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Les animaux viciés

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Emmanuelle Faulkner

2013-12-09 11:15:00

Comment les tribunaux ont-ils appliqué à la vente d’animaux la garantie contre les vices cachés? Notre chroniqueuse vous présente les décisions de jurisprudence récentes...

Dans l’état actuel du droit, un animal est un bien meuble au sens du Code civil du Québec. Par conséquent, la garantie de qualité prévue aux articles 1726 et ss. s’applique lors de la vente d’un animal.

Pour obtenir l’annulation de la vente ou une diminution du prix de vente, l’acheteur doit donc démontrer que le vice — soit la maladie ou le handicap de l’animal — est grave, caché, inconnu de l’acheteur et antérieur à la vente et qu’il a été dénoncé dans un délai raisonnable. De plus, afin d'obtenir des dommages-intérêts, il doit prouver que le vendeur avait connaissance du vice.

Lorsque la vente est faite par un vendeur professionnel, tel un éleveur, l’existence du vice au moment de la vente est présumée lorsque la détérioration du bien — décès ou maladie — survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce. Un vendeur professionnel est également présumé connaître l’existence du vice caché et, par conséquent, il peut être tenu de payer des dommages-intérêts à l’acheteur, en plus de devoir lui restituer le prix de vente.

Emmanuelle Faulkner est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2010
Emmanuelle Faulkner est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2010
Voici donc quelques illustrations de ce genre de cause tirées de la jurisprudence récente où des acheteurs ont poursuivi le vendeur de leur animal en invoquant cette garantie contre les vices cachés.

Dans une décision récente, l’acheteur d’un chat, décédé trois mois après sa livraison, a obtenu des vendeurs le remboursement du prix de vente (1 500 $) ainsi que des frais d’autopsie et d’euthanasie (195 $). Le chat, acheté de vendeurs professionnels, était porteur du coronavirus, qui le rendait très fragile au stress. Il est décédé d’une péritonite infectieuse féline.

Pourtant, le contrat d’achat comportait une garantie d’un an contre les vices génétiques et les maladies congénitales. De plus, un mois après l’achat, un vétérinaire avait constaté que l’animal ne souffrait d’aucune maladie infectieuse. Selon le juge, le vice avait été dénoncé dans un délai raisonnable, soit moins de trois mois après la livraison du chat, et les vendeurs n’avaient pas réussi à démontrer que l’acheteur était la cause de la maladie ou qu’il y avait eu force majeure.

Un éleveur de chats peut toutefois repousser la présomption d’existence du vice au moment de la vente en prouvant que la maladie résulte plutôt des conditions auxquelles le chaton a été exposé dans le milieu de vie de l’acheteur, comme l’a conclu la juge dans Corriveau c. Ross.

Dans cette affaire, le chaton, de race Bengal, avait, dès son arrivée chez l’acheteuse, été mis en contact avec les huit autres chats de celle-ci, dont un qui sortait à l’extérieur et qui en fréquentait six autres vivant dans une écurie. La juge a retenu que le décès du chaton était attribuable à un virus (panleucopénie féline) dont la durée d’incubation était courte et qui s’était probablement développé alors qu’il était en contact avec ces chats, et la réclamation de la demanderesse, qui voulait obtenir le remboursement du prix payé pour son chat (1 500 $), a été rejetée.

Par son caractère mortel et sa capacité de tout contaminer (animaux, humains et habitations), la teigne est aussi indéniablement un vice caché. Ainsi, dans Binet c. SPCA de l'Ouest du Québec, l’acheteuse d’un chaton atteint de cette maladie, qui a dû nettoyer de fond en comble sa résidence et dont la famille immédiate a également été atteinte, a obtenu des dommages-intérêts de 3 083 $.

Lorsqu’il s’agit d’un animal vendu par un producteur agricole spécialisé, la preuve contraire requise pour repousser cette présomption d’antériorité est très exigeante. Ainsi, dans Gibeau c. Ferme Juar inc., la Cour d’appel a conclu que le vendeur d’une vache infectée de la diarrhée bovine virale ne pouvait invoquer quelque faute que soit de la part des acheteurs, qui n'étaient pas tenus de procéder à la vaccination avant d'acheter des animaux à l'encan ni d'isoler ceux-ci de leur troupeau. Elle a donc maintenu le jugement l'ayant condamné à payer des dommages-intérêts de 168 404 $.

S’il ne s’agit pas d’un vendeur professionnel, l’acheteur doit prouver que le vice existait lors de la vente. Dans Jalbert c. Buscumb, la demanderesse avait acheté un poulain au prix de 5 000 $, dans le but de faire des compétitions de cheval. Avant la vente, un examen avait révélé que l'animal était en parfaite santé. Par contre, deux mois après l’achat, la demanderesse a appris que son poulain boitait, ce qui le rendait impropre à l’usage auquel elle le destinait. Toutefois, le juge a refusé de conclure que ce vice était antérieur à la vente car, selon lui, le délai de près de deux mois entre la vente et la découverte de celui-ci était beaucoup trop long.

Enfin, lorsqu’un acheteur découvre que son bien comporte un vice caché, les parties ont tout intérêt à tenter de négocier un règlement à l’amiable plutôt que d’alerter des journalistes ou de tenter de se faire justice elles-mêmes.

Dans Marcotte c. Société TVA inc., l’acheteur d’un cheval souffrant de boiterie avait soumis son dossier à l’émission populaire d’enquête J.E., qui a décidé qu’il s’agissait d’une question d’intérêt public. La diffusion du reportage a grandement nui au commerce de vente de chevaux des vendeurs et ceux-ci ont intenté une poursuite en diffamation contre l’acheteur, la Société TVA inc. ainsi que les journalistes. Le juge a conclu que l’acheteur avait joué à la victime pour tenter de convaincre J.E. d’utiliser son histoire banale et essentiellement privée dans le but d'en faire une affaire d’intérêt public. Il a donc été condamné, solidairement avec les journalistes et TVA, à payer un total de 155 000 $ au vendeur et à sa conjointe pour perte de revenus, atteinte à la réputation et dommages moraux subis.

Sur l'auteur

Emmanuelle Faulkner est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2010. Avant de se joindre à SOQUIJ, elle a notamment travaillé comme avocate au gouvernement fédéral et en pratique privée, en litige fiscal et civil. Enfin, elle a également exercé la fonction d’éditrice juridique chez LexisNexis Canada et de recherchiste au CAIJ. Elle écrit pour les Express en matière de contrats d’entreprise et de services, de contrats spéciaux, de vente, d’injonction, de mandat, de libéralités, de droit des personnes, de protection du consommateur et de transport.
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