Karim Renno

La vérification fait toute la différence…

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Karim Renno

2012-07-03 14:15:00

Très souvent, les entreprises ne vérifient pas les états financiers lors de réclamations pour pertes et profits. Une mauvais habitude qu'il s'agit d'éviter en demande, rappelle Karim Renno.

Dans les réclamations pour pertes de revenus ou de profits, les entreprises se fient très souvent sur leurs états financiers pour établir le quantum du dommage qu’elles ont subi. Dans plusieurs de ces cas, lesdits états financiers ne sont pas vérifiés. Il s’agit là d’un procédé à éviter en demande puisque, comme le souligne la Cour d’appel dans ''C.H.S.L.D. Juif de Montréal'' c. Entreprises ''Francer Inc.'' (2008 QCCA 2402), les états financiers non vérifiés ne font pas preuve de leur contenu.

Résumé des faits

Le 31 janvier 2001, les parties, un centre hospitalier de soins de longue durée (C.H.S.L.D.) et une entreprise de consultants spécialisée dans la gestion des services de buanderie en milieu institutionnel et hospitalier (Francer), concluent un contrat de service (le « Contrat ») d'une durée de cinq ans. Les parties peuvent y mettre fin après la troisième année au moyen d'un avis remis par écrit 90 jours avant l'expiration.

Il y a un risque que les états financiers soient mal fondés en dépit d'un examen bien conduit, constate Karim Renno
Il y a un risque que les états financiers soient mal fondés en dépit d'un examen bien conduit, constate Karim Renno
Suite à des discussions infructueuses entre les parties sur une période de plus de 2 ans quant à certaines modifications à être apportées au Contrat, l’appelant C.H.S.L.D. envoi un avis écrit à l'intimée lui signifiant son intention de mettre un terme au Contrat, sans dommage compensatoire, à compter du 1er janvier 2004.

L’intimée Francer institue des procédures en dommages contre C.H.S.L.D. alléguant une litanie de manquement contractuels. À l’appui de sa réclamation, Francer se contente de déposer en preuve ses états financiers non vérifiés pour démontrer sa perte de profits. L’appelant C.H.S.L.D. s’objecte au dépôt en preuve de ces états financiers, alléguant qu’ils constituent une preuve par ouï-dire. La juge de première instance n’accueille pas l’objection et accorde à Francer la somme de 65 000$ à titre de perte de profits.

C.H.S.L.D. se pourvoit en appel et soumet que la réclamation pour perte de profits devait être rejetée, faute de preuve.

Décision rendue par la Cour d’appel

Saisie de la question, la Cour d’appel, dans un jugement rendu par l’Honorable juge Michel Robert (alors juge en chef), en vient à la conclusion que la juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante en accordant 65 000$ pour perte de profit puisque la seule preuve disponible reposait sur les états financiers non vérifiés de Francer.

Ce faisant, la Cour d’appel pose le principe voulant que les états financiers non vérifiés en soit ne peuvent confirmer la perte de profit de l'intimée. Selon le juge Robert, contrairement à la vérification qui donne une certaine crédibilité à des états financiers, les états non vérifiés n’amènent pas à l’expression de l’opinion d’un expert comptable sur les résultats d’une entreprise. Il ajoute que les états financiers peuvent être assimilés à du ouï-dire, puisqu'ils sont dressés sur la seule foi de représentations de certains administrateurs ou dirigeants. Il ajoute ce qui suit :

Ainsi, contrairement aux documents établis dans le cours des activités d'une entreprise qui constitue une exception au ouï-dire, des états financiers non vérifiés n'échappent pas à la règle générale et [ils] sont moins fiables que des états financiers vérifiés, puisqu'ils sont sommaires, moins fouillés et l'opinion qui en résulte n'a pas le même poids. Il y a un certain risque qu'ils soient mal fondés malgré un examen bien conduit.

À la lumière de ce qui précède, la Cour d’appel conclut que l’objection formulée par l'appelant relativement à la production des états financiers devait être accueillie. Les états financiers non vérifiés de Francer ne faisant pas preuve de leur contenu, cette dernière devait faire la preuve de sa perte de profit par les moyens usuels, i.e. en prouvant ses revenus et ses dépenses. En conséquence, la Cour retourne le dossier en première instance pour permettre à Francer de faire la preuve appropriée.

On retient de cette décision qu’une partie qui cherche à faire la preuve de sa perte de profits devra soit (a) déposer à la Cour des états financiers vérifiés ou (b) présenter une preuve détaillée de ses revenus et ses dépenses afin de convaincre la Cour qu’elle subit effectivement une perte de profit.

Sur l'auteur:
Karim Renno est associé du cabinet Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.
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