepter le témoignage de deux représentants de l’intimée comme établissement un usage. Le seul fait que c’était la pratique adoptée par l’intimée, ne lui donnait en rien, un caractère général, public ou uniforme.

Plus récemment, la Cour du Québec rendait une autre décision en matière d’usage, où elle suivait ce courant. Il s’agit de l’affaire ''ES Retail Consulting'' c. ''Vente en détail PZ/Benisti inc.'' (2012 QCCQ 3089).
Dans celle-ci, la Cour souligne que la preuve de l'usage implique beaucoup plus que la simple preuve d'une pratique régulière.

Dans cette affaire, la demanderesse réclame aux défenderesses la somme à laquelle elle prétend avoir droit, à la suite de l'embauche par une des défenderesses, d'un vice-président directeur des ventes de détail qu'elle avait recommandé environ onze mois plus tôt. Les défenderesses contestent la réclamation. Essentiellement, elles plaident que l'embauche de ce nouvel employé ne résulte pas de la recommandation de la demanderesse, mais directement d'une proposition faite par l'ancien vice-président que ce nouvel employé devait remplacer.

Un débat s'engage entre les parties quant à la période de protection des personnes que la demanderesse présente aux défenderesses. En effet, le contrat entre les parties est silencieux sur la question. Pour pallier à cette difficulté, la demanderesse tente de faire la preuve que l'usage en la matière est de 12 à 24 mois.

Tout comme dans l’affaire Gregory, le juge Alain Breault souligne que l'établissement d'un usage implique la satisfaction de plusieurs critères et non pas seulement la preuve d'une pratique courante. Ces critères ne sont pas rencontrés en l'instance selon le juge Breault, la preuve établissant que la demanderesse elle-même ne respectait pas l’usage qu’elle mettait en avant.

L’on retiendra donc de ces autorités, que la preuve de l’usage n’est pas une mince affaire. Il faut en effet établir une pratique ancienne, fréquente, générale, publique et uniforme. Dans la plupart des cas, le seul moyen de faire cette démonstration sera de faire témoigner un expert dans le domaine, ou, à tous le moins, de présenter une preuve testimoniale provenant de témoin indépendant œuvrant dans l’industrie. La preuve de l’usage, pas aussi facile que l’on pourrait le croire…


Sur l'auteur:
Karim Renno est associé du cabinet Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.
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